L’histoire selon les enfants

Un ami m’a passé un registre d’inscription des enfants dans une école. C’est le type de documents ordinaires que les services des archives locales ou autres, n’ont jamais pris au sérieux. Or j’y ai toujours trouvé de l’émotion car l’inscription d’un enfant à l’école c’est peut-être un événement fondateur de sa vie. Et à cette époque là on y avait la date d’entrée, la date de sortie et le commentaire final du directeur, avec le diplôme du Certificat d’études, obtenu ou pas. Pourtant c’était une époque (1912) où l’école était encore anecdotique dans une vie : 6 années seulement pour la très grande majorité et encore avec une fréquentation réduite pour certains.

Et j’ai envie de chercher entre les lignes de ce document quelle vision de l’histoire habitait les enfants. Je veux dire l’histoire selon les enfants !

J’imagine bien sûr que du terme «histoire» à «lire une histoire» la marge est modeste

Quand j’ai débuté mon métier d’instit l’enseignement de l’histoire s’est transformé plus ou moins en «disciplines d’éveil». Je dis plus ou moins car j’ai peu croisé d’instits, suivant à la lettre, les instructions officielles.

Auparavant il y avait le livre d’histoire qui c’est vrai était conçu pour raconter quelques histoires avec les héros classiques et « nos ancêtres les gaulois ».

En arrivant au collège quand j’ai découvert que l’enseignement de l’histoire débutait par les Egyptiens, puis les Grecs etc. j’ai été déçu et j’ai toujours pensé que le processus devrait être inversé.

Mais bon, c’est ainsi…

Je sais une chose : gamin, j’aimais beaucoup l’histoire.

Je sais une chose : depuis toujours, pour l’école primaire de la rentabilité, on ne parle que d’écrire, lire et compter !

La vie est bien autre chose !

Mais venons-en au fait !

Pendant des siècles l’histoire a été l’histoire des révolutions.

Depuis la fin du XXème siècle l’histoire est devenue l’histoire des révolutions sans révolutions suivant la formule bien connue d’un Sicilien : « tout changer pour que rien ne change » (et c’est aussi un Italien qui a donné des formules universelles sur le lien pessimisme et optimisme, et sur le lien entre ce qui meurt et ce qui nait).

Pour les enfants la continuité domine sur la révolution.

Les enfants chantent toujours à la claire fontaine ! Ou des chansons d’Anne Sylvestre mais c’est pareil.

Les enfants sont toujours les mêmes sauf qu’à présent, il y a la mutation des écrans. Une mutation ? Toute la question est là.

Tous les enfants du monde ne sont pas face aux mêmes drames mais ils réagissent comme des enfants.

Il existe un propos fréquent sur le fait qu’il ne faut pas voler aux enfants leur enfance.

Et un autre moins fréquent, cher à Paul Ariès, qui pense qu’on vit dans un système qui nous infantilise. Il faudrait que nous devenions tous des grands enfants, pour être mieux exploités par un système qui a horreur des citoyens.

Quand j’étais gamin, il n’y avait pas l’eau courante à la maison, et je comprends que pour des gamins français d’aujourd’hui c’est incompréhensible, sauf qu’il s’agit des mêmes gamins !

Les gamins de partout et de toujours aiment faire des cabanes. En quoi leur histoire est toujours la même, et en quoi elle est différente ?

Au fond pour les adultes la question se pose aussi !

Manger, dormir, se déplacer, faire l’amour n’est-ce pas toujours pareil ?

Le capitalisme a compris qu’il pouvait imposer des révolutions sans révolutions, le jour où il s’est émancipé de la tradition squattée (et donc immobilisée) par les réactionnaires. Il fallait oser. J-P Damaggio

P.S. Je prends au hasard sur le registre : Bourthoumieu François né le 2 août 1906, fils de gendarme qui entre à l’école à la rentrée 1912 et qui en sort en 1919. Il a fait sept ans pour obtenir le certificat d’études et l’instit note : « Elève intelligent mais très nerveux, étourdi. Faible en écriture et orthographe. Entre à l’Ecole primaire supérieur de Beaumont de Lomagne où il peut faire un bon élève. »