Gorbatchev et Jean-Baptiste Doumeng
Un ami, à travers le témoignage de Paul Ardouin me rappelle les liens profonds entre Gorbatchev et Jean-Baptiste Doumeng, le communiste de Noé. C’est d’ailleurs Gorbatchev qui a préfacé la dite biographie de Doumeng (1992) rédigée par René Mauriès et où 50 fois Gorbatchev et sa femme Raïssa son évoqués. Il y a un débat sur les dates. Gorby et Doumeng prétendent s’être rencontrés dès 1965. Les documents disent seulement une première rencontre en 1977. Ardouin évoque une rencontre en décembre 1970 et il doit avoir raison. Les rencontres officielles débutent en 1977 mais auparavant il a dû y avoir des rencontres informelles. J-P Damaggio
Voici un extrait du livre avec 3 notes personnelles. J-P Damaggio
« Mikhaïl Gorbatchev situe donc la naissance de son amitié pour Jean Doumeng vers le milieu des années soixante. Khrouchtchev n’était plus de ce monde depuis un lustre, et reposait, non pas dans la nécropole du Kremlin, parmi les hauts dignitaires du régime alignés derrière le mausolée de Lénine, mais tout au fond de l’émouvant cimetière de Novodivitchi[1], avec les musiciens, les artistes et les poètes. Or, depuis le voyage en France de Nikita, le PCF invitait, chaque année, quatre ou cinq dirigeants soviétiques désignés par Moscou, à venir passer leurs vacances chez nous[2], avec leurs épouses. En 1977, Mikhaïl Gorbatchev, accompagné de Raïssa, dirigeait ce groupe de touristes. Comment donc ce caucasien inconnu, un peu cosaque - qui n’avait vécu à Moscou que le temps de ses études universitaires, n’appartenait pas à la haute « nomenklatura » politique, et demeurait confiné à des kilomètres de la cour du Kremlin - pouvait-il se trouver au nombre des élus de ces vacances privilégiées ? Certes, depuis les années soixante, et à moins de quarante ans, il s’inscrivait dans la centurie des chefs territoriaux du parti, en qualité de Premier secrétaire de la région de Stavropol. On le savait actif, jovial, populaire, et soucieux, comme son prédécesseur, Féodor Koulakov, de la promotion agricole de sa contrée. Brejnev l’avait même baptisé «le roi des moutons», pour la réussite exemplaire d'un élevage ovin intensif, en marge de la monoculture céréalière. Et il était l’auteur, avec Koulakov - junior du Bureau politique du parti, et favori du moment dans la course à la succession - d’un système de moisson informatisé, qui leur avait valu un élogieux article dans la Pravda, avec les félicitations officielles de Brejnev. Mais Mikhaïl Gorbatchev avait aussi, sous sa responsabilité, la fameuse zone thermale de Minéralnyé Vody, truffée de luxueux palais et de somptueuses datchas où, depuis des siècles, les nantis du tsarisme, puis ceux du communisme, venaient prendre les eaux, et satisfaire, à l’occasion, leurs menus, ou fastueux, plaisirs personnels. Or, parmi les habitués de son temps, il y avait le redoutable Souslov, idéologue du parti, ainsi que l’incorruptible Andropov, chef tout-puissant du KGB. Parfois même passait, en route pour sa datcha privée de la mer Noire, Léonid Brejnev, réputé vulgaire jouisseur à ses heures. Rivalisant d’intelligence et d’adresse, Mikhaïl et Raïssa Gorbatchev accueillaient et traitaient à souhait ces puissants du régime qui se détestaient entre eux. Et leur habileté méritait, de tous côtés, récompense.
Dans sa biographie de Gorbatchev, Michel Tatu, grand spécialiste des problèmes soviétiques, relève qu’il vint en France trois fois - 1966, 75 et 76 - avant d’être porté au pouvoir. Il précise que le PCF n’a retrouvé trace, dans ses archives, que de ses deux derniers séjours, « l’un pour des vacances, l’autre à la tête d’une délégation officielle de spécialistes agricoles ». Mais il ajoute que Gorbatchev en personne lui confirma son voyage de 1966 : « Nous avons parcouru cinq mille cinq cents kilomètres à travers toute la France, au volant d’une Renault. » Et Michel Tatu d’en déduire qu’il devait être, alors, l’invité de J.-B. Doumeng, et avait visité le Sud-Ouest « sans le tapis rouge et autres barrières protocolaires ». Or, on sait que, si Jean situe bien, vers 1965, les rapports de l’UCASO avec les kholkozes de Stavropol, Gorbatchev, à son arrivée au pouvoir, en 1985, fixait à une décennie son amitié avec Doumeng. L’Humanité à l’appui, Gaston Plissonnier prouve que le voyage en France des cinq ménages de dignitaires soviétiques conduits par le futur maître du Kremlin se déroula bien en 1977. Il y a donc confusion de dates, notamment dans l’esprit de Gorbatchev, coutumier du fait, puisqu’il s’est aussi trompé, dans sa préface, au sujet de sa dernière rencontre avec Jean. Et leur amitié dura effectivement une décennie. Quant aux voitures Renault mises en scène, elles furent prêtées par la Régie, sur requête du PCF, en 1977, et non en 1966, voyage dont nul, en France, ne se souvient. Mikhaïl Gorbatchev dirigeait donc bien le groupe d’invités qui débarquait en gare du Nord, le 9 septembre 1977, pour trois semaines de vacances partagées entre Paris et la Côte d’Azur. Ils étaient logés à Bazainville, dans l’ancienne résidence banlieusarde de Maurice Thorez. De là, ils rayonnaient à travers la capitale. Le premier week-end les fit passer du château de Versailles à la tour Eiffel, avec une soirée au champagne, en bateau- mouche sur la Seine. Ce fut ensuite la «Fête de l’Humanité», et un déjeuner campagnard au stand du Lot-et-Garonne. Mikhaïl Gorbatchev y révéla un excellent coup de fourchette, et une prédilection pour les fromages et les vins du pays. Puis le groupe gagna la Côte d’Azur, à bord des cinq voitures prêtées par la régie Renault. Il résidait sur les hauteurs dominant Nice, dans la villa d’une personnalité amie du parti communiste. Très sensibilisé par la pollution marine, Mikhaïl Gorbatchev s’attardait au Musée océanographique de Monaco, tandis que Raïssa allait au cimetière de Nice, s’incliner sur la tombe du philosophe russe Hertzen[3]. Les dix regagnèrent ensuite Paris, via Marseille, avec, pour les Gorbatchev, un crochet par Noé, chez Jean. Ce fut leur première rencontre privée. Et le séjour se termina sur une visite au musée des Impressionnistes, suivie des pèlerinages traditionnels au cimetière du Père Lachaise, et au Mur des Fédérés. Tout au long du voyage, Mikhaïl Gorbatchev avait fait montre d’une intense vivacité d’esprit, d’une curiosité passionnée, et d’un sincère amour de la France.