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Vie de La Brochure
13 juillet 2021

Zadkine installe le Christ à Caylus

le christ Zadkine

Voilà un article utile sur Zadkine. Il y indique "un grand Christ en bois destiné à l’église où je me suis marié, voici vingt ans avec Valentine Prax." Comme souvent il arrange l'histoire. Zadkine s'est marié à Bruniquel et il n'y a pas eu trace d'office religieux. Mais peut-être des années après a-t-il souhaité untel mariage à Caylus ? JPD.

Information financière, économique et politique 23 septembre 1954

ZADKINE dans son atelier de la rue d’Assas ressemble à une tortue mythologique, se promenant dans la forêt pétrifiée de ses sculptures. A sa suite, un cortège composé du chat, Arthur, et de cinq ou six jeunes Américaines éclatantes de beauté. Dans des fauteuils, autour de la table à thé, deux admirateurs japonais, un vieux camarade hollandais et un ami d’enfance, arrivé de Rome, lorgnent à la fois les sculptures et les Américaines. C’est dimanche, jour de réception, où l’on vient d’un peu partout écouter le maître parler, avec son accent russe chantant, d’argile et de pierre, de cuisine et de poésie, de son projet de statue pour Caracas, Venezuela, et de la façon de pêcher la truite dans le Lot.

 — Vous avez bien tardé à rentrer cette année, cher Zadkine. Quels événements vous ont retenu là-bas, dans votre Tarn-et-Garonne ?

 A cette question, il plante là ses Américaines, qui restent tête en l’air et bouche entrouverte devant la maquette du «Déporté » de Rotterdam »— et vient nous raconter ses vacances.

 — Depuis quatre étés, je travaille à un grand Christ en bois destiné à l’église où je me suis marié, voici vingt ans avec Valentine Prax. Je l’ai fini au début de ce mois et nous l’avons transporté en camion au village. Ce sont les hommes de Caylus qui l’ont porté et installé. Vous auriez cru assister à une scène du XIe siècle. C’était jour de foire et plus de 800 personnes ont défilé à l'église pour le voir. Ces gens simples ont compris tout de suite. Une seule chose les étonnait : le manque de couleur. J’ai entendu une vieille dame soupirer en patois : « C’est bien beau, mais il sera encore plus beau quand il sera peint. »

— Et vos projets, maintenant que vous voici de nouveau Parisien ?

— Une grande exposition en Hollande. J'y envoie 64 sculptures. Sur le tout dernier, qui s’appelle Le Poète, j'ai gravé un poème d’Eluard. Ce n’est pas nouveau puisque les Egyptiens en ont fait autant, à Eluard près, il y a 5.000 ans. Avec cela, j’ai plus de cent sculptures sur mer, revenant de mon exposition à Tokio. Que d'emballages et de déballages !

Mais Zadkine au fond, aime emballer et déballer, comme il aime tous les gestes de la vie. S’il avait le temps, il aimerait fabriquer ses propres outils, comme il l’a fait à Londres, alors qu’il travaillait à seize ans, comme apprenti chez un ébéniste.

 — C’est un vieil ouvrier qui m’a appris cela. J’ai encore des manches que j’ai tournées sous sa direction.

 Et Zadkine se met à raconter jeunesse. Il doit encore, à plus 60 ans, s’en sentir tout près. A parler, il oublie qu’on lui propose des expositions aux quatre coins du monde ; il oublie qu’à Rotterdam les amoureux se donnent rendez-vous au pied de sa statue en disant : Rencontrons-nous chez Zadkine. Il redevient l’enfant que son père a envoyé, de Russie, faire ses études dans un lugubre pensionnat écossais.

 — Je me suis sauvé tout de suite, et suis venu à Londres pour étudier la sculpture. Mon père n’a plus voulu me donner un sou et c’est ainsi que j'ai appris l'ébénisterie. On m’employait pour de petits travaux, surtout à limer des lettres en bois. Je mangeais les jours où je travaillais, les autres, non. Un jour, le vieil ouvrier dont je vous parlais m’a dit : « Si tu veux avoir un travail régulier, il faut faire quelque chose pour montrer de quoi tu es capable. Une rose, par exemple. Et il m’a donné un bloc de bois. carrés.

 — Et vous l’avez faite, votre rose ? — J’y ai passé toutes mes nuits pendant des semaines, peut-être des mois. Quand je l’ai finie, chaque pétale était transparent, c’était vraiment une rose. Je l’ai portée au professeur de sculpture d’une école d’art et il m’a pris comme élève. C'était le commencement de ma carrière.

 Les Américaines réclament aussitôt la rose fabuleuse, mais Zadkine secoue tristement sa crinière blanche :

 — Comme je voudrais la retrouver ! Chaque fois que je vais à Londres, je visite toutes les boutiques d'antiquité sur ma route, dans l’espoir de la découvrir. Je n'ai plus beaucoup d’espoir, mais je cherche toujours.

 Je crains que Zadkine ne retrouve jamais sa rose, dont les pétales transparents ont dû s’effriter depuis longtemps en sciure de bois. A sa place, s’élèvent ces vastes statues, pareilles à des arbres, qui ont tant voyagé et vu tant de pays, et qui étonneraient certainement le brave ouvrier londonien qui a lancé un petit Russe follement décidé à devenir sculpteur.

 Cecily MACKWORTH.

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