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Vie de La Brochure
4 janvier 2023

A la mort de Jules Fourrier

D'un archive je tombe sur une autre qui me renvoie à la précédente. Ce n'est pas sans émotion que je reprends cet article écrit par l'ami instit Bernard Donnadieu. Instit à Cazals pendant un temps, prof d'université à la fin. Salut Bernard et encore merci pour ce texte publié dans Point Gauche ! n° 44 nov 1999. C'est un peu toi qui est là et c'est sûr, Jules n'a jamais été un ex. J-P Damaggio.

Jules est mort

Jules est mort . Nous étions quelques uns réunis à Cazals en ce début du mois d'août pour accompagner l'ami, le compagnon de cœur, le frère de conviction, le camarade de lutte ou simplement le voisin, pour un dernier salut fraternel.

Pour quelques uns sans doute, les paroles de l'Internationale et les drapeaux rouges flottant au-dessus des tombes, ont dû paraître incongrus, un peu anachroniques voire même hérétiques dans le petit cimetière de Cazals plus coutumier des cantiques et des De profundis que des accents d'une émotion militante. Cependant, aucun des acteurs ne fut surpris ni offusqué parce que chacun connaissait les convictions et les engagements de Jules.

Cette assemblée, triste de la mort de Jules, ne fut en somme qu'une autre de ces réunions dans lesquelles, tout au long de sa vie militante, Jules Fourrier sema les "graines rouges" du socialisme sans perdre jamais l'espoir d'en voir un jour, éclore les fruits. Il est bien que cela ait été dans ce petit cimetière, derrière la petite église qui jouxte sa maison et celle de Pétra sa compagne, à quelques pas du jardin potager proche de la rivière où il aimait descendre, sur les traces de son chien, pour évoquer avec quelque ami, les luttes anciennes et préparer les nouvelles. Il est bien qu'une vie qui marqua de sa présence et de son action l'Histoire de ce siècle, s'accomplisse là, dans l'intimité et la modestie de cette vallée, comme une histoire de plus à raconter dans ce village dont la quiétude n'a jamais entamé la vigueur "combattante" de Jules. Pour lui, l'action des grandes figures historiques n'a pas plus (ni moins) de valeur que celle de la foule des sans-grades et des anonymes ; les grands événements de l'Histoire n'ont pas plus (ni moins) de signification que les petits événements du quotidien ; les lieux prestigieux où se construisent les routes balisées de l'Histoire ne méritent pas plus la présence militante que les sentiers perdus, les chemins de traverse.

Pour cet ancien député du XVéme, ouvrier peintre en bâtiment, fondateur du PSU, antifasciste indéfectible, chacun vaut pour sa peine dans la lutte et chaque lieu est traversé d'histoires multiples, anecdotiques, mais sans lesquelles l'Histoire deviendrait insignifiante.

Pour Jules, la compagnie militante et les convictions antifascistes du postier, de l'accordéoniste de Cazals, «du métallo du quartier de St Lambert», de «Mallet» le cheminot de Montparnasse etc. valent tout autant dans la lutte que le voisinage de Maurice Thorez à l'Assemblée Nationale du Front Populaire ou que celui de Marty à Barcelone dans les Brigades internationales. Jules, en collaboration avec des "camarades militants» de la LCR, a publié en 1983 aux éditions La Brèche, "Graine Rouge" qui retrace son itinéraire depuis la lutte antifasciste en pays Chouan en 1925 jusqu'à mai 68. Le ton et le style de cet ouvrage - qui mériterait aujourd'hui une réédition - témoignent de ce lien que Jules établissait naturellement entre le cours de l'Histoire et la grandeur des modestes histoires singulières : cet ouvrage fourmille de noms propres dont la moitié sont restés inconnus, excepté pour l'auteur, comme si dans la longueur de ces cinquante années, il s'attachait à n'oublier personne et à nommer avec précision tous ceux qui participèrent, même très épisodiquement, à cette Histoire. "Il a une mémoire exceptionnelle à son âge" disaient beaucoup de ses camarades. Moi qui l'ai souvent écouté dans la cuisine de Cazals après ma journée de classe, lorsqu'en compagnie de Pétrine nous évoquions leur histoire et l'Histoire, je peux témoigner qu'il s'agit moins d'une question de mémoire que d'une attention particulière et minutieuse, d'une considération précise pour toutes les personnes rencontrées et surtout pour leurs comportements sociaux et leurs actes publics. C'est ainsi que Jules comme cadre du parti communiste, député du Front populaire, militant trotskiste, libre penseur, n'a jamais été un analyste du mouvement ouvrier, ni un théoricien du socialisme. Ce fut un homme dont les convictions antifascistes, anticapitalistes, anticléricales, se sont construites dans l'intervention sociale active, dans la rencontre de l'injustice et de la violence subie ou constatée et dans l'action collective et quotidienne qui confronte à la grandeur mais aussi aux faiblesses, aux compromis, et parfois aux compromissions auxquelles Jules n'a jamais cédé. Jules, même dans l'intimité de la conversation ordinaire, ne se lassait jamais de revenir sur ces histoires dans l'Histoire, au risque parfois de perdre l’attention de son auditoire. Il n'en finissait pas d'évoquer tel ou tel personnage, mais toujours pour montrer que des comportements ou des engagements anciens, qu'ils soient à ses yeux exemplaires ou détestables, peuvent encore justifier et déterminer le sens de son engagement actuel.

Malgré la tristesse, nous fûmes tous un peu amusés, le jour de l'enterrement, par ce lapsus dans la bouche de Roger Labrusse, compagnon libre penseur : dans son hommage, voulant parler des propos de Jules relatant les épisodes de son histoire, il parla de "conférences" au lieu de "confidences". Ce lapsus témoigne que pour Jules la parole en privé garde la valeur d'une parole publique. Cette parole publique, il la fera entendre jusqu'au bout de son chemin, en atteste le dernier texte écrit pour Point Gauche cet été. Jules fut homme d'engagement et d'action sans défection tout au long de sa vie. En cela, le titre du film télévisé de Mosco qui évoque la figure de l'ancien dirigeant du PC, "Mémoire d'ex" n'est finalement pas pertinent pour qualifier Jules. Car s'il fut bien, en réaction au stalinisme et au pacte germano-soviétique, à partir de 1941, un ex membre du Parti Communiste Français, il ne fut jamais, et n'est toujours pas, un ex et même pas un ex communiste dans le sens où communiste signifiait pour lui lutter pour plus de justice sociale, contre le fascisme et contre tous les obscurantismes.

Bernard Donnadieu

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