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Vie de La Brochure
4 août 2020

Padura et la pandémie

padura

Texte traduit d'un journal espagnol (en fait argentin). JPD

Padura et la pandémie

A relire son nouveau roman «Como polvo en el viento», l'écrivain cubain analyse le nouveau scénario posé par le Covid-19 et la réaction de certains hommes politiques qui, à son avis, «devraient être jugés comme des criminels».

Avec les voyages qui arrêtent – sans l’interrompre - l'écriture, et presque confiné chez lui à Cuba, l'écrivain Leonardo Padura profite de l'état de paralysie généralisée dû à la pandémie pour revoir son prochain roman, tout en se réfugiant dans la littérature, cet exercice qu’il a su transformer en «réflexion sur la réalité» dans sa série Mario Conde ou «L'homme qui aimait les chiens».

 Chroniqueur de son temps, Padura est l'une des voix les plus marquantes de la langue espagnole : pour son métier de journaliste mais plus pour sa liberté narrative et la palette de registres inscrits dans ses textes, son travail est une rencontre avec l'expérience sociale, car entre contradiction et charme, critique et recherche sage pour aller au fond, ses livres sont une réflexion sur l'identité, en particulier de l'île, de son pays.

Prix National de Littérature de Cuba et Princesse des Asturies, le nom de l'écrivain circulait ces jours-ci par la nouvelle qu'un média espagnol répandait que son travail figurait parmi les candidats au Prix Nobel de Littérature. La rumeur ne devrait pas avoir plus de poids que l'anecdote car les décisions concernant les candidats restent sous clé et en tout cas il s'agirait d'une fuite, ce qui ne devrait pas être entendu si la grave crise qu'a connue l'Académie suédoise à la suite des plaintes, est rappelée pour harcèlement, abus et fuites contre l'artiste Jean-Claude Arnault.

 "Le truc à propos de la prétendue nomination au prix Nobel de littérature", dit Padura, de sa maison à La Havane, "a fonctionné comme une traînée de poudre, sans que j'intervienne dans cette propagation. Au contraire, j'ai refusé de commenter tout ce qui n'est que spéculation, ou un commentaire, ou une liste de noms avec lesquels quelque chose peut ou non se produire concernant un prix aussi inconstant que le prix Nobel de littérature.

À cheval entre optimisme et pessimisme, Padura affirme que certaines des manifestations les plus inquiétantes que la pandémie a suscitées sont «la croissance des nationalismes, une sorte de compétition pour faire mieux ou différemment». "Le problème - ajoute-t-il - ce sont les libertés limitées auxquelles nous avons été soumis (ils disent que c’est pour notre bien, pour nous sauver), et nous avons été exposés à certains discours messianiques qui me font toujours peur."

 - Dans ce contexte d'isolement et d'éloignement, à quoi ressemble une de vos journées?

- Je fais mieux, j'ai fait au cours de ces 100 derniers jours plus ou moins la même chose qu'au cours des 30 ou 40 000 précédents… j’ai travaillé. Seule une partie du travail a été gelée, c'est celle qui a à voir avec la présence physique dans les promotions du livre, qui auraient dû se terminer brusquement au Mexique, à la mi-mars. Depuis, je suis à la maison, je travaille. D'abord dans la révision finale de mon nouveau roman, " Como polvo en el viento ", qui sort sur le marché espagnol en septembre, avec le label Tusquets. Ensuite, j'ai écrit des avant-propos, une intrigue cinématographique possible et maintenant je consulte la bibliographie pour une section du prochain roman que j'aimerais écrire. Je suis presque confiné car en réalité nous n'avons pas atteint ce niveau à Cuba mais je l'ai presque pratiqué, même si j'ai dû sortir et faire la queue pour manger, l'éternel problème cubain de la nourriture.

 

- La pandémie se présente comme une possibilité de repenser l'avenir, dans quelle mesure êtes-vous optimiste ou, au contraire, êtes-vous plus proche du désenchantement qui caractérise votre personnage, Mario Conde?

 

 - Je ne suis pas aussi désenchanté que Condé. J'ai l'intention d'être optimiste et j'arrive à l'être les lundis, mercredis et vendredis. Les mardis, jeudis et samedis, je suis pessimiste. Et le dimanche, je me repose, comme Dieu le commande. Au cours de ces mois de pandémie, nous avons tout vu, comme toujours, mais peut-être sous une loupe en raison du danger dans lequel nous vivons. Et c'est pourquoi nous avons été témoins de signes d'altruisme, en particulier de la part des personnels de santé qui depuis l'apparition de la pandémie s'est mise à l'œuvre pour guérir et sauver, parfois sans les moyens nécessaires, mais avec une grande conscience de son travail. Et nous avons vu, aussi, la grande bêtise du monde, amplifiée chez certains politiciens qui parfois devraient être jugés comme des criminels: ne pas accorder d'importance, ou toute l'importance, à une situation qui prend des vies, est un acte criminel. Et j'ai vu, alors, des gens qui applaudissent ces politiciens, tout comme des gens applaudissent les personnels de santé. Il y a des raisons de pessimisme, d'optimisme et aussi de douter que le monde sera meilleur à l'avenir. Beaucoup de doutes.

 - Que peut apporter la littérature pour lire ce présent immédiat?

 - La littérature n'est pas une réponse à la réalité, encore moins la réalité. C'est, en fait, une réflexion, même si je préfère l'appeler une réflexion sur la réalité. Je pense qu'écrire de la littérature maintenant, sur ce que nous vivons, est un peu irresponsable, ou plutôt je dirais, qu’on peut profiter de la situation, parce que j'estime que la littérature, en particulier le roman, a besoin d’une connaissance des réalités qu'elle se propose de refléter, pour mieux mener à bien le travail, qui n'est ni d'actualité ni explicatif, mais réfléchi, du point de vue d'un auteur qui vit dans une époque et une société.

 Dans des moments comme celui-ci, je pense que toute littérature capable de nous nourrir, de nous éduquer, de nous plaire, ou simplement de nous divertir, est adéquate, toujours selon les goûts ou les exigences du lecteur. Peu importe si ce sont des romans, si ces romans sont historiques, policiers, d'aventures; ou s'il s'agit de philosophie ou de sociologie; que ce soit l’économie ou la médecine. Ce dont tout le monde a besoin. Les livres sont toujours là, à notre disposition, nous invitant à y entrer et à y vivre.

 - Qu'aimeriez-vous le plus faire après la pandémie?

 - Ce que je veux le plus, c'est pouvoir à nouveau voyager. J'adore aller ailleurs, voir des amis, manger, boire du vin, marcher, acheter des livres que je ne trouve pas à Cuba. Je souhaite que le monde dans lequel je vais déménager soit aussi sûr que le Cuba où je vis maintenant, où aujourd'hui, 24 juin, un seul cas positif de Covid-19 a été détecté, ce qui me réjouit extraordinairement et me fait penser que Dieu est cubain.

 - Et y a-t-il une dette en cours, quelque chose qui reste?

 - Je maintiens ouvertes toutes mes dettes, celles que je paie périodiquement et que, les plus folles reviennent à la vie et les plus tenaces de toutes (heureusement pour le débiteur) c'est que dès que mon dernier roman est terminé, apparaît dans ma tête l’idée d’un autre et avec elle, la dette récurrente: comment vais-je l'écrire pour que ce soit la meilleure chose que j'aie écrite de ma vie, ou la meilleure chose que je puisse écrire dans celle-ci, ma vie? Cette dette me tient toujours en mouvement et me permet d'avancer dans mon travail, sans trop me soucier de l'agitation qui peut être sur les côtés: les toxiques des envieux de toujours et des gens que je connais ou n'ai jamais vus, qui sont heureux que je continue d'écrire, et qui continuent de me lire. Et c’est à ceux que je paie ma dette.

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