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Vie de La Brochure
24 septembre 2015

La mort de Carmen Balcells

balcells

J’étais en Espagne au moment de la mort de Carmen Balcells ce qui n’a cependant aucun lien de cause à effet. Elle est morte à Barcelone et j’étais au Pays Basque. Je ne sais si les journaux français ont évoqué cet événement mais il a secoué le milieu littéraire surtout latino-américain. Vargas Llosa a été le premier à témoigner de sa tristesse et tous les journaux au Pérou ou ailleurs ont sorti des archives la même photo où on voit Carmen, la seule femme, tenir un ballon et autour d’elle Gabo le Colombien, Jorge Edwards le Chilien, Vargas Llosa le Péruvien, et José Donoso. Un autre écrivain est sur la photo mais n’étant pas latino-américain il n’est pas sur la légende. J’y reviendrai.

D’autres latinos auraient pu s’y trouver comme le Péruvien radicalement opposé à Vargas Llosa, Bryce-Echenique, le Mexicain Carlos Fuentes ou Julio Cortazar.

Elle fut leur « mère poule » au début des années 70 au moment de ce qu’on a appelé le « boum latino-américain », événement littéraire en lien avec des événements allant de Fidel à Pinochet en passant par Guevara.

Carmen Balcells s’était changé en agent littéraire, une profession qu’elle inventa pour que, d’un côté les éditeurs fassent mieux leur travail, et pour que de l’autre les écrivains puissent créer encore plus ! Rien ne la destinait à cette fonction aux conséquences phénoménales (et je n’exagère pas). Secrétaire tout d’abord de l’écrivain roumain Vintilia Horia, elle aurait pu conserver ce rôle féminin classique de la femme dans l’ombre de la création.

Tout débuta par « Cent ans de solitude » dont le lecteur d’aujourd’hui pense que la publication allait de soi. Gabriel García Márquez ne pouvait rien espérer du monde editorial de son pays et il passa donc par Barcelone et Carmen Balcells pour atteindre un public.

Des Catalans ne furent pas oubliés par elle : Juan Goytisolo, Manuel Vázquez Montalban, Juan Marsé, Camilo José Cela, y Eduardo Mendoza. Le plus souvent ils surent lui rendre hommage et vous n’allez pas être étonné si je me réfère à celui de Vázquez Montalban, l’homme qui est justement sur la photo sans voir son nom sur la légende.

Il rappelle dans un beau texte :

« Aujourd'hui, 26 de mai de l'an 2000, le roi d'Espagne, par une courte pause dans son emploi du temps serré de grand-père heureux, a donné la médaille d'or du Mérite des Beaux-arts à Doña Carmen Balcells, super agent littéraire qui restera dans l'histoire de la littérature mondiale pour son engagement prométhéen à voler les auteurs aux éditeurs, pour leur construire la condition d'écrivains libres sur le marché libre. Jusqu'à Carmen Balcells, les écrivains signaient pour la vie des contrats avec les éditeurs, percevaient des revenus minables et parfois, comme récompense, ils obtenaient des dons en nature, par exemple, un pull ou un fromage Stilton. Beaucoup d'auteurs ont souffert du syndrome de Stockholm en ce qui concerne les éditeurs, et il est dit qu'un célèbre et révéré aujourd'hui grand auteur catalan, a été offusqué quand on lui a offert un chèque en blanc et qu’il a préféré suivre le régime de production esclavagiste. »

 Auparavant la relation entre auteur et éditeur était de l’ordre du paternalisme et Carmen Balcells a tout changé :

« Avant que les joueurs de foot ne l'obtiennent, Carmen Balcells a limité le droit de rétention des écrivains et aida les éditeurs à découvrir leurs bonnes intentions, réprimées par un sens mal compris de leurs fonctions. Grâce à Carmen Balcells j'ai vu des écrivains et éditeurs heureux, même des amis, bien que la légende de la Superagente raconte qu'une fois d'importants éditeurs nationaux et internationaux se sont réunis pour convenir d'un boycott de la professionnelle agressive. Ils ont jamais respecté l'accord auquel ils étaient parvenus parce que la Dame Balcells disposait d'un portefeuille d'écrivains essentiels à l'écosystème de l'édition. »

 Par la suite Manolo explique ses relations avec Carmen qui ont pris un tournant constant le lendemain de sa victoire au Planeta (1979) car, à 40 ans, il se découvrait à la fois écrivain compétitif et fatigué de se battre avec des éditeurs qui en guise de salaires anticipés ont parfois tardé 10 ans avant de le payer, ou même ne le payèrent jamais.

 Il avait lui aussi fait appel à elle dès le début dans années 70 pour la publication en 1972 de j'ai tué Kennedy, mais Carmen tout en estimant que le « roman concret » pourrait avoir un succès national et même international, a échoué : « la première édition a rapidement été soldée dans quelques magasins analphabète qui aujourd'hui sont devenus les principaux vendeurs de livres ».

 Leur deuxième rencontre s’est produite suite à son commentaire humoristique paru dans la presse sur la super-agent littéraire autorisé à tuer comme James Bond, et malgré tout, jamais Carmen n’a commencé une conversation avec lui en présence d’une arme à feu sur la table.

 Pour comprendre le cas Balcells imaginait qu’un pape aille à Cuba et qu’en conséquence elle se présente à la rédaction du plus grand journal en promettant des reportages sur le voyage d’une des plumes les mieux inspirées par le sujet et qu’elle obtienne son accord, puis se dirigeant vers un gros éditeur elle promet un beau livre sur le sujet, pouvant ainsi aller voir l’écrivain pour lui dire : je te propose à un très bon prix un voyage gratuit chez Castro pour rendre compte du voyage du pape dans la presse et par un livre. Comment l’écrivain aurait-il pu refuser vu les tarifs annoncés ? Quant à la commission de Balcells c’était son problème…

Jean-Paul Damaggio

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