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Vie de La Brochure
23 juillet 2023

Darwin en 1935

Voici en attendant mieux un article de 1935 qui présente utilement Darwin aux lecteurs d'un journal de grande diffusion. JPD

 

LE 11 AOUT 1935 DIMANCHE-ILLUSTRÉ LES ROMANS DE LA VIE... Un des plus grands savants de son temps CHARLES-ROBERT DARWIN par SIMONE SAINT-CLAIR

L’illustre naturaliste anglais Darwin a laissé le souvenir d’un grand voyageur et d’un observateur génial. Son œuvre est considérable et la part majeure de son labeur scientifique porte principalement sur les études biologiques. Il publia de nombreux ouvrages, dont le plus célèbre, qui traite « de l’origine des espèces par voie de sélection naturelle », fut suivi de beaucoup d’autres qui contiennent le développement de son idée maîtresse, toujours exposée avec une bonne foi certaine. Cependant, Darwin a été l’un des savants les plus discutés et les plus incompris de son temps, et son œuvre donna lieu à d’ardentes polémiques qui retardèrent sa marche dans la voie des honneurs habituellement réservés aux grands chercheurs, dont les travaux patients ont fait l’humanité ce qu’elle est...

Y eut-il enfant plus réprimandé que Charles-Robert Darwin et de qui parents et professeurs désespérèrent si souvent ? On se le demande quand on lit la charmante et curieuse autobiographie que Darwin — devenu alors célèbre naturaliste — composa pour ses propres enfants.

« On me considérait comme un garçon fort ordinaire, plutôt au-dessous de la moyenne », écrit-il, non sans quelque amertume, après avoir passé en revue ses premières années d’études à l'école de Shrewsbury, sa ville natale. Et son père, le médecin Robert Darwin, nous semble maintenant fort injuste lorsqu'il disait à son fils qui l’écoutait, mortifié : « Vous ne vous souciez que de la chasse, des chiens et de la chasse aux rats, et vous serez une honte pour votre famille et pour vous-même. »

Le maître d’école ne nous paraît pas plus perspicace lorsqu’en 1823, il blâme vertement l'élève Darwin (alors âgé de quatorze ans) pour s’exercer, en compagnie de son frère Erasme, à faire de la chimie « perdant ainsi son temps à des sujets inutiles ! »

Le docteur, deux ans plus tard, décide d’envoyer son paresseux de fils à Edimbourg pour y étudier la médecine aux côtés de son frère. Mais Darwin ne mord pas plus à la médecine qu'il ne mordait aux cours des professeurs de Shrewsbury. Et de plus il a en profonde horreur les visites à l’hôpital. Ayant assisté à deux opérations graves, dont une faite sur une enfant — alors qu’on ne connaissait pas encore l’usage du chloroforme — Darwin s’enfuit avant la fin, bien décidé à ne plus jamais remettre les pieds dans cet endroit de cruelles douleurs. Pour peu qu’on ait l’âme sensible, on le comprend !

Voyant qu’il avait encore échoué dans ses projets, le docteur Darwin retire donc son fils de l’Université d’Edimbourg et l’envoie à Cambridge pour y faire ses humanités, en 1828. Le jeune homme passe la majeure partie de son temps à s'amuser de toutes les manières : chasse, courses, cartes, bons dîners forment le fond de ses occupations ! Joyeux compagnon autant qu’aimable convive, il est l’un des membres principaux du Club des Gourmets, fondé pour faire des recherches expérimentales sur les mets non encore essayés, et qui fut dissous après une expérience «indescriptible » faite sur un vieux hibou brun !

Mais si Darwin s'adonnait à la recherche des mets nouveaux, il passait aussi une grande partie de ses jours à collectionner les insectes, car il avait une passion pour la nature et la vie de tout ce qu'elle engendre.

Il se lia d’amitié avec le botaniste Henslow qui lui proposa, en 1831, d’accompagner en qualité de naturaliste, non rémunéré le capitaine Fitz-Roy chargé d’une expédition à la Terre de Feu.

Le docteur Darwin était riche. Son fils Charles-Robert, sachant qu'il n'aurait jamais besoin de travailler pour vivre, insista tellement auprès de son père que celui-ci, après bien des hésitations, finit par donner son consentement. Notre héros s'embarqua donc, en décembre 1831, sur le petit vaisseau Beagle, gros en tout et pour tout de 242 tonnes, et classé dans la catégorie des «cercueils», tant il était dans l’habitude de voir ce genre de navire couler par gros temps. L’expédition devait durer cinq ans.

Darwin nous dira dans ses mémoires -— et avec quel pittoresque ! — que cette expédition — l'événement de beaucoup le plus important de sa vie — a dépendu de la forme de son nez ! Fitz-Roy, en effet, pensait pouvoir juger du caractère d'un homme par la forme de son nez, et il s’en fallut d'un fil qu’il n’embarquât pas Darwin, ayant jugé qu’un nez comme le sien ne pouvait posséder une énergie suffisante pour un pareil voyage.

Fitz-Roy s'était trompé. Le voyage fut très pénible à Darwin qui très enclin au mal de mer, et installé avec un minimum de confort, souffrit abominablement sans jamais se plaindre. De même qu’il supporta vaillamment une grave maladie qu’il attrapa dès son arrivée à Valparaiso, qui l'obligea à garder le lit six semaines, et dont il ne se remit jamais entièrement.

C’est pendant cet exil de la mère-patrie que son goût pour la science et l’observation se développa aux dépens des autres dons. «Je découvris insensiblement, écrit encore Darwin, que le plaisir d’observer et de raisonner était beaucoup plus vif que celui des tours d adresse et du sport. Etant dans la baie du Bon-Succès à la Terre de Feu, je me souviens d’avoir pensé que je ne pouvais mieux employer ma vie qu’en ajoutant quelque chose aux sciences naturelles. Je l’ai fait aussi bien que mes facultés me l’ont permis. »

En revenant en Angleterre, en 1836, il n’avait plus qu’une idée : consacrer son existence à la science. Il s’établit à Londres pour travailler et obtint du gouvernement la somme de 25.000 francs pour son volume Voyage d un naturaliste (ou Zoologie du Voyage du Beagle), dans lequel il publia les résultats scientifiques de son expédition.

C’est à cette époque qu'il se lia avec le géologue Lyell. Et, en 1839, il épousa sa cousine Emma Wedgwood.

Londres ne réussit pas au couple. Charles-Robert y est constamment souffrant. Emma ne s’y plaît point. Darwin achète alors une propriété à Down (à une heure de Londres), et c est là qu’il devait passer le reste de sa vie, dans la solitude... et dans la verdure.

Son fils, Francis, a laissé des souvenirs fort intéressants sur le genre d’existence que mena son père. Darwin se levait tôt, faisait une courte promenade, puis lisait son courrier et travaillait durant la matinée. L'après-midi, il visitait ses serres, ses champs d’expérience ou se promenait dans la campagne en observant tout sur son passage : oiseaux, bêtes, fleurs. Il lui arrivait souvent de s’allonger sur l’herbe, et il y restait parfois dans une immobilité si parfaite que les écureuils lui grimpaient sur les jambes. Puis il rentrait pour prendre le thé, lisait son journal et répondait à toutes les lettres qu’il avait reçues sans en excepter une seule. Il aimait aussi s'allonger sur un divan en fumant des cigarettes tout en écoutant la lecture de romans. Darwin avait une passion pour les romans, surtout pour ceux qui finissent bien !

C’EST au cours de ses promenades quotidiennes, de ces jours, de ces années d'observation continue et de méditation, que Darwin établit les principes de son système. Son esprit lent, pondéré, l'entraînait à une méditation naturelle. Avant que de « disséquer » son premier mouvement était toujours d’admirer, de s'étonner. Maladroit de ses mains, il restait « muet d’admiration » quand il réussissait bien une dissection, au moyen de ses outils très simples, si simples qu'il mit des années avant de s'apercevoir que les deux micromètres qu’il employait différaient sensiblement.

Des outils simples pour son âme simple aussi, et bonne. Darwin avait horreur du bruit et de la publicité et s’intéressait avec bienveillance aux travaux des autres touchant la nature et les animaux.

L’ouvrage qui succéda à la Zoologie du Beagle fut les Récifs de Corail, qui parut en 1842. C'est une œuvre savante mais qui fut, et est encore très discutée, comme le fut presque tout l’immense travail du savant. Darwin mit huit ans pour écrire une étude sur les cirripèdes vivants ou fossiles. Et c’est pendant plus de vingt ans qu’il réfléchit à son sujet sur l'Origine des Espèces.

« Je n’oublierai jamais la surprise que j’éprouvai en déterrant un débris de tatou gigantesque semblable à un tatou vivant », écrivit Darwin. « J’entrepris alors d'étudier systématiquement les animaux et les plantes domestiques, et je vis nettement que l’influence modificatrice la plus importante réside dans la sélection de races par l'homme qui utilise pour la reproduction des individus choisis... »

Alfred-Russell Wallace ayant envoyé à Darwin un mémoire sur la Tendance des Variétés à s'écarter indéfiniment du type original, Darwin, sur le conseil de Lyell et de Hooker prit alors la décision de publier un Résumé de ses notes. Son livre, l’Origine des Espèces, n'est que ce résumé. Il parut en 1859.

Il ne nous appartient pas de juger ici l'œuvre de Darwin, ni sa doctrine. Mais il est bon de dire avec quelle foi et quelle ferveur elle fut écrite.

Dès sa parution, elle suscita, naturellement, une forte polémique. Nombre de savants se rallièrent à cette nouvelle doctrine, d’autres, tels Agassiz, le naturaliste suisse, et le physiologiste français Flourens, s’élevèrent contre. Les passions religieuses et sociales prirent, elles aussi, parti dans la querelle. On prétendit que la Bible avait depuis longtemps tranché la question et Darwin, l'homme si modeste, si simple, si solitaire, se vit la proie de luttes fantastiques qui mirent bien du temps à s’apaiser.

 Pour essayer de calmer les esprits, Darwin publia son livre sur les Variations des animaux et des plantes à l’état domestique dans lequel il montre le parti que l’homme a tiré de la sélection artificielle pour la création de variétés nouvelles. Et puis, de merveilleuses études sur la Fécondation des Orchidées. L’Expression des Emotions chez l’homme et les animaux, les Mouvements et les habitudes des plantes grimpantes, etc., etc.

Ces ouvrages sont des fruits merveilleux d’observations aussi patientes qu’ingénieuses, et bien qu’on n’en ait pas tant parlé que de l’Origine des Espèces, ces œuvres purement scientifiques de Darwin resteront des plus belles qui soient. L’ennemi des honneurs se vit tout à coup élevé aux plus hautes dignités. En 1868 la Société Royale de Londres lui décerna la plus grande récompense possible : la médaille de Copley, spécifiant toutefois que c’était pour récompenser non l’auteur de l’Origine des Espèces, mais celui des Récifs de Corail, des Recherches sur les Cirripèdes, du Voyage d'un Naturaliste.

Les livres de Darwin ayant été traduits dans la plupart des pays d'Europe, en 1878 l’Académie des Sciences de Paris le prie d’entrer comme membre dans la section de botanique. Berlin fait de même. Turin lui décerne un prix de 12.000 francs.

Partout, le monde scientifique, enfin éclairé sur la réelle bonne foi de l’illustre biologiste, s’incline devant sa valeur et l’énorme somme de labeur fournie au cours d’une carrière presque entièrement consacrée à résoudre les plus difficiles problèmes, c’est-à-dire aux questions ayant trait non seulement à l'origine des espèces, mais encore et surtout aux recherches, souvent pleines d'imprévu, que permet l'étude du vaste domaine offert par les sciences naturelles.

 

A partir de ce moment, l’opinion du monde savant à l’égard du grand Robert Darwin évolue complètement, et chacun s'accorde à reconnaître au célèbre chercheur, à l’érudit naturaliste, le titre de « plus grand savant de son temps ».

 Ce brusque revirement qui ne cessera de modifier dans un sens favorable l’état des esprits même les moins prévenus en sa faveur, sera un juste dédommagement pour Charles- Robert Darwin et la consécration de son savoir, de sa valeur scientifique et de sa bonne foi mis au service du progrès et de l’humanité, toujours préoccupé qu’il fut de résoudre quelques-uns des problèmes soumis au jugement du monde savant.

Profondément touché des marques d’estime qui lui viennent de tous les pays et de la haute autorité que lui reconnaissent toutes les académies et tous les instituts d’Europe, Darwin ne gardera pas rancune à ses anciens adversaires et contradicteurs. En véritable savant, uniquement attaché à la recherche du vrai et soucieux d’accroître le bagage de connaissances de ses contemporains, il saura s'élever au- dessus des querelles mesquines et des questions de personne, et il oubliera — comme le fera plus tard le grand et génial Pasteur — les attaques injustes et parfois, hélas ! hypocrites et intéressées, de ceux qui, amendés, éclairés ou contraints par leurs pairs, renoncent à le combattre pour se joindre à ses innombrables admirateurs. Et ce bel exemple de loyauté et de magnanimité sera tout à l’honneur de Darwin, qui trouvera dans l’hommage rendu à son œuvre une suffisante récompense à sa vie d'étude et de travail.

Darwin connaît la gloire, le monde entier acclame le grand devin des bêtes et de la nature. Mais Darwin se fait vieux et de plus il souffre d'une maladie de cœur.

C’est d'une crise cardiaque qu'il mourra le 19 février 1882. Quand ils apprirent sa mort, plusieurs membres du Parlement demandèrent et obtinrent que le corps du grand homme fut placé à Westminster. Darwin repose donc maintenant non loin de Newton et des souverains anglais. Les mânes du docteur de Shrewsbury doivent être tranquilles, son fils Charles-Robert, après tout, ne l’aura pas déshonoré ! Simone Saint-Clair

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