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Vie de La Brochure
2 décembre 2023

Daniel Bensaïd sur l'Humanité en 1997

Daniel Bensaïd

En 1997 certains communistes ont dû penser : tout peut arriver. En effet un dirigeant de la LCR, avec photo à l'appui, sur L'Humanité c'était impensable seulement quatre ans avant !

Robert Hue jouait l'ouverture  pendant que des ministres communistes étaient au gouvernement.

En 1993, il m'est arrivé d'être à une tribune à côté de Bensaïd (1946-2010), et si sur le plan philosophique il jouait la carte du débat, sur le plan politique c'était la langue de bois. Son "pari mélancolique" a fait discuter au sein même de son parti mais le compte-rendu du débat ci-dessous ne me semble pas de nature à en cerner les éléments. Je le donne seulement comme document.

Et j'ajoute le résultat de l'élection présidentielle suivante en 2002 : Robert Hue 3,37% et pour la LCR (devenue le NPA) Olivier Besancenot : 4,25%. La LCF faisant mieux que le PCF ! JPD.

 

L’Humanité 2 décembre 1997

 Daniel Bensaïd : du bon usage des défaites

Le philosophe expose son "Pari mélancolique" au café philosophique Regards-Espaces Marx

 D’UNE rencontre à l’autre... De l’art de « prendre son temps pour ne pas en perdre », parce que les raccourcis sont meurtriers — lors du précédent débat sur « le cynisme » [1] — à l’idée que « le débat citoyen prend du temps, quand, de manière contradictoire, il est confronté à des échéances brusques», pour ne rien dire de « la difficile mise en cohérence » : par exemple, ce que l’on appelle la «mondialisation » et que Daniel Bensaïd préfère, lui, nommer «aboutissement de l’universalisation des rapports marchands »...

D’une rencontre à l’autre, de l'espace  Regards» à Espaces Marx, c’est bien «l’air du temps » qui est ainsi interrogé et, avec lui, la question de la transformation sociale elle-même : s’il n’y a plus de lois mécaniques pour une histoire avançant vers un but prédéterminé, pas plus que de «fatalité» pour un «avenir radieux», alors la politique est une sorte de «pari», et l'engagement révolutionnaire — que Bensaïd compare à l’art ou à l’amour — relève à la fois du nécessaire et de l’improbable.

Le philosophe prend d'abord le risque du «dépaysement». Il lit un texte : « On prétend aujourd’hui que les systèmes sont épuisés, que l’on tourne sur soi en politique, que les caractères sont effacés, les esprits las, qu’il n’y a rien à faire, rien à trouver, qu’aucun chemin ne se présente, que l'espace est fermé. Sans doute, quand on reste à la même place, c’est le même cercle de l’horizon qui pèse sur la terre, mais avancez, osez déchirer le voile qui vous enveloppe et regardez, si toutefois vous n’avez peur et n’aimez mieux fermer les yeux. » Il dit : «On dirait un diagnostic sur l'époque. En fait, il s’agit d’une citation des «Mémoires d’outre-tombe» de Chateaubriand »... Alors, oui, aujourd'hui, en effet, «époque de Restauration, de Contre-Réforme sur toute la ligne», mais aussi «époque de gestation d'un renouveau, de redéfinitions, étant entendu que l’histoire ne s’arrête pas là»...

Silence dans la salle — on verra plus tard qu’il n’avait pas vraiment valeur d’approbation générale. C’est que, demande Bensaïd, « y a-t-il encore un espace pour un projet commun », ce qui est la définition même de la politique? Sa « crise » ne renvoie-t-elle pas à tout ce qui semblait être constitué depuis le XVe siècle, depuis Machiavel, où l’on tenait pour acquis certains rapports d’espaces — le territoire, la souveraineté — et certains rapports de temps — avec un horizon de prévisions possibles? Ecroulements — celui du Mur, mais pas seulement — changements d'ère quand semble dominer ce « couple infernal » d’une « homogénéisation du monde par les rapports marchands » et de « défenses sur le mode des communautarismes et des replis identitaires de toutes sortes ».

Alors, oui, repenser les espaces : «Où sont aujourd’hui les instances de décision? A quels niveaux peut s’exercer un contrôle citoyen? Et que sera demain, en France, l’idée même de citoyen, dont l’actuel débat sur l’immigration montre qu’il met en jeu la société que nous voulons être?»

Alors, oui, repenser le temps : « La démocratie, c’est du temps, c’est une machine à refroidir, serons-nous capables d’imposer des ralentissements? Qu’engage-t-on aujourd’hui de l'avenir de l’espèce humaine quand certaines décisions, par exemple en matière d’écologie, portent sur cinquante ou cent ans ? Comment inventer des espaces de dialogues qui articulent des temps différents ? » Questions délibérément laissées ouvertes... Tout comme celle du «pari», de «la révolution» : «Dès lors que l’on s’assume dans une histoire ouverte, démilitarisée, il y a un pari à prendre, celui de l’engagement laïcisé, à partir de vérités relatives et d'une part d’incertitudes »... Dans la salle, le propos dérange : et « l'idéal à quoi se raccrocher? » Et Hegel et « les lois de l’histoire »? Et pourquoi « la mélancolie »? Et puis « ces victorieuses défaites », Péguy, Baudelaire, à quoi ça rime? Bensaïd inquiète. Et d’abord quelques-uns de ses amis, qui attaché à «l’idée que militer relève de la nécessité », qui soucieux de le voir dire plus nettement qu’il y encore place pour « l’idée de progrès » ou pour la « lutte des classes ».

Bensaïd persiste : oui, «il peut y avoir un bon usage des défaites» ; oui, «il faut savoir prendre le temps, surtout s'il y a des urgences»; oui, il trouve toujours du «plaisir à militer», pas par discipline, mais «pour trouver des réponses avec d’autres»; oui, il est «fidèle à la mémoire des vaincus, à celle des Communards par exemple, mais le sens qu’aura cette fidélité dépendra de ce que nous allons faire maintenant»; oui, on peut dire d'Octobre 17 ce que Kant disait de la Révolution française — «C’est une promesse qui ne s’oublie pas» — mais «le capitalisme bouge et il nous faut bouger avec»; oui, «un Etat national a les moyens de provoquer une crise à l’échelle d’un continent», oui, «nous avons besoin de beaucoup plus de nouvelles solidarités, et on peut les dire internationales : avec un trait d’union, c’est le bon mot»... C’est alors que, contrainte de l’horaire, il fallut arrêter là le débat...

JEAN-PAUL MONFERRAN



[1] Voir « l'Humanité » du 22 novembre 1997

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