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Vie de La Brochure
10 avril 2021

Zadkine, 1970, René Barotte

Voici un article sur Zadkine en date du 7 avril 1970 sur Paris-Presse. J-P Damaggio

7 avril suite

7 avril 1970

POUR SON PREMIER DESSIN, OSSIP ZADKINE REÇUT UN PIROJOK

LE spectacle de 120 œuvres réunies à partir du 14 avril à la galerie Schmit (1) : bronzes, pierres, gouaches, dessins de Zadkine, celui que jadis Paul Haesaerts appela si justement « le sculpteur ailé »; une récente conversation avec Valentine Prax ; son épouse, artiste elle aussi ; une émouvante préface de Jean Bouret : « In Memoriam » quelques pages publiées récemment par Gaston-Louis Marchal, son ancien élève qui célèbre en lui le poète ; l’ouvrage publié posthumement : « Le Maillet et le Ciseau » (Albin Michel, éditeur) dans lequel Zadkine retrace toutes les étapes de sa vie et de ses recherches ; mais surtout les longs entretiens que j’ai eus au cours de trente années d'amitié avec cet être profondément dynamique, ont fait surgir en mon esprit l’idée de vous livrer Zadkine tel qu’il se racontait lui-même.

D’emble cette évocation nous replonge dans le climat de Smolensk en Russie où Zadkine naquit le 14 juillet 1890. Il aimait se pencher sur son enfance. D’après lui, c’est la gourmandise qui, tout petit, l’amena à l’art, et cela d’une façon assez inattendue. Comme on lui avait donné un « parojok », gâteau bourré de viande, pour le récompenser d’avoir dessiné un cosaque, il l’apprécia tellement que pour en mériter d’autres il se mit à multiplier les dessins d’après toutes les images du dictionnaire.

LA SERVANTE MODÈLE

A 10 ans, il copia avec une grande habileté une œuvre très connue de Rodin. Pendant son exposition, restée pour moi inoubliable à la « Maison de la Pensée française » en 1958 il fit allusion à ses débuts de sculpteur. Il avait 15 ans. Ayant glissé le long d’un talus en bordure de la forêt, sa main se cramponna au sol; alors il découvrit la beauté de la terre glaise toute blanche et, sans attendre, il l’utilisa pour modeler l’image du casseur de pierres qu’il avait croisé le matin même sur la route.

Le lendemain il transforma la bibliothèque de son père professeur de langues mortes au séminaire en un véritable atelier de sculpture. La servante de ses parents devint son modèle. Comme ses études laissaient à désirer on l’envoya chez un oncle à Sunderland pour apprendre l’anglais. Il n’oublia pas pour autant la sculpture et il s’inscrivit dans une académie.

Là il fut invité à reproduire fidèlement un plâtre ; le Voltaire de Houdon. Ce ne fut pas sans mal ! « Dès cette époque, dira-t-il, j'avais horreur de l’imitation servile. » Il était bien plus heureux quand il s’agissait, a l’aide des ciseaux que son oncle lui avait donnés, de découper dans le bois des fleurs ou des arabesques décoratives.

C’est grâce à ce don que, parti pour Londres, il y vivota avant de rentrer en 1908 au bercail l’esprit rempli pour toujours des œuvres du passé admirées au « British Muséum ».

L’accueil qu’il reçut à Smolensk fut un peu celui de l’enfant prodigue. Son père comprit ce que la vocation artistique d’Ossip avait d’irrévocable, aussi décida-t-il de l’envoyer à Paris, « seule ville, disait-il, où I’on peut apprendre quelque chose en art... »

A l’Ecole des beaux-arts où il s’était inscrit, la leçon fastidieuse d’Injalbert n’était pas faite pour le rendre optimiste. Zadkine comprit vite que les nus figés préconisés par son patron n’avaient rien à envier aux affreuses statues aperçues au cours de son unique visite au Salon des Artistes Français ni à celles qui décoraient le jardin du Luxembourg.

Les œuvres de Rodin et, sur un plan très différent, celles des cubistes : Picasso, Braque, Duchamp-Villon lui donnèrent cette émotion qu’il attendait avec tant d’impatience.

« TRÈS BON SIGNE »

Un amateur grec collectionneur particulièrement raffiné, Rodocanachi, qui lui avait acheté plusieurs œuvres, en particulier « Samson et Dalila » les montra à Rodin pour savoir ce qu’il en pensait. L’auteur du «Baiser» fit cette réponse assez vague : « Si ce jeune est dans votre collection, c'est déjà très bon signe I ».

Quand éclata la guerre de 1914-1918, Zadkine était en train de trouver sa voie en particulier dans la taille directe du bois.

Après la tourmente dans des créations comme la « Femme à l’éventail », « Formes et lumières » ou la « Belle servante », il se libère du cubisme en devenant plus profondément humain. Mais que la vie matérielle était dure alors ! Avec Modigliani devenu son ami, ils assuraient leur subsistance en vendant leurs dessins au prix de un franc à la terrasse de la Rotonde.

Un jour Zborowski lui donna 350 francs, en 1920, pour soixante-dix d’entre eux. Cette somme importante pour l’époque lui permit de gagner Bruniquel, dans le Tarn-et-Garonne où l’accueillit son ami le peintre Ramey.

C’est pendant cette année 1920 qu’il rencontra le peintre Valentine Prax. Il était tellement pauvre quand il l’épousa qu’il ne put lui offrir une alliance en or.

Ils travaillèrent d’arrachepied et, en 1934, purent acheter aux Arques, dans le Lot, non loin de Caylus, une maison.

« TOUT LE DIEU DE LA MUSIQUE »

C’est dans cette ambiance paisible, loin de Paris qu’allaient naître plusieurs chefs d’œuvre comme l’« Homo sapiens », « l’Hommage à Bach » et surtout l’« Orphée » repris plusieurs fois. Dans l’atelier de la rue d’Assas, resté intact, Valentine Prax m’a montré deux bouts de bois curieusement rapprochés que Zadkine avait découverts par hasard dans la livraison d’un charbonnier.

Il les fixa sur un petit socle en disant : « Regarde comme c'est beau. Tout le dieu de la musique est déjà dans ces brindilles. »

Avant sa grande rétrospective de 1949 au Musée d’Art moderne, Zadkine, à qui la France a acheté si peu d’œuvres, trouva beaucoup plus de compréhension au Japon et aux Etats-Unis où il dut s’exiler de 1941 à 1945 pour échapper aux Nazis. Il semble que les sculptures créées de l’autre côté de l’Atlantique ne l’aient pas entièrement satisfait. Il songeait toujours à son retour. Il rentra sur un transporteur de troupes à la fin de 1945.

Quand il retrouva Valentine, les « Arques » et son peuplier, à nouveau de grandes choses naquirent sous son marteau. Je pense en particulier au « Christ » aujourd’hui dans l’église de Caylus, dont les bras sont sortis de deux branches d’un ormeau et le corps du cœur même de l’arbre.

A partir de 1947, je l’ai très souvent rencontré. Il m’a raconté comment, encore bouleversé par les désastres de la guerre, il avait conçu sa « Ville détruite », inaugurée en 1953 à Rotterdam sous la forme d’un corps disloqué par le bombardement et dont les bras dans un dernier élan, s’élancent vers le ciel, symbolisant ainsi toute les souffrances endurées par une cité où 30.000 êtres ont péri en quelques heures.

Nous étions l’un près de l’autre à l’exposition « Van Gogh » au Musée Jacquemart André. J.-G. Domergue avait tenu à y montrer une des premières idées de Zadkine pour son monument érigé à Auvers-sur-Oise à la mémoire du < »peintre maudit ».

FERVEUR ET ENTHOUSIASME

Le Zadkine des dernières années fut toute ferveur et enthousiasme qu’il insufflait à ses élèves de la «Grande Chaumière», leur apprenant à découvrir ce qu’il appelait «la chose», c’est-à-dire l’au-delà de l’objet.

Quand on lui parlait de fixer dans la glaise sa propre image (je crois la deviner dans « l’Arlequin hurlant » de 1942), il changeait de conversation. Il état coquet. Les nombreux télégrammes qu’il reçut en 1965 pour son 75ème  anniversaire le mirent en fureur. « Regardez-moi, disait-il, avec mes rides, l'apparition de mon squelette, les cordes de mes veines. »

Peu de temps avant sa mort sa maigreur était extrême. Je le revois penché sur son dernier buste, celui de Claude Aveline. Son regard pétillait d’esprit sa tignasse blanche restait combative. N’était-ce pas là le plus beau Zadkine dont la seule idée de représentation lui faisait peur...

(1) 396, rue Saint-Honoré. Tous les jours, sauf samedi et dimanche, de 9 h. 30 à 12 heures et de 14 h. à 18 heures.

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