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Vie de La Brochure
7 mars 2022

Pour une idée neuve du bonheur

C’est une idée qui me trotte dans la tête depuis 1984 comme en témoigne ce texte déjà publié dans un ensemble sur le PCF et le PS en 1984Je le reprends ici comme élément du débat. Pendant plus de dix ans j'ai participé à la réalisation d'un mensuel ou bimensuel avec ce sous-titre : Pour une idée neuve du bonheur. Le journal s'appelait d'abord Vivre et lutter, puis Point Gauche !. Puis dans le comité de rédaction certains pensèrent que la référence au bonheur était ringarde, et le sous titre est devenu informer librement, agir autrement. Ce sous-titre n'a pas élargi la diffusion... J-P Damaggio

 Congrès du PCF de 1984, texte à l’adresse des membres de la conférence fédérale du 82

 Pour une idée neuve du bonheur

(ce texte avait été ronéoté avec d'autres et diffusé à quelques personnes)

Bonheur, ce n'est pas un mot de notre langage [des communistes] et il est donc absent du projet de résolution [du Congrès]. Je n’en fais pas une affaire, je tiens simplement à formuler ici quelques idées farfelues qui, en dehors des textes, me font communistes. En parlant de textes je note que c'est le mot espoir qui est le plus en vogue parmi nous. Nous sommes le parti de l’espoir. Ce mot a peut-être la cote car il renvoie immédiatement à son contraire désespoir, et marque ainsi facilement l’antagonisme entre socialisme et capitalisme (plus loin je précise pourquoi le malheur n’est pas le simple contraire du bonheur). Remarquons que le mot désespoir laisse de plus en plus la place à désespérance. Cherchez la différence entre ces deux définitions :

Désespoir : abattement total de quelqu'un qui a cessé d'espérer. Désespérance : état d’une personne qui a perdu l’espérance. Là où je suis farfelu c'est qu’étant sans espérance, je ne suis pas abattu…

Mais venons en au fait : j’ai un faible pour le mot bonheur. Ce n’est pas vieux je l’avoue. Face au bonheur j'ai longtemps adopté deux comportements : l'indifférence ou l’évidence. Prenez la phrase légendaire de Saint Just : « Le bonheur est une idée neuve en Europe. » J'ai acheté les œuvres complètes de Saint Just seulement à cause de cette phrase car j'ai fini par m'interroger : Comment le bonheur a-t-il pu être une idée neuve? L'aspiration au bonheur ne serait-elle pas une aspiration naturelle de tout homme à travers les siècles ? J’ai donc longtemps pensé que s’il fallait montrer que le bonheur n’a pas le même prix pour tout le monde, il n’en demeurait pas moins que tout monde, d’évidence aspirait au bonheur. En même temps je pensais que ce mot de bonheur était un mot bien vague, bien creux, sans nul doute un truc d'intellectuel en peine de mots et en mal de peine. Tout juste une affaire pour sourire de la peine des hommes. Or, voilà que peut-être, en prenant le virus intellectuel, je suis devenu un communiste-bonheur. Simple état d'âme ?

C'est toujours dans le combat qu'on trouve la réponse.

Quelques brillantes têtes autour du Pivot télévisuel n'en finissaient pas d'inviter les téléspectateurs à se méfier du bonheur. Ils me mirent la puce à l’oreille et depuis j'ai gratté. Ils me disaient ici et là que c'est simple comme un bonjour, que la preuve nous l'avions, et qu'il ne fallait surtout pas recommencer. Ils déblatéraient poliment sur tous les moches sentiments qu'au nom du bonheur on pouvait instaurer... dictatorialement. A chaque mot, ici ou là, on sentait les fauteuils devenir plus confortables, les cravates plus belles et les têtes plus grosses. Je ne sais pas s'ils étaient de la Nouvelle Adroite mais ils savaient causer que je n'en pouvais plus.

Je ne regrette pas ma lecture de Saint Just. Le bonheur doit en 1984 devenir une idée neuve en Europe et pourtant je n'admets aucune leçon de l'histoire puisqu'elle ne se répète jamais.

La croisade anti-bonheur de nos savants-généraux modernes est cousue de fil blanc. « Dans les pays socialistes ils ont eu l’audace de vouloir faire le bonheur du peuple contre le gré des peuples. Il faut donc que tout le monde soit vacciné : le bonheur est discrédité. » Je viens de l’écrire : ces savants modernes sont les généraux d’aujourd'hui. Ils tuent sans arme, et sans guerre. C’est là qu’on mesure l’importance de la question des pays socialistes. C’est grâce aux déraillements de ces pays là que nos savants modernes jouent leur comédie. Ils ont mis un scénario en place qui vise à rabaisser l’homme pour laisser monter le taux de profit. Mieux, l’homme va se rabaisser lui-même en refusant le bonheur ! Le bonheur ne sera jamais coté en Bourse. Le bonheur du travail bien fait est sans rentabilité. A moins qu'un fils de pub se charge de la question et le temps d'un été, le bonheur se sera les Bahamas.

Lénine a voulu faire le bonheur de son peuple et au nom de cet idéal, il a réussi (fait rare) à prendre le pouvoir et même à le garder. L'objectif des hommes de 1917 est-il atteint ?

La réponse à cette question doit avoir de l’intérêt pour les Soviétiques, mais moi en France, je suis dans un autre pays et je ne connais personne qui puisse me justifier l’enterrement du bonheur même en grande pompe. Je refuse de m'autodétruire car pour moi tel est l’objectif qu’on nous fixe à coups de hypocrites voyages vers l’Est (ce qui est faire beaucoup de cas d’expériences dont on nous rabâche pourtant qu'elles sont chaque année plus catastrophiques).

 Le contraire du bonheur ce n'est pas le malheur mais la peur. Celui qui est dans le malheur et qui le ressent ainsi, peut encore croire au bonheur. Mais celui qui a peur ? Aujourd'hui les hommes ont peur. Peur de l’accident, de perdre le boulot, de l’agression... C'est la peur qui pousse les hommes à pousser les canons. Aujourd'hui sans mobilisation militaire, sans ennemi extérieur, ils veulent nous enfoncer dans la peur. On a eu peur des jaunes, des rouges mais aujourd’hui même les communistes ne font plus peur (même s'ils soulèvent la haine de quelques uns). La peur est plus profonde. Nous mêmes, nous incitons à la peur en montrant les dangers d'une guerre atomique mais en même temps nous montrons la voie de l’espoir. Seulement suffit-elle ?

La peur est réactionnaire et le bonheur révolutionnaire. Quant à l’espoir, il est réformiste ! Je ne veux pas dire que la politique du parti est réformiste sinon je le dirais sans détour. C'est juste le mot que j’interroge. Je ne veux pas d'ailleurs à partir du mot bonheur inventer une politique du bonheur à un taux variant au rythme de l’inflation.

« Le bonheur inventé définitivement » comme Ferrat chante juste !

Dans la tribune de discussion de l’Humanité un camarade écrivait : « Voulons-nous un texte qui se contente de donner la meilleure analyse possible de la situation et un plan d'action, ou voulons-nous aussi qu'après le congrès les communistes soient enthousiastes ? » Il proposait de mieux s'inscrire dans le mouvement «irrésistible» de libération des peuples : « Nous ne ré oxygènerons notre Hexagone qu'en ouvrant nos fenêtres sur l’air du monde. »

En effet, ne prenons pas la France pour le centre du monde et la terre pour le centre de l’univers mais n'allons pas demander le bonheur à la porte d’à côté. Ce n’est pas cela qu’ils peuvent nous donner, les peuples du monde ! Quant à l’enthousiasme, revenons-y. On a mis ces dernières années l'enthousiasme des communistes à rude épreuve. Lajoinie qui quatre jours avant les Présidentielles de 1981 disait : « nous ferons 25% » !

Mon enthousiasme personnel n’a jamais été à cette école. Il ne s’est jamais gonflé de chiffres, non pas que je m'estime plus malins que d’autres, mais parce que je puise mes forces ailleurs. J’ai été surpris par le mauvais score de Marchais, par le mauvais score des Européennes de 1984 et bien sûr attristé. Concernant le parti, j'ai été refroidi ces derniers temps, mais mon enthousiasme militant reste intact car c'est dans la réalité sociale telle qu'elle est, que je l'alimente. Si d'un côté je constate que j’affronte d’affreux oiseaux de malheur qui sèment l’autodestruction, je sais qu'en même temps les malades refusent de se laisser soigner sans comprendre.

« Le bonheur est dans le pré, cours y vite il va filer » dit la chanson. Avec la société capitaliste le bonheur n’est plus dans le pré (il n'y a plus de pré) mais on n'a plus à courir après, car il est là. Je parle de la société capitaliste d'aujourd'hui que je refuse d'assimiler à la société du malheur. Il faut se construire le bonheur là où l’on est, et dans un igloo si on est au pôle.

Alors le bonheur ne serait-il qu'une question individuelle ? Est-ce que ce ne serait qu'une question de vie privée ? Est ce qu’il ne faudrait pas dire chacun son bonheur ?

Je persiste et signe dans le farfelu. L'enthousiasme se puise dans la réalité. Le privé n'existe plus et tout est politique (ce que j'ai refusé de comprendre longtemps). Le plus politique des deux n’est pas toujours celui qui vote à toutes les élections. Le bonheur inventé c'est celui qui a du cœur et les communises n’en manquent pas... surtout en dehors des réunions du parti.

Et s’il est inventé définitivement c'est que le capitalisme nous donne les armes pour cela, à condition qu'on le remette sur ses pieds. C’est parce que le bonheur est une affaire individuelle que c'est une affaire de société. C’est quand il est affaire de société qu'il est bonheur individuel. La solution Le Pen c'est le bonheur mécanique de l’homme-rouage.

Dans ce cas le bonheur devient une huile super-molygraphite désinfectante, et anti-poussière communiste pour rouages grippés. L’homme vaut plus que cela. Mais voilà que je risque de philosopher et je m’en voudrais de faire une concurrence inutile à notre philosophe Lucien Sève qui, en cherchant bien, a pu m'entraîner sur la pente où je me trouve. Alors oui au bonheur.

Février 1984 Jean-Paul Damaggio

 [Hors-texte encore sur le Bonheur qui date de 2010]

 Suite à la mort de Jean Ferrat, je venais de terminer la reprise du texte « Pour le bonheur 1984 » quand je tombe, sur le numéro de Libération du 17 mars, sur deux textes liés à un Forum : « Le bonheur une idée neuve » (débat le 26 mars au TNB). Alain Badiou et Elisabeth Roudinesco tentent deux approches opposées de la question. Comme Sarkozy souhaite moraliser le capitalisme, Roudinesco propose plus sérieusement de « moraliser » le socialisme ou pour le dire avec ses mots, aller vers un projet « qui n’éliminerait pas les libertés fondamentales et permettrait de combattre l’ignorance, l’obscurantisme, le communautarisme. » Le titre de son article : « aucune révolution n’a réussi à concilier liberté et égalité ». Son article s’en tient à définir « un vrai pari » pendant qu’Alain Badiou veut en appeler au présent contre la promesse. Il commence fort, par la recherche traditionnelle chez lui, de la provocation : « Les « lendemains qui chantent » n’ont jamais été qu’une mythologie, plus employée, à vrai dire, par les ennemis de la pensée révolutionnaire ou communiste que par ses amis ou ses militants. » Dans l’article on comprend mieux quand il oppose « les politiciens parlementaires qui, dans leurs «programmes», auxquels eux-mêmes ne croient guère, promettent de satisfaire dans l’avenir les intérêts de leurs diverses clientèles » et la joie du militant qui découvre dans l’action présente qu’il est « capable de bien plus de choses nouvelles que ce qu’il imaginait ». Il termine par une redéfinition du bonheur communiste : « aimez ce que jamais vous ne verrez deux fois. »

Dans ma quête autour du bonheur j’ai plutôt tendance à me retrouver dans le texte de Badiou que dans celui de Roudinesco… tout en me disant qu’ils peuvent se rejoindre, en notant tout d’abord que ce n’est pas le bonheur comme idée neuve qui importe mais une idée neuve du bonheur. Et cette idée neuve doit commencer par réorganiser la dialectique entre le futur et le présent, entre les fins et les moyens, entre l’action et la réflexion.

Je suis d’accord avec Badiou pour contester radicalement le piège religieux de «la promesse» sauf que dans le monde d’aujourd’hui… le présent est une vie à crédit. Pour rendre le présent acceptable, le système a décidé de vendre le futur, de faire payer nos enfants aussi, à l’heure de la lutte, des personnes ou des pays, étranglés par la corde de la dette… se taisent. La question économique de la dette ne peut pas être séparée de celle du bonheur quand il n’y a pas si longtemps le peuple avait pour valeur d’acheter comptant. La démarche de Badiou peut tomber dans l’activisme (l’action pour l’action), une valeur utilisée par les directions syndicales qui proposent des tonnes de manifestations… pour la manifestation : le critère du succès n’est plus la victoire revendicative mais le nombre de manifestants ! Donc il est utile d’en revenir à E. Roudinesco qui redéfinit les fins : une révolution articulant liberté et égalité, objectif qui, en effet, me paraît primordial. Pour assurer la rencontre entre les deux démarches, pour une idée neuve du bonheur, il faut en finir avec le principe que les fins justifient les moyens pour spécifier que ce sont les moyens qui décident des fins, que ce n’est pas la théorie révolutionnaire qui fixe la pratique révolutionnaire mais que « l’action est le critère de la vérité », et qu’une grande idée du futur est mobilisatrice quand elle se construit en fonction des réalités du présent. Le formule « agir local, penser global » devient alors catastrophique. Une idée neuve du bonheur c’est « penser local, agir global ». Il me faudrait un autre article pour éclaircir ce point. 18-03-2010 Jean-Paul Damaggio ]

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