Judith Cladel sur la revue Etudes en 1936

Etudes 1^er octobre 1936

Judith CLADEL. Rodin. Sa Vie glorieuse et inconnue. Paris, Grasset, 1936. In-8 écu, 460 pages, avec 4 hors-texte. Prix 30 francs.

 Judith Cladel nous découvre le mystère d'une vie de souffrance et de gloire, d'une amitié à la fois fidèle et inconstante, dont elle a connu les délicatesses comme les étranges ingratitudes. Long récit conduit avec simplicité parmi les souvenirs, les documents, les écrits qu'a laissés dans son sillage la vie du grand sculpteur. Nous sommes émus, sans être étonnés, de découvrir par quels chemins obscurs ce génie fut mené à la gloire. Il semble que la pauvreté, les échecs, les critiques, constituent pour ces hommes une part des obstacles à vaincre pour obtenir de leur art son efficacité. Ainsi, au moment des grandes attaques, lorsque l' « affaire du Balzac » déchaîne en France les critiques et les sarcasmes, Rodin prend sur les meilleurs de ses contemporains l'influence que possèdent un écrivain, un savant, un penseur. « Sa simple et solide philosophie les fortifiait son exemple les exhortait aux vertus de l'étude et du travail son œuvre splendide les exaltait son panthéisme leur désignait les véritables sources du bonheur. » Toutefois, il est d'autres sources de bonheur Véritable et d'inspiration qui lui demeurèrent toujours fermées.

Plus encore que cette révélation d'un génie, cet ouvrage nous livre un Rodin secret le Rodin violent, influençable, jouet de ses impressions et de son cœur, trahissant ses plus sûrs amis. Sur un fond calme où, malgré les apparences, demeure la fidélité à un premier amour, se dessinent les lignes enchevêtrées des aventures plus ou moins tristes où Rodin est entraîné et qui aboutissent sur le tard à un concours de conspiratrices acharnées à dilapider son œuvre. Reprocherons-nous à Judith Cladel de se perdre parfois dans le récit des démarches qu'elle entreprit, des luttes et des incompréhensions qu'elle eut à surmonter pour sauvegarder cette œuvre ? Nous n'osons le faire tant nous comprenons que sa cause fut celle du grand artiste. Beau témoignage de l'amitié que ce dévouement maintenu envers et contre tous, parfois contre Rodin lui-même.