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Vie de La Brochure
11 décembre 2022

La destitution du président du Pérou

pedro castillo

Il y a dix-sept mois la victoire de la gauche aux présidentielles du Pérou avait un air sympathique. Un simple instituteur syndicaliste arrivant au pouvoir avec l’appui d’un parti Peru Libre. Sauf que depuis des années ce sont les députés qui font la loi ce qui, en bonne démocratie, a un côté rassurant. Sauf que la corruption est partout et qu’il n’y a rien de plus dramatique qu’un corrompu accusant un corrompu : bref Pedro Castillo était le jour de sa victoire sur un siège éjectable. Il restait à savoir, quand et comment. La gauche n’a pas tout perdu puisque la vice présidente, était du même parti mais qu’elle a quitté en janvier et prépare un gouvernement d’union nationale. Elle est bien sûr sur un siège éjectable. Le pays n’est pas gouverné depuis des lustres à la lumière des désirs des forces dominantes qui démontrent ainsi que la politique ne sert plus à rien. J-P Damaggio

P.S. Je regrette le grand chapeau du bon Pedro.

 

Présentation de l’histoire par Espaces Latinos

Jeudi 8 décembre, le Parlement a démi de son mandat l’ex-instituteur syndicaliste après à peine dix-sept mois à la tête du pays. Un procès politique instrumentalisé par l’oligarchie de droite, selon la gauche, en particulier par l’opposition fujimoriste.

La classe politique péruvienne s’évertue à démontrer, depuis plusieurs décennies, que ce n’est pas tout à fait vrai que les périodes de crise sont propices pour l’innovation. C’est ce qui vient de se reproduire avec le gouvernement de Pedro Castillo. La destitution de l’ex-instituteur, vigoureusement dénoncé, on s’en doute, par la gauche révolutionnaire, s’inscrit dans une longue lignée de présidents condamnés par corruption ou déchus de leur mandat. Le trafic d’influence, l’association illicite, les connivences crépusculaires, les pots-de-vin sont les ingrédients où mijotent les espoirs des millions de péruviens qui attendent, en vain, l’avenir fleurissant promis par les candidats, élections après élections.

Dans les cas de l’éphémère mandat de Pedro Castillo, tous les records ont été battus : six enquêtes judiciaires, cinq gouvernements, soixante-douze ministres démissionnaires, trois tentatives de destitution. Après la deuxième tentative, en mars dernier, les parlementaires ont remporté la troisième en arguant sur l’« incapacité morale permanente» du président de gauche. Au pouvoir depuis juillet 2021, crédité un an plus tard par un sondage Ipsos de 74 % d’opinions défavorables dans sa gestion du pays, il avait déjà fait l’objet de six enquêtes pour soupçons de corruption dans son entourage, parmi d’autres accusations. La veille de sa destitution, il s’est présenté comme la victime d’un complot politique et a réfuté les accusations portées contre lui : « Je ne suis pas corrompu et je ne souillerai jamais le bon nom de famille de mes parents honnêtes et exemplaires », a déclaré Pedro Castillo dans un message adressé à la Nation. 

La destitution du chef de l’État a été approuvée par 101 voix des 130 parlementaires, dont 80 de l’opposition. Arrêté par rébellion et conspiration après la décision de la Cour suprême justice, M. Castillo a été transféré à la célèbre prison de Barbadillo où purge sa condamnation l’ex-président Alberto Fujimori[1]. Rappelons que le mercredi 7 décembre, dans un message à la Nation annonçant la dissolution du Congrès, Castillo a tenté un coup d’État qui s’est soldé par un échec. « Il y a eu un coup d’État dans le plus pur style du 20e siècle », a dénoncé le président de la Cour constitutionnelle Francisco Morales. La justice a ordonné sept jours de prison provisoire, valable du 7 au 13 décembre.

Certaines déclarations d’anciens collaborateurs du gouvernement pourraient compromettre sérieusement l’ancien président. Parmi eux figurent en première ligne José Luis Fernández Latorre, ancien chef de la Direction nationale du renseignement, et Salatiel Marrufo, l’ancien chef du cabinet des conseillers du ministère du logement. Ce dernier a révélé lui avoir donné personnellement de l’argent. «Pedro Castillo a réussi à s’isoler de tous tout seul, selon l’analyste Patricia Zarate. Il avait tous les moyens d’échapper à la destitution par le Parlement. Finalement, il s’est retrouvé obligé de fuir par une porte dérobée du palais présidentiel avec son épouse et ses enfants, sans escorte policière. Il a été arrêté alors qu’il était bloqué dans sa voiture au milieu des embouteillages des rues de Lima. » Castillo était en route pour l’ambassade du Mexique.

Le ministre mexicain des Affaires étrangères, Marcelo Ebrard Casaubon, vient d’annoncer que son pays était prêt à accorder l’asile à l’ancien président. Entre-temps, le pouvoir est assumé par la vice-présidente Dina Boluarte, qui a réclamé une trêve à l’opposition pour former un gouvernement d’unité nationale. Une lourde tâche pour l’ancien bras droit de Castillo, une avocate de soixante ans qui a reçu le soutien de l’Union européenne et des États-Unis pour renfoncer l’état de droit et les institutions démocratiques. Dans son message à la Nation, la première présidente du pays a salué « chaque Péruvien qui a observé cette situation difficile, qui met tous les citoyens à l’épreuve », avant de remercier que les actions anticonstitutionnelles menées par « n’aient pas trouvé d’écho dans les institutions de la démocratie et dans la rue »

Quel a été le principal défaut de Castillo ? C’est de toute évidence son ignorance de « la maxime de ceux qui savent gouverner : contenter le peuple et ne pas désespérer les grands » (Machiavel). En effet, une puissante élite politique n’a jamais accepté ce néophyte de gauche, né à Puña, l’une des régions les plus pauvres du Pérou. Mal rodé aux obscures subtilités de la fonction présidentielle, tout au long de son court mandat Castillo n’a cessé d’accuser le Congrès, dominé par l’opposition de droite, de mener une campagne pour le déloger du pouvoir. Le refus de sortir du pays pour des rencontres internationales, par exemple à Thaïlande pour le sommet de la Coopération économique « Asie-Pacifique », au Mexique, fin novembre, pour la réunion « Alliance du Pacifique », au Vatican pour rencontrer le pape, ou encore l’interdiction de se rendre en Colombie pour assister à l’investiture de Gustave Petro laissent transparaître, pour certains, une campagne de déstabilisation dénoncé par ce fils de paysans illettrés cholos (métis péruvien). 

L’ex-instituteur rural et dirigeant syndicaliste de 53 ans avait même affirmé, le mois dernier, qu’un « coup d’État parlementaire » était en préparation. Une mission de l’Organisation des États Américains s’est rendue à la capitale du pays Lima, fin novembre, à la demande du président. Mais, malgré l’appel au dialogue, l’intervention de l’OEA s’est révélée impuissant à combler l’insondable fossé politique qui, comme une blessure ouverte dans l’histoire du pays, sépare l’administration de gauche d’un Congrès commandé par les partis de droite d’allégeance fujimoriste. Selon le journal de tendance marxiste internationale Révolution, les responsables de la faillite de Castillo ne sont autres que la confédération patronale, l’armée, la police, les médias capitalistes, l’ambassade des États-Unis, et les multinationales du secteur minier. Dans ce contexte d’une instabilité inflammable, il faut rappeler que le Pérou est historiquement un pays de droite, comme le décrit l’historien Antonio Zapata Velasco[2], le dernier gouvernement de gauche date des années 1970 (Juan Alvarado, 1968-1975).

Beaucoup d’analystes considèrent, en effet, que Pedro Castillo a servi de tête de turc à la cause du camp fujimoriste. C’est le cas de Wilder Cordoba, qui accuse le « Congrès dominé par la droite d’avoir œuvré jour et nuit à la destitution de Castillo » depuis son élection. Cet écrivain péruvien, qui considère l’ex-président comme « la caricature d’un petit dictateur », laisse entendre que le « prochain pas de ce groupuscule » fujimoriste est de se débarrasser de Dina Boluarte ou bien de tenter avec elle « des négociations louches ». C’est dans ce climat d’une violence extrême, et d’une instabilité politique qui frappe le Pérou depuis plus de deux décennies, qu’un sondage de Latinobarometro[3] met en lumière le fait que les Péruviens sont, avec les Honduriens et les Mexicains, les latino-américains qui ont la plus mauvaise image de leur système politique.

En 2014 déjà, plus d’une centaine de candidats aux régionales et aux municipales étaient suspectés d’avoir des liens avec le narcotrafic. Dans un pays où la motion d’« incapacité morale » à déjà provoqué la chute de deux anciens présidents (Pablo Kuszynski en 2018 et Martin Vizcarra en 2020), une instabilité politique chronique est, hélas, en train de figer dans la société péruvienne l’idée, bien exprimée par Alphonse Karr, selon laquelle « plus ça change, plus c’est la même chose »[4].

Eduardo UGOLINI



[1] L’ex-président Fujimori (1990-2000) a été cité en 2004 par Transparency International parmi les dix anciens chefs d’États les plus corrompus des deux dernières décennies.

[2] Pensando a la derecha, Lima, Editorial Planeta, 2016.

[3] Organisation privé qui réalise chaque année des enquêtes d’opinion (20.000 entretiens) sur la confiance à l’égard des institutions démocratiques dans 18 pays d’Amérique latine et dans les Caraïbes représentant plus de 600 millions d’habitants

[4] Les Guêpes, 1849, éd. Lévy

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