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Vie de La Brochure
14 juin 2022

Le marxisme selon César Vallejo

art et la révolution

Ce Péruvien très pauvre a souhaité visiter la Russie de 1929. Certains disent qu’il a détourné une aide financière de son Ambassade donnée pour son retour au pays, d’autres pensent qu’il a surtout utilisé les sommes issues de l’héritage de sa compagne, dans tous les cas, il a fait le voyage à son compte, pour protéger son indépendance. Il a fait deux autres voyages en 1930 et 1931. Deux livres ont été publiés de son vivant en Espagne (traduits en Italie) , mais celui sur « L’art et la Révolution » devra attendre 1973 et 2021 pour la traduction en français. A lire cet extrait sur les docteurs du marxisme on  comprendra à la fois l’originalité de Vallejo et la difficulté pour trouver un éditeur. J-P Damaggio

 LES DOCTEURS DU MARXISME par César Vallejo

Il y a des hommes qui forgent une théorie ou la prêtent à leur prochain pour ensuite essayer d'y placer et d'y formater la vie, à califourchon et à coups de rosses. La vie en vient, dans ce cas, à servir la doctrine, au lieu que cette dernière - comme le disait Lénine -, serve celle-ci. Les marxistes rigoureux, les marxistes fanatiques, les marxistes philologues, qui poursuivent la réalisation du marxisme à la lettre, obligeant la réalité historique et sociale à prouver littéralement et fidèlement la théorie du matérialisme historique - même en dénaturalisant les faits et en violentant le sens des événements - appartiennent à cette classe d'hommes. À force de désirer voir dans cette doctrine l'assurance par excellence, la vérité définitive, sans appel et sacrée, unique et immuable, ils l'ont convertie en une chaussure de fer, se mettant en quatre pour que le devenir vital - empli de surprises - chausse ladite chaussure, même si pour cela il faut s'en meurtrir les doigts et même s'en luxer les chevilles. Voilà qui sont les docteurs de l'école, les scribes du marxisme, ceux qui veillent et surveillent avec une jalousie de secrétaire, la forme et les mots du nouvel esprit, semblables à tous les scribes de toutes les bonnes nouvelles de l'histoire. Leur acceptation et leur attachement au marxisme sont si excessifs et leur assujettissement si total, qu'ils ne se limitent pas à le défendre et à le propager dans son essence - ce que font seulement les hommes libres - mais ils vont jusqu'à l'interpréter littéralement, étroitement. Les voilà ainsi devenus les premiers traîtres et ennemis de ce qu'ils croient être, dans leur conscience sectaire exiguë, les plus purs gardiens et les plus fidèles dépositaires. C'est, donc bien, si l'on se réfère à cette tribu d'esclaves, que le maître lui- même résistait, le premier, à être marxiste.

Partant de la conviction que Marx est l'unique philosophe à avoir expliqué scientifiquement le mouvement social et décodé, par conséquent, et une fois pour toutes, les lois de l'histoire, le premier malheur de ces fanatiques consiste à amputer, à la racine, leurs propres possibilités créatives, en se reléguant à la condition de simples panégyristes et de perroquets du Capital. D'après eux, Marx sera le dernier révolutionnaire de tous les temps et aucun homme après lui, ne pourra rien découvrir. L'esprit révolutionnaire s'achève avec lui et son explication de l'histoire comporte la vérité ultime et incontestable, contre laquelle il n'y a pas, n'y aura d'objection ou de dérogation possible, que ce soit aujourd'hui ou jamais. Rien ne peut ni ne pourra être conçu ni être produit dans la vie, sans tomber dans la formule marxiste. Toute la réalité universelle est une preuve pérenne et quotidienne de la doctrine matérialiste de l'histoire. Pour décider de rire ou de pleurer face à un piéton qui trébuche dans la rue, ils sortent leur Capital de poche et le consultent. Lorsqu'on leur demande si le ciel est bleu ou nuageux, ils ouvrent leur Marx élémentaire et, selon ce qu'ils y lisent, ils donnent une réponse. Ils vivent et agissent aux dépens de Marx. La vie et ses vastes problèmes variables ne leur coûtent aucun effort. Il leur suffit qu'il ait existé, face à eux, le maître, lequel, désormais, leur économise le besoin et la responsabilité de penser par eux-mêmes et leur épargne une mise en contact directe avec les choses.

Freud expliquerait facilement le cas de ces parasites, dont la conduite répond à des instincts et à des intérêts opposés, précisément, à la philosophie révolutionnaire de Marx. Ils ont beau être animés par une sincère intention révolutionnaire, leur action effective et leur subconscient les trahissent, laissant voir d'eux les instruments d'intérêt de classe, ancien et caché, souterrain et « refoulé  » dans leurs entrailles organiquement réactionnaires.

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