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Vie de La Brochure
10 décembre 2022

Bernard Lavilliers joue au révolutionnaire en 1979

avant-garde lavilliers

Journal de la Jeunesse communiste, février 1979 à un moment où le PCF joue la carte de l'ouverture... JPD

Lavilliers l’amour du fatal

 NANARD le zonard investi de l’hippodrome de Paris du 6 au 10 mars. Un pari qu’il faut tenir avec les six milles fauteuils à remplir. Des conditions de shows exceptionnelles. De la quadriphonie et sans doute un son parfait. Sinon, beaucoup de sobriété pour ce spectacle qui est l’aboutissement d’une année de travail sur le POUVOIR. Le grandiose sera mis au service du texte dont la force poétique et la richesse ne détourne pas le chanteur de « Big Brother » de la ligne qu’il s’est tracée : dire tout ce qu’il haït et tout ce qu’il aime avec assez de violence pour que ça passe. Tout cela n’étant pas exempt d’ambigüité. Nous lui donnons la parole e souhaitons ne pas en rester là. En attendant vos lettres...

 Avant-Garde : Tu fais un disque et un spectacle sur les pouvoirs. Peux-tu nous présenter ce travail et nous dire à quoi il correspond.

Bernard Lavilliers : Ça représente une somme de travail énorme et j’y tiens beaucoup. Je suis dessus depuis un an. Quand je le chante, je suis vraiment d’accord.

A.G. : C’est la première fois que tu es d’accord avec ce que tu écris ?

B.L. : Non, mais j’ai investi là-dedans tout mon pouvoir d’écrire, tout ce que j’ai appris, tout ce que je sais faire.

A.G. : Quels pouvoirs dénonces-tu ?

B.L : C’est la suite de « Big Brother ». Je n’ai pas voulu faire un lexique- -des pouvoirs. Au début, ça commence par la peur, je dis un texte pendant 30 secondes « la peur porte le temps vissé à son poignet, ce batteur d’acier discret comme un indicte renvoie au bercail quand parfois tu le quittes pour affronter la mort qui est sa sœur de lait. » « L'avenir est un chien crevé sous un meuble ». Je me cite.

A.G. : Pas joli l’avenir alors ?

B.L. : Non, je ne le vois pas bien. Ça fait longtemps d’ailleurs. Faudrait que ça pète maintenant. Au pays de la social-démocratie, en Allemagne, si ne t’es pas dans la norme, c’est la cabane ou l’hôpital psychiatrique. Si t’es au PC, t’a pas le droit de travailler dans les administrations ou d’enseigner. C’est « Big Brother ». Alors même si c’est très dur, je comprends des réactions violentes comme Baader et autres.

A.G. : « Frère autonomes » c’est la réponse à la sociale démocratie ?

B.L. : C’est cela. Je ne vois pas d’autres solutions.

A.G. : Mais le pouvoir du pistolet, c’est pas l’ultime pouvoir ? Le plus terrible aussi ?

B.L. : On est dans une société de violence, c’est compliqué. J’ai beau avoir deux amis parmi les brigades rouges, en Italie, je n’ai toujours pas compris d’où venait le fric. Moi, je suis un agent secret.

A.G. : Ensuite, avec « sœurs de la zone » tu parles de la femme.

B.L. : Pour moi, c'est l’espoir. J’en ai pas beau coup en général mais je cherche quelque chose, je cherche la vie, je cherche des solutions même si ça a pas l’air évident. Donc pour moi, la femme nouvelle qui arrive, c’est sans doute une solution. Aujourd’hui une femme à quatorze ou quinze ans est bien différente. Elle a une autre conception de la vie, de l’amour, de l’enfant. Et si elles trouvent leur propre langage, pas le notre, ça va être bien pour nous.

A.G. : Et ta réputation de macho ?

B.L. : Parce que je vis avec mon corps. J’ai vécu dur et je chante dur. Dur avec mon corps. Pour certaines, ça impressionne mais si tu discutes un moment, ça ne tient pas. Il y a un côté rigolard chez moi, un sens de l’humour très particulier -—qui fait qu’on prend souvent au sérieux ce que j’ai tourné en dérision.

A.G. C’est compliqué d’être compris ?

B.L. : (rire) ouais. Je suis très complexe. Je crois qu'on est plusieurs à l’intérieur de soi-même. Les gens qui sont un, ça m’inquiète toujours un peu.

A.G. : Le morceau qui suit, c’est « frères humains ». Tu décris un monde mécanisé et ne nous épargne aucun pessimisme.

B.L. : C’est la sociale démocratie. « Attention, tous les dangereux pessimistes seront soignés dans nos cliniques ». On va vers un système à la 1984 où il n'y aura plus d’opposants. Si tu t’opposes, on te considèrera pas comme un opposant politique mais comme un malade. Ça existe déjà en Allemagne et en Suisse où on a pratiqué des lobotomies pour ôter de l’individu toutes pulsions sexuelles et toute agressivité. Peut être que je me trompe mais je vois comme ça l’avenir de la social démocratie.

A.G : Question pessimisme, tu t’es quand même réservé une place de choix dans les cliniques.

B.L. Ah ouais. Pour moi c’est ça. Tu vois aujourd’hui, la taule, c’est trop répressif. Dans un système social démocrate «propre » où chacun peut avoir sa place s’il travaille bien, on supprime la peine de mort mais on tue les gens dans les taules. Comme ça, c’est impeccable.

A.G. : Et ce long morceau « Aulobos » c’est quoi au juste ?

B.L. : C’est un mot d’Amérique latine qui désigne les vautours, les charognards dans les grands déserts. Ils sont là, ils attendent que tu crèves. Eux, quand ils crèvent, personne n’en veut et ils se dessèchent au soleil. Même les fourmis n’en veulent pas. Si l’aigle à symbolisé le fascisme, ça a évolué. Aujourd’hui pour le monde qui nous attend, il faudra l’emblème du charognard. De celui qui vit de la mort des autres.

A.G. : Enfin, pour ton dernier morceau, tu veux montrer que la peur, c’est le chantage du pouvoir. Mais il y a un truc qui n’est pas clair. Pourquoi, comme si c’était inévitable, fais tu rimer « travail famille patrie » avec «chômage, cellule, parti » ? C’est plus qu’ambigu ça ?

B.L. : Ce n’est pas une attaque contre le parti : c’est même plutôt gentil. C’est vrai qu’à Longwy, quand tu es au chômage, il ne te reste que la cellule et le parti.

A.G. : C’est un peu plus compliqué. Les mots aussi ont un pouvoir, ils expriment des idées. Dans ce cas, on ne peut pas dire que tu ne joue pas de l’ambigüité.

B.L. : Moi, je l’ai écrit comme ça. Ça rime mais ça s’oppose. J’avais bien pensé à ta réaction mais je voulais que ça puisse être pris des deux côtés. D’ailleurs, je l’ai chanté à Longwy et ça a passé. Les mots ne sont que des mots.

A.G. : Par exemple, quand je t’ai vu à Ivry, tu attaquais carrément le parti communiste. Est-ce que la provocation n’est pas un système que tu maîtrise totalement ?

B.L, : Non, pas du tout. J’ai des potes au parti et de l’amitié pour de nombreux communistes.

A.G. : On parle souvent de récupération à propos de Lavilliers ?

B.L. : J’en ai marre de cette histoire de récupération. C’est vraiment une lapalissade, une analyse politique tellement succincte, débilarde.

A.G. : Mais ton pouvoir à toi, il n’est quand même pas négligeable. Seul sur une scène face à trois mille mecs qui t’écoutent, c’est un sacré rapport de forces ?

B.L. : Il ne faut rien exagérer. C’est du show, du spectacle. Faut pas l’oublier. Le seul pouvoir que tu as, à la rigueur, c’est avec la présence physique. Mais si les gens sont là, c’est qu’ils sont venus pour m’écouter. Tout est relatif. On en prend et on en laisse et on fait ensuite ce qu’on veut.

A.G. : Tu ne sous-estimes pas un peu ton audience ?

B.L. : Non. Je suis honnête, je dis ce que j’ai à dire et je ne crois pas qu’on change sa vie à cause de ce que dit un chanteur. A côté de CBS international, mon pouvoir est ridicule.

A.G. : Tu reviens de Longwy. Que ressens-tu de ce qui se passe en Lorraine ?

B.L. : C’est très grave. Les gens ont peur. Ils sont au fond du trou. On ferme tout. J’ai vu les mecs, c’est dramatique et je ne sais pas comment ils vont s'en sortir. La Fenh Vallée, c’est un cimetière.

A.G. : Mais on s’organise là-bas, on lutte.

B.L. : Quand tu vois les mecs, ils t’expliquent que la seule chose qui va se passer, c'est qu’on va vendre à l’Allemagne. Et on a pas de solution. Ça va se décider entre les grosses banques, dans un bureau de multinationale. L’acier, ça se vend pas à l’épicerie.

A.G. : Alors pas de solution collectives ?

B.L. : Je ne sais pas. Moi, ce qui m’intéresse, ce sont les individus. L’usine quand tu y vas, tu la hais. Mais quand elle ferme, c’est encore pire. L’usine qui tourne, c’est le cœur d’une ville qui bat même     si ça pollue         et que c’est dégueulasse. J’ai rencontré une femme qui n'a dit qu’elle ne laissait plus son mari seul de peur qu’il se pende dans la cuisine. Des trucs comme ça je suis à fond dedans, ça me bouleverse.

Propos recueillis par Philippe HAUMONT et Christophe NiCK

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