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Vie de La Brochure
21 mars 2022

Retour sur Claude Prévost (1927-1992)

Claude Prévost fut l’auteur en 1969 du livre les étudiants et le gauchisme. Ce fut une de mes premières lectures. J’ai ensuite beaucoup lu cet agrégé d’allemand devenu le critique littéraire de l’Humanité. On trouve sur ce blog des chroniques de lui sur Montalban. Une figure du monde des intellectuels et du PCF. De plus il avait une maison de campagne dans les Pyrénées dans un village cher à des communistes du TetG. Je retrouve ce texte écrit sans doute en 1993 après la publication d’un inédit de cet homme dont malheureusement je n’ai pas tout le contenu. C’est en lien avec mes recherches sur le sous-réalisme. JPD.

 Sous-réalisme et critique littéraire

Un inédit de Prévost vient troubler mes recherches. Les années 80 m’auront vu aller jusqu’au bout de ma sympathie envers lui. Il termine son inédit par trois noms : Vian, Queneau, Pérec, trois auteurs pour lesquels j’ai une grande sympathie, mais je suis là aussi, au bout de cette histoire.

La question n’est pas de leur reprocher leur esprit (ou leur manque) d’ouverture. Ils savent évoluer ... dans LEUR CERCLE. Ils sont du cercle des élus et y resteront sauf deux sorties possibles. Comme ils sont la bonté de l’art, les deux tangentes sont la fuite dans l’art (l’abscons de l’art) ou dans la bonté (le populisme flatteur). Ce cercle est le surréalisme poussé dans son quotidien. Je ne conteste pas sa nouveauté au temps de sa création, sauf que très vite son centre est devenu le petit-bourgeois faux-jeton pour, héroïquement, sortir du romantisme. J’ai fini par comprendre l’injuste rejet d’Anatole France par cette génération glorieuse.

Loin de créer un autre cercle, pour remplacer celui-ci, obligeons ces sympas Elus à sortir de leurs dîners (sans prendre la tangente) pour entrer boire un quart de rouge à la cafétéria.

Le sous-réalisme est donc forcément un lieu. Les Etasuniens n’hésiteraient pas à proposer leurs immenses parcs nationaux, lieu de rêve, du sans-lieu, eux qui n’ont pas de cercles par manque de centre et si par cas Faulkner, par exemple, est admis au cercle des Elus, ce sera avec doigté.

Ce lieu à la portée de tous est si évident que nos cultures nous empêchent de le voir. Le sous-réalisme n’est donc pas une idée (il faut se mettre ça dans la tête), une idée mise en manifeste, ni un projet, ni une idée mise en programme (modernisme oblige) mais tout simplement un lieu, un lieu ni en face ni contre le lieu-cercle de nos poètes trop peu disparus, ni lieu qui ridiculise les châteaux féodaux de nos maîtres cultureux.

 

Je prends le théâtre. En 1981, la Bonté de l’Art insuffla des millions de francs dans le théâtre pour l’ouvrir à de nouveaux publics (merci Jack) et en fait ils ne servirent qu’à fidéliser un public classique si bien que des initiateurs (peut-être les plus limités dans leur bonté) pensèrent que le théâtre n’avait jamais été populaire (Jean Vilar avait bien lui aussi fini par échouer).

Les Elus purent se congratuler dans leur Cercle avec, cette fois, bonne conscience : le théâtre c’est un effort culturel et il est naturel que, par refus de l’accomplir, ont en soi écarté. Le théâtre de boulevard s’est simplement changé en boulevard ouvert par la télé à de grosses têtes, pensons à Bedos par exemple.

 

Ce lieu du sous-réalisme n’est donc pas davantage celui de la scène et il resterait celui du plateau de cinéma.

Bob, il est au fond de nous-mêmes ce même fond qu’évoque ainsi Fatima Mernissi :

« Car l'Islam littéral, la Rissala (message), n'est en fait que cela, une vaste demeure où résonne une musique qui a les ailes de l'espoir. Mais pour entendre ce bruissement, il faut bien sûr s’éloigner des télévisions-mosquées où les imans payés par les pétrodollars vocifèrent. Et surtout, ii faut se concentrer sur soi-même, comme nos ancêtres soufis le faisaient, afin de rechercher le Simorgh, l'oiseau fabuleux enfoui dans le seul endroit capable de le contenir : au fond de nous-mêmes. »

 

Nous n’avons pas tous des ancêtres soufis donc cet endroit ne peut pas être ouvert aux quatre vents de la même manière pour tous. Il reste à chercher. Ce fond, Prévost dit très bien ce qu’il en fait, il veut l’évacuer : «D'ailleurs au terme de critique Je préfère celui de chroniqueur [adorablement littéraire ces glissements de mots]. Le chroniqueur est celui qui regarde le temps passer, les événements se dérouler et qui en rend compte sans forcément rajouter son grain de sel : il fait le compte-rendu de ce qui est. Moi qui suis matérialiste, j'essaie de me comporter vis-à-vis de la réalité extérieure comme un scientifique de tout petit niveau vis-à-vis de la matière. »

 

On ne peut pas dire mieux. Evidemment, nous sommes loin des manifestes surréalistes et plus près du Grand Sage. Le cercle tourne, tourne et tous s’y retrouvent. Et le tricheur est déjà là, ceci dit une fois encore avec la plus grande sympathie : «Les premiers mouvements qui retiennent vos choix tiennent en grande part à votre subjectivité. »

 

Tiens, tiens ... Et il est tellement embarrassé qu’il répète plus loin : « “Par conséquent, il y a une part de subjectivité dans les choix, il faut l’avouer. Cependant mon travail de chroniqueur s'appuie sur un certain nombre de critères... »

 

Ce merveilleux Prévost va continuer son exposé comme à la parade, avec sa bonne foi éternelle. « Un de mes critères essentiels est : ‘Est-ce que ces écrivains-là sont en train d’élaborer une œuvre, qui possède une cohésion interne où les thèmes reviennent ?’ " »

 

Le cercle, on y est vraiment en plein dedans. Je le comprends Prévost. Il a voulu se débarrasser de cette, si triste, question de départ, de ses anciens camarades : “Est-ce que ces écrivains-là sont en train d’élaborer les moyens de la libération humaine ?”

A vouloir quitter l’oeil étroit du politique en mettant en avant le sens de “l’écriture” on sort d’un cercle pour un autre.

Et vient une confirmation de Prévost : “un de mes amis, professeur de français à Hambourg, prend connaissance de notre livre "Les Nouveaux territoires romanesques”, vient s'acheter à Paris un kilo de bouquins, repart, et, plongé dans "la Mue” de Bergougnioux, rencontre des amis français qui lui disent : "Laisse tomber tu perds ton temps, il n'y a plus de roman français depuis Le Clézio » ».

Les amis sont bien allemands, professeurs qui plus est. Et le piège est bien dans ces Français qui ridiculisent leur propre pays. Ces Français sont du Cercle (d’ailleurs comment auraient-ils connu un prof de français de Hambourg sans cela !) et leur critique du roman français n’est pas celle d’une lucidité, elle est le cri audacieux du surréaliste : il n’y a plus de littérature. Le surréaliste croit pouvoir élargir son cercle par cooptation, parrainage, (voire pour les plus filous, par copinage). Ils ont en cela perdu leur révolution (ils l’ont gagné en libérant des champs de l’imaginaire, des inventions d’écritures...). Si je dis qu’ils finissent en ce slogan poisseux “l’élitisme pour tous” j’exagère, il est pourtant symbolique de cette Bonté de l'Art qu’ils ont lancé, judicieusement au départ,… pendant que la vie changeait de planète.

 

Que l’élitisme reste dans son Cercle, et que du fond de nous tous, sorte un sous-réalisme comme quête d’une ignorance volontaire.

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