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Vie de La Brochure
24 décembre 2021

Daoud et Léïla Slimane

Rien de tel en cette période de fêtes que de penser à Kamel Daoud ! Et en plus lu par l’Algérienne Leïla Slimani ! C’est dans un article de l’Obs du 11/10/2018 que je les retrouve. Profondément Algérien, Daoud décape son Algérie où les statues de femmes nues sont dynamitées… J-P Damaggio

 

Daoud l’occidentaliste

Kamel est un compagnon, un ami, un frère. Quelqu'un à qui je peux parler à demi-mot et qui comprend. Il sait la mélancolie méditerranéenne.

Comme Picasso peut-être... C'est parmi les œuvres du grand maître espagnol que Daoud a passé une nuit, à Paris, dans le musée du même nom. Les éditeurs ont parfois des idées un peu folles et on les en remercie ! « Le Peintre dévorant la femme », premier opus de cette collection prometteuse qui invite des écrivains à ce jeu d'une errance nocturne dans un musée, est un texte troublant et subversif qui interroge notre rapport à l'Art et au corps, des deux côtés de la Mare nostrum.

Kamel ne dort pas sur le lit de camp qui lui a été installé dans un coin du musée. Il s'enfonce dans la rêverie que suscite l'exposition « Picasso 1932. Année érotique ». Avec Kamel, nous avons souvent parlé de sexe. Pas parce que nous sommes dépravés ou grivois. Mais parce que nous sommes également persuadés, et le présent ne cesse de nous en convaincre, que la question sexuelle est profondément politique. Sur nos rives, l'impossibilité pour les individus d'habiter leur corps, d'en jouir, de le raconter est une violence, qui s'exerce partout, tout le temps. Comme il le raconte dans une scène sublime, les rencontres entre amants sont toujours clandestines. Elles ont lieu dans un appartement loué à un voyou. On y craint le gardien, le concierge, les passants, la rumeur. La beauté, la crudité des tableaux de Picasso l'invitent à se demander : «Quels sont les objets de l'amour, de l'érotisme dans ma vie, ma culture, ma terre ?» Kamel met sa langue langoureuse et poétique au service d'un livre puissamment érotique. « Le Peintre dévorant la femme » est un texte libertin, un traité du corps, du sexe et de la femme, un manifeste pour la sieste et pour la nudité heureuse.

Comme il est libérateur et émouvant de lire un intellectuel, un homme, un Maghrébin défendre avec tant de passion le droit au plaisir ! Kamel, qui dédie son livre « aux femmes qui n'ont pas le droit à leur corps » nous livre le récit intime de sa propre révolution. Il a vingt-cinq ans quand il voit une femme entièrement nue pour la première fois. Pendant son adolescence, ce territoire lui est interdit. Il est frustré, révolté. Il s'enfonce « dans les profondeurs noires ». Mais il trouve son salut dans les livres et la culture. Il nous raconte comment il est devenu un homme qui n'a pas envie d'avoir la femme pour ennemi. Et qui se battra contre un monde qui le lui impose. «Le corps, écrit-il, est le contraire de Dieu. »

Kamel Daoud s'est fait connaître avec « Meursault, contre-enquête » (Actes Sud), une brillante réponse à « l'Etranger » de Camus. Ici, c'est lui l'étranger, l'Autre radical et il faut entendre cette altérité. En Kamel, sans cesse, il y a l'Algérie et il y a la révolte. Il nous parle depuis un ailleurs et ce qu'il y a sans doute de plus subversif dans son texte, c'est moins la défense de la liberté sexuelle que son refus de vouer l'Occident aux gémonies. « Je suis un occidentaliste », nous dit-il dans ce livre qui peut être lu comme des « Lettres persanes » inversées. « Dans ma géographie, ces lieux [les musées, NDLR] font émerger ce qu'il ne faut pas : la possibilité du temps avant la révélation. Lorsque vous visitez une exposition, vous saisissez que ce que vous croyez, ce qu'on vous a sommé de croire, n'est pas absolu, mais n'est qu'un récit qui en vaut mille autres. »

En Algérie comme dans d'autres pays musulmans, l'art est suspect, indécent, victime de la barbarie des hommes. Il nous raconte l'histoire de cette statue de Sétif, une femme aux seins nus, qui fut dynamitée par des groupes islamistes en avril 1997 puis brisée à coups de burin par un barbu fanatique en 2017. «Depuis les années 1990 en Algérie, les statues de femmes nues ont peu à peu disparu. »

Comment ne pas s'interroger sur cette tragédie ? « L'art est-il impossible ou seulement différent  dans ma culture ? Ce dont je parle, ce n'est pas de l'inexistence du peintre mais du fait qu'il n'est pas le nombril de notre univers. Il est en permanence dissidence. » Sensuel et mélancolique, « le Peintre dévorant la femme » est l'histoire d'un cannibalisme. Celui de Dieu sur l'Art.

Le Peintre dévorant la femme Dar Kamel houe, éditions Stock,11euros

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