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Vie de La Brochure
28 février 2018

Siné : Milagro Sala, la prisonnière du président Macri

milagro sala siné

Siné Mensuel n°72 - février 2018

(Pour compléter l'article précédent. JPD)

 Des grilles qui servent de murs d'enceinte, gardées 24 heures sur 24 par une trentaine de gendarmes. Des barbelés qui surplombent la maison située à quelques centaines de mètres. C'est là, au milieu de la campagne du Nord-Ouest argentin, qu'est désormais incarcérée Milagro Sala. Si elle ne peut sortir de cette maison prison, elle a le droit d'y vivre avec sa famille. Ce n'est pas la liberté mais c'est un peu mieux que ses deux années d'emprisonnement au centre pénitentiaire de San Salvador de Jujuy. Cette amélioration des conditions de détention, elle la doit à la Cour suprême d'Argentine qui, en décembre dernier, ordonnait son transfert. Une première victoire pour cette militante de 54 ans, petite, cheveux noirs et visage tanné des Indiens Kolla, qui se bat contre sa détention arbitraire.

Qu'a-t-elle donc fait pour devenir la prisonnière la plus célèbre du président Macri ? Pourquoi le gouverneur de la province de Jujuy, un proche du président argentin, a-t-il décidé de détruire cette syndicaliste, femme politique élue députée pendant deux ans et membre du Parlasur(1) ? Pour ses détracteurs, elle n'est qu'une usurpatrice ayant créé un État dans l'État, en utilisant la violence, la corruption et le détournement de fonds. Pour ses partisans, elle incarne la lutte héroïque en faveur des plus pauvres à qui elle a redonné fierté, dignité et du travail. Une certitude : Milagro Sala puise sa détermination dans l'expérience vécue de l'injustice faite aux démunis.

Milagro sala pagina 12

Née le 20 février 1964 à Jujuy, elle est abandonnée dans un carton devant l'hôpital. Adoptée par une famille de la classe moyenne, elle la quittera à 14 ans pour aller vivre dans la rue. Vols, trafic de drogue. A 18 ans, elle est poursuivie pour tentative de meurtre. Elle passera plusieurs mois en prison avant d'être acquittée. À sa libération, elle décide d'aider les plus pauvres. Quelques années plus tard, elle crée la Tupac Amaru, du nom d'un chef inca qui, au XVIIIe siècle, mena la rébellion anti-espagnole avant d'être capturé et condamné à mort par écartèlement. Milagro Sala organise des goûters pour les enfants qui n'ont rien à manger, «les verres de lait», elle implique les mères, appelle à l'entraide. Mais elle voit plus grand.

Dès 2004, elle fait construire dans la banlieue de Jujuy des coopératives, des centres de santé, de loisirs et d'informatique, des écoles, un lycée et une immense piscine. Et pour ceux qui n'ont pas de toit, elle fait bâtir près de huit mille maisons, toutes identiques, alignées les unes à côté des autres, blanches. Le loyer est dérisoire, 100 pesos, soit 5 euros, le reste est gratuit. Pour cela, elle a accepté de l'argent de Nestor Kirchner, puis de sa femme Cristina, tous deux anciens présidents de l'Argentine, ennemis jurés de l'actuel chef de l'État argentin. Dès son élection, en décembre 2015, les difficultés commencent pour Milagro Sala. Quatre semaines plus tard, elle est arrêtée, accusée de détournement de fonds, et jetée au cachot. Ses proches sont également incarcérés.

Deux ans après, c'est un désastre. Ses partisans, qui ont été jusqu'à 70000, ont faibli. Certains l'ont trahie. Aujourd'hui, beaucoup se font discrets. Restent les fidèles, comme Yapura Ariel qui fait visiter Alto Comedero, le plus grand quartier de la Tupac Amaru. Ici, l'usine de métal aux portes fermées. Là, le centre de soins saccagé. Il ne reste rien des cabinets dentaires, du laboratoire, rien des dossiers médicaux qui ont été brûlés. Par qui ? Aucune enquête n'a été ouverte. Même les robinets ont été volés. Le temple dédié à Pachamama, la déesse Terre-Mère célébrée par les Indiens chaque 1er août, est en piteux état. Ses statues en béton laissent apparaître les tiges en métal, les marches de pierre sont descellées. « La dernière fois que nous nous sommes rassemblés pour la fêter, on était assis, tranquilles, attendant le lever du soleil. Les policiers sont venus et nous ont chassés à coups de ma   traques», raconte le tupacero. D'un geste de dépit, il montre le car de policiers stationné en contrebas. D'un autre geste, il désigne le centre aquatique où nageaient des centaines d'enfants. Milagro Sala voulait qu'ils connaissent cette joie, elle dont l'entrée à la piscine avait été interdite à cause de la couleur de sa peau. Il est vide désormais. Le gouverneur a fait couper l'eau. La peinture bleue est écaillée. Le fond se craquelle. Ne reste que le silence de ce quartier où les habitants semblent avoir disparu. Au milieu de cette désolation, une magnifique route en goudron frais contraste avec les rues en terre battue. L'arrivée du gouverneur est annoncée. Les infrastructures ne sont pas perdues pour tout le monde. Gerardo Morales s'est approprié le lycée, les écoles aussi. Il va remettre en eau le petit bassin du centre aquatique, transformer le plus grand en stade.

Que deviendra Alto Comedero ? Se souviendra-t-on de son histoire, de l'énergie et du caractère bien trempé de la femme qui l'a initié, aujourd'hui réduite au silence ? Car, de cette maison prison, d'où même si elle criait on ne pourrait pas l'entendre, elle n'est pas sortie rencontrer des journalistes. Cette femme qui a bravé le pouvoir en proclamant bien fort le droit des Indiens et des pauvres est-elle réduite au silence jusqu'à son procès ? Son comité de soutien ne lâche rien. Les organisations des droits de l'homme, des intellectuels, les mouvements sociaux, le Parlement européen, Verts et socialistes se sont rangés à ses côtés. Amnesty International a porté son cas au président Macron qui recevait son homologue argentin le 26 janvier. Un cas qui a traversé les frontières. Trois livres viennent d'être édités dont un en français. Pour que la voix de Milagro Sala, « celle qu'on transforme en meurtrière et en voleuse pour la faire disparaître », écrit Alicia Dujovne Ortiz(2), continue d'exister. VÉRONIQUE BROCARD

(1) El Parlasur est le Parlement du Mercosur, la communauté économique d'Amérique du Sud. Il compte 90 députés : 18 par pays membre (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay et Venezuela).

(2) Milagro Sala, l'étincelle d'un peuple, d'Alicia Dujovne Ortiz, éd. des Femmes.

 

L'ARGENTINE, UN PAYS SOUS HAUTES TENSIONS

Le pays, dont la fièvre politique et les difficultés économiques sont endémiques, vit au rythme de nombreuses tensions sociales, judiciaires et législatives. Mauricio Macri, président néolibéral élu il y a deux ans, veut faire disparaître l'action des Kirchner de centre gauche (Nestor élu en 2003, mort en 2010, puis sa femme Cristina qui lui succédera jusqu'en 2015) et de leurs soutiens. Il leur a déclaré la guerre en les accusant de corruption, voire d'assassinats. Le 25 octobre 2017, Julio De Vido, ancien ministre des Travaux publics et homme fort de Nestor Kirchner, a été incarcéré. Amado Boudou, l'ancien ministre de l'Économie et vice-président de Cristina Kirchner, a été placé en détention préventive le 3 novembre 2017 dans une affaire d'enrichissement illicite et de blanchiment d'argent. Quant à l'ancienne chef de l'État, elle doit sa liberté à son immunité parlementaire. Un juge avait demandé son incarcération le 7 décembre 2017 pour entrave à l'enquête sur l'attentat contre une mutuelle juive qui avait fait 85 morts en 1994 à Buenos Aires.

Pour les organisations des droits de l'homme, les vieux démons de l'Argentine remontent à la surface. Sont dénoncées les détentions arbitraires comme celle de Milagro Sala, les persécutions contre les militants syndicaux, la répression contre les défenseurs des « peuples originaires », les Mapuches en Patagonie et les Wichis dans la province de Formosa. «On a déjà deux morts», résumait, très inquiet, Eduardo Jozami, directeur du Centre culturel de la mémoire Haroldo Conti : Santiago Maldonado, 28 ans, qui, pourchassé par les gendarmes, a été retrouvé noyé en octobre 2017, deux mois après sa disparition, et Rafael Nahuel, 22 ans, tué d'une balle dans le dos par les gendarmes en novembre 2017.

Dans le même temps, Miguel Etchecolatz, ancien responsable de vingt et un centres clandestins de détention, tortionnaire en chef, condamné six fois à perpétuité pour les crimes commis pendant la dictature militaire (1976-1983), a vu ses conditions de détention confortablement assouplies : il effectue sa peine chez lui.

À ce climat, il faut ajouter une loi réformant le travail (novembre), une autre autorisant la baisse des retraites (décembre) qui a fait descendre des millions d'Argentins dans la rue. Une inflation catastrophique de 24,8 % en 2017, « des augmentations invraisemblables du prix de l'énergie (entre 700 et 1200 %), des médicaments, de l'essence et du transport », ajoute l'Assemblée de citoyens argentins en France qui n'oublie pas de préciser que «sous couvert de lutte contre la corruption, Mauricio Macri tente de dissimuler son implication dans le scandale des sociétés offshore révélée par les Panama Papers. Lui et sa famille apparaissent dans plus d'une cinquantaine de ces sociétés, ce qui fait du président argentin l'une des personnalités publiques mondiales la plus impliquée dans ce scandale ». V. B.

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