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Vie de La Brochure
21 mai 2016

Extrême-droite en Autriche années 2000

autriche

Dans une étude jamais terminée sur l’extrême-droite, j’avais consacré le chapitre ci-dessous au cas de l’Autriche. Il s’agit d’un pays que j’ai  surtout croisé en lisant Thomas Bernhard et son roman Extinction un effondrement. On ne peut pas sortir indemne d’une telle lecture. L’actualité m’incite donc à revoir ce moment des années 1990-2000 où je commente un dossier de l’Humanité et un de Marianne. J-P Damaggio

 « Coup de tonnerre »[1] n’est peut-être pas le terme exact car la montée de l’extrême-droite en Autriche vient de loin. Mais le pas franchi en ce mois de février 2000 est considérable puisque 6 députés du parti FPÖ (fondé en 1956 par des anciens SS) entrent au gouvernement national du pays, d’où des manifestations diverses, des prises de position et des tonnes d’articles. Rappelons qu’en mars 1999 Jörg Haider était devenu le gouverneur de Carinthie.

Comme une poussée de fièvre, l’Autriche a enflammé un temps l’actualité pour disparaître peu après, comme si tout était entré dans l’ordre. Je ne sais plus d’où vient le slogan grossier : « Nous sommes tous des … » mais il soigne les rides de la vie sans rien apporter à l’analyse de l’état de notre vieillesse.

 Comme toujours, nous allons assister à une empoignade classique : le FPÖ est-il un parti surtout xénophobe ou un parti adapté au capitalisme d’aujourd’hui ?

Jean-Yves Camus[2] :

« L’essentiel du programme d’Haider concerne l’économie et la question sociale. Or, dans ce domaine, le FPÖ ne retient rien de l’étatisme nazi ou du corporatisme catholique de l’austro-fascisme des années trente : c’est une formation ultra libérale pour qui la dérégulation massive est seule susceptible d’apporter la compétitivité, et de réguler le marché de l’emploi ».

Question fondamentale : « comment des partis nationaux populistes arrivent-ils à drainer une part croissante de l’électorat populaire en lui proposant un programme de moins d’Etat, moins d’impôts, moins d’acquis sociaux » ? (les études indiquent que le FPÖ rassemblent 48% des ouvriers et 35% des moins de trente ans).

Réponse : grâce au bouc émissaire de l’étranger. Question sociale et xénophobie s’imbriquent donc parfaitement.

Ajoutons, pour le cas de l’Autriche, le blocage du système politique qui depuis quarante ans se partage entre les deux partis dominants. «Ce népotisme institutionnel s’étend à l’attribution des appartements, aux nominations des profs, des gardiens, des portiers, des facteurs etc. Vingt ans de népotisme corrupteur institutionnel c’est assez pour enrager un peu. La culpabilité se partage entre sociaux-démocrates et conservateurs.» indique l’écrivaine Catherine Clément[3].

Autant dire que nous sommes face à l’autre question traditionnelle : quelle est la part du passé et celle de l’actualité dans le choix des Autrichiens ?

Catherine Clément reconnaît que Haider bénéficie des votes des ouvriers « largement déstabilisés par la mondialisation » tout en rappelant que nous sommes dans un des pays les plus prospères d’Europe !

Catherine Clément a vécu cinq ans en Autriche et note : «Le bouc émissaire a changé. Ce n’est plus le juif et pour cause : de 300 000 avant la guerre, la communauté juive s’est retrouvée à quelques milliers après la Shoah, et compte maintenant 11 000 membres. Non, le bouc émissaire n’est plus le juif, c’est le pauvres des pays de l’Est, le Turc, le Bosniaque, le Slovène, le Serbo-Croate, le Tzigane. Pour la minorité nostalgique du nazisme, le racisme n’a pas changé de nature mais de cible.»

Bref, le fascisme autrichien a réveillé l’antifascisme européen mais sous quelle forme? C’est le point toujours crucial de ce livre[4] : comment résister à cette poussée d’extrême-droite ? Par la manifestation, le boycott des activités culturelles du gouvernement, les pétitions etc. A Vienne, l’autre Autriche a occupé la rue : ils étaient 300 000 le samedi 19 février 2000 dans une manifestation sans égal depuis 50 ans. J’appelle cette réponse : l’activisme. Le cri de colère c’est : «Widerstand» soit «Résistance ». En guise de réflexion ce slogan : «Extrémisme du marché, extrémisme de droite sont les deux côtés d’une même médaille.»

Bruno Odent rendant compte de cette manif écrit dans le cadre d’un optimisme classique en de telles occasions :

« La manif marquera sans doute la fin de l’après-guerre pour l’Autriche. La période de la guerre froide avait en effet contribué à façonner la personnalité du pays. D’autant plus tenté par le nivellement consensuel et le refoulement de son passé nazi, qu’il constituait une plaque tournante entre deux systèmes rivaux, et qu’à l’Ouest comme à l’Est, on voyait dans ce «gel» de l’Autriche, situé à la croisée des deux blocs, comme une sorte de garantie de stabilité. »

Fodé Sylla lance alors un intergroupe parlementaire antiraciste à Strasbourg. Quel est le bilan de cette initiative aujourd’hui ?

 Le FPÖ a commencé à sortir de la marginalité aux législatives de 1994 avec 22,5%, score qu’il a confirmé en 1995 (21,9) et surtout en 1999 (26,9%). Mais son passage par le pouvoir n’a pas convaincu, ce qui fait qu’en 2002 la droite prend sa revanche avec 42,3% (seulement 26,9 en 1999), le SOÖ (les socialistes) se maintient autour des 35% avec 36,5% et le FPÖ s’effondre avec 10%. Depuis, on assiste à une remontée électorale avec 18% en 2008, un autre parti d’extrême-droite faisant lui 11% ! Les partis en place s’effondrent et aucun autre parti, n’est né à gauche.

Bilan en 2012-2013 le retour de l’extrême droite au pouvoir semble possible malgré les effets de la corruption agissant sur tous les partis de la même façon.

 Etrangement le spécial Autriche de l’Humanité n’évoque pas le coupable que Jean-François Kahn met au premier plan, dans Marianne du 7 février 2000 : L’Europe. Pas la politique européenne en général, mais la décision de l’Europe qui après des mois de tractations entre droite et extrême-droite à Vienne, décide des sanctions contre le pays au moment où il n’y a pas d’autre solution pour le gouverner que d’accepter des représentants du FPÖ : «Une Autriche mise publiquement et très confortablement au ban de la bien pensance continuera tout de même de siéger dans les institutions européennes. »

Ce point de vue est appuyé dans le journal par l’envoyé spécial à Vienne, Patrick Girard. Les mesures de l’Europe risquent en fait d’aider Haider :

«On ne sait pas si les Autrichiens méritent Haider, mais nous les méritons, car ils sont le fruit de nos médiocres calculs géopolitiques et de nos lâchetés diplomatiques. D’où leur très compréhensive réaction d’indignation devant les tentatives de diabolisation dont ils sont l’objet et qui procèdent de la société du spectacle dans ce qu’elle a de plus caricatural. Rien de plus ridicule et inadéquat que ces députés belges arborant l’étoile jaune.»

L’histoire n’a pas donné raison  à ce point de vue ; au contraire deux ans après le FPÖ passe de 26% à 10% la droite ordinaire récupérant tout cet électorat en passant de 26% à 42%. Ceci étant l’article de Patrick Girard est un des rares à aller au-delà des effets circonstanciels pour se poser les questions générales quant à la situation de l’Autriche : « Bastion avancé de l’Europe de Schengen face à l’inquiétant glacier de l’ancien bloc soviétique, l’Autriche joue à se faire peur en imaginant que les Turcs sont à nouveau aux portes de la capitale, comme ce fut le cas en 1683 ; qu’ils sont l’avant-garde d’une cohorte de Scrylhes et de Kalmouks prêts à fondre sur eux pour violer leurs fils, leurs filles et leurs compagnes.»

Une extrême-droite qui ne s’expliquerait pas seulement par la crise économique (le chômage est inexistant) mais aussi par la position géopolitique ? Ceci étant c’est le mot fasciste qui est mis en référence dans l’article de Marianne.



[1] Titre classique de la presse

[2] Politologue auteur de Les extrémismes en Europe, CERA-Editions de l’Aube, 1998, article de l’Humanité du 21 février 2000.

[3] Au moment de cette page de l’Humanité du 8 février 2000 elle vient de publier, Jésus au bûcher au Seuil

[4] D’où est extrait le cas autrichien.

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