Du « bon sauvage » à travers tous les temps
Le titre est un peu prétentieux pour cette note brève mais les lecteurs sauront en élargir le sens au-delà de ces quelques mots.
Le mythe du « bon sauvage » n’est ni de l’ordre de l’histoire, de la philosophie, de la politique ou de l’idéologie. Il est encore moins de l’ordre de l’anthropologie ou de l’ethnologie. Il est de tous les ordres en même temps d’où son actualité INEVITABLE.
Je viens de m’y heurter à nouveau à partir de la lecture d’Alexandre de Humboldt (1769-1859), ce savant voyageur qui a eu l’audace de confronter toutes les lectures de l’époque aux observations directes, en divers points des Amériques.
1 ) Du côté du « bon sauvage »
Les promoteurs du mythe n’étaient pas des ignorants même si leurs connaissances des mondes indiens étaient modestes. Des autochtones, ils ne voulaient retenir qu’un point : ils n’avaient pas été « pourris » par la « civilisation », et exprimaient donc un âge d’or ancien qui prouvait qu’un âge d’or nouveau pouvait naître de l’effondrement du système féodal qu’ils souhaitaient.
2 ) Du côté du discours sur les sauvages
"La civilisation" ayant découvert puis conquis tout le continent, ne pouvait parler que de « sauvages » et, ainsi, par son comportement, se condamnait elle-même en tant que "civilisation", apportant donc de l’eau au moulin de ceux qui voulaient abattre le système féodal. Qui étaient les plus sauvages : les tranquilles indiens où les colons assassins ?
3 ) Dans un camp comme dans l’autre, les peuples découverts n’étaient qu’un moyen de régler des questions, propres aux Européens ! Dans un camp comme dans l’autre la connaissance réelle de la vie aux Amériques était totalement secondaire et comme toujours dans de tels cas, les deux camps s’épaulaient parfaitement. « Vous êtes pour les bonheurs de l’état de nature ? Vous êtes donc pour le cannibalisme ! ». « Vous êtes contre le cannibalisme or, c’est vous les cannibales ! »
4 ) Humboldt, parce qu’il connaissait parfaitement bien cette polémique, pouvait à la fois en être influencé et détaché suivant les rencontres physiques, qu’il opérait sur le continent. Aussi son apport est unique aux yeux de l'historien (pas ceux des USA mais c'est une autre histoire).
Humboldt s’affronte à la réalité et de ce fait tue les rêveries, les légendes et quoi de plus triste que de tuer les rêveries car les adeptes du bon sauvage sont bien sûr du côté du rêve et de l'utopie !
Mais, depuis, les études scientifiques ont pu démontrer par exemple qu’en 1491 l’empire le plus puissant du monde n’était pas l’empire ottoman, russe, hinois ou du Zimbabwe mais l’empire Inca qui, contre les civilisations précédentes, a utilisé les mêmes méthodes que celles des Espagnols contre eux ! Ce qui, au nom du "bon sauvage" n'empêcha pas ensuite de traiter cette civilisation de "socialiste" pour diverses raisons qui n'en sont pas ! Parmi les nombreuses ruines autochtones qu'il m'a été donné de visiter, celles de Chan Chan près de Trujillo au Pérou (une civilisation pré-inca détruite par les Incas peu de temps avant l'arrivée des Espagnols) m'ont paru les plus fabuleuses.
Le « bon sauvage » est-il un mythe perdu ? Tous les mythes se recyclent car ils s’appuient sur des traits profonds de la pensée humaine, indéracinables comme toute religion. A l’heure du retour à la nature, cette nature si bonne d’avant l’homme, à l’heure d’une écologie bucolique il reste toujours quelque part un indien pour faire rêver l’Europe (pour les USA c’est une autre histoire). Et je veux bien rêver comme moyen de changer le monde, mais rêver à un monde sans mythes !
En fait l’histoire se répète : par exemple avec « le bon arabe ». Mais ce n’est pas ici que je vais m’en expliquer. J-P Damaggio