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Vie de La Brochure
3 juillet 2023

Cladel, Kerkadec et la lutte des classes

Cladel a écrit sur les paysans mais aussi sur un garde-barrière, kerkadec, et voici un passage où si Kerladec parle j'entends aussi Cladel. J-P Damaggio

RÉFLEXIONS DE KERKADEC

C'est pas pour la frime :

Il faut se dévisser

Et se décarcasser ;

Trime, trime, trime

         Et sois bon

         Franc luron !

Mais garde le jeûne,

La fringale aussi,

Toi, l'endurci,

Vieux ou jeune !

Marche, animal,

Bien ou mal,

Et jeûne, jeûne,

Faible ou fort

Jusqu'à la mort.

Trime, trime, trime

Purge le crime

D'avoir soif et faim,

Crève enfin !

 

On crie haut qu'il n'y a plus de classes, et qu'en France la Révolution a tout nivelé ; seuls, ceux-là qui en bénéficièrent, les bourgeois, propagent cette erreur. Aujourd'hui, le prolétaire, aussi nu que celui de la vieille Rome, est beaucoup plus l'esclave et la victime des nouveaux patriciens, les capitalistes, que le vilain ne le fut jamais du noble, sous les rois prétendus légitimes. Et c'est à cela que tristement je pensais, dès que le serf dont j'avais reçu les amères confidences m'eut quitté. Quoi, tant d'existences humaines vendues à quelques rapaces privilégiés, au prix d'un salaire dérisoire ! et si le salarié ne succombe pas avant le temps réglementaire, une insuffisante pension, ou plutôt une aumône, accordée de mauvaise grâce, prolongera l'agonie de ce meurt-de-faim, par qui ses bourreaux furent enrichis ; et si la famine ou quelque machine le tue, avant qu'usé totalement, il ait été mis à la retraite ou mieux au rancart, l'opulente et chiche compagnie laissera se morfondre, sans aucune pitié la veuve et les enfants de ce mercenaire mort en la servant, dans l'indigence et le désespoir. Ils n'auront rien à réclamer ; on ne leur devra rien que l'indifférence ou le mépris dont les oisifs de la grasse bourgeoisie abreuvent les maigres travailleurs de la plèbe... «Ah! s'était écrié pendant notre conversation, ce déshérité qui, lui, d'ailleurs, en cela plus heureux que bien d'autres, avait conscience de ses droits et de ceux de ses frères, qui constituent amplement la majorité de la nation, nous jeûnons, nous autres, depuis la niche qui nous sert de berceau jusqu'au coin de terre où l'on creuse notre fosse commune; on mange du moins, au bagne ! Il y a des jours où je voudrais y être et n'en plus sortir. Il y était et dans le pire de tous, que nulles murailles ne bornent et qu'aucun toit n'abrite, celui de la misère où ses innombrables pareils, les décharnés, exploités par une poignée de ventrus qui possèdent et dirigent tout, croupissaient avec lui, condamnés à la fringale éternelle, ainsi qu'aux travaux forcés à perpétuité, comme lui.

— Mais voilà ce qui me console, avait-il ajouté de sa langue acérée, pittoresque; eux, ces porte-frac, et ça les défrise, ils sont tenus de claquer aussi, comme nous autres, la canaille en blouse. Oui, ventre-bleu ! oui, mauvais moment à passer pour le pauvre et surtout pour le riche, une semaine ou l'autre...

LÉON CLADEL

(Kerkadec le garde barrière, avec préface de Clovis Hugues. Paris, Delille et Vigneron, 1884).

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