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Vie de La Brochure
19 mars 2023

En souvenir de Bernard Donnadieu

Il est des personnes qui me manquent aussi je reprends ce texte de mon livre quarante enseignants que j'avais oublié. JPD

 

« Louis, cet instit, devenu prof de fac, tu l’as connu à l’Ecole normale.

Après les imposants mouvements de lutte des instits contre les maîtres-directeurs en 1986 il a contribué à la naissance de cette expérience unique, préfigurant le nouveau syndicat des instits, le SNUipp qui naîtra 5 ans après. Avec sa compagne, Christiane, que de discussions ! »

Avec Bernard, Louis a fini par comprendre l’énigme qui sert de guide à ce livre et qui se résume en cette phrase : « L’instit n’est pas un intellectuel».

L’intellectuel tient son pouvoir du savoir tandis que l’instit le tient de sa présence dans la société.

Pour l’intellectuel, le savoir est le but, quand il est seulement le moyen pour l’instit.

Les hasards de la vie permirent à Louis de croiser le père de Bernard, receveur des postes, bien avant qu’il ne discute passionnément avec lui. Et Christiane pouvait apporter mille autres expériences à la discussion commune. La chance du Tarn-et-Garonne, c’est sa petite taille qui aide à une inter connaissance sans laquelle ce livre serait impossible. Et en pensant à Bernard Louis, se laisse aller à des considérations générales.

Jaurès aimait rappeler cette phrase de Diderot : « Avoir des esclaves n’est rien ; mais ce qui est intolérable, c’est d’avoir des esclaves en les appelant des citoyens ! ». Diderot n’a pas pu connaître l’abolition de l’esclavage au nom de la citoyenneté réelle, il a cependant cerné la démagogie de toujours. L’esclave est l’homme pour qui le métier est un tout, mais un tout totalement subit. S’il chante, c’est pour mieux travailler. S’il prie, c’est pour garder son travail. Si sa vie familiale est brisée, c’est que son patron aura, pour des raisons économiques, dispersé ses enfants, sa femme, son père et sa mère (dispersé pour dire vendu). Puis, l’esclavage aboli, le fils fut encore conduit plus ou moins à faire le travail du père. La fille conduite à se marier suivant le désir du père. D’où la première revendication salariale quand viendra l’heure de la revendication : la diminution du temps de travail pour gagner le temps du repos. En 1905, le législateur français décida de séparer les Eglises de l’Etat, et en 1906 il décida enfin que le dimanche serait obligatoirement jour de repos, un des souhaits permanent du Pape. Gagner du temps libre, oui, mais pourquoi faire ?

Le travail de l’instit est souvent connu par l’immense temps libre qu’il laisse. Attention, il n’a pas été dicté par le rythme scolaire. Pendant longtemps, vu son salaire, l’instit était obligé d’utiliser ses vacances à des travaux rémunérateurs dans les champs, en colonie de vacances ou ailleurs. Ce temps libre est venu seulement avec le début de ce siècle, quand la République décida que l’instit en était la base (de la république comme du siècle et de la vie elle-même). Il fut rémunéré en conséquence : non pas grassement mais nationalement. Auparavant, cette rémunération avait trois bases : les parents, les mairies et l’Etat. A partir de 1895 l’Etat prit tout à sa charge (le transfert des charges se faisait de la commune vers l’Etat, et à présent c’est l’inverse). Le Pape en déduira que l’Etat tend à la dictature. De son côté, l’instit apprendra qu’il est au service de ses élèves, comme de toute la communauté où il exerce ses talents. C’est toujours ainsi que Louis a vécu son métier : avec des élèves comme avec toute la société.

Un jour, un ami de Louis, dont le métier est le Théâtre, découvre dans les rues d’Avignon, pendant le Festival, une femme jouant de l’orgue de Barbarie. Amateur de cet orgue, il n’aime pas le spectacle de cette femme. Il y reconnaît une instit en vacances. Après vérification, cette instit, car c’était une instit, ajoutera une carte à son orgue en déclarant : «Descartes aura été le Français qui a fait le plus de mal ».

Cette anecdote pour dire que le métier n’est pas une grande famille faite de fraternité. Pour sa première entrée dans une école, Louis eut la douleur de découvrir des instits qui se faisaient la guerre au moment de se répartir les enfants d’une classe. La petite taille des écoles empêche souvent cet exercice scabreux mais quand il y a deux classes de CP, comment se répartir les enfants déjà repérés comme turbulents ? Cette guerre en recoupe bien d’autres, que la République, quand elle se jugea néfaste (à partir de 1958), utilisa et aggrava pour en finir avec son histoire.

Avec Bernard et Christiane, Louis a appris à placer la vie au-dessus des idées que l’on peut avoir sur la vie, car l’action a toujours commandé la pensée. A la question, qui a été premier de l’œuf et de la poule ?, personne ne peut répondre. Par contre à la question : qui est premier de l’action et de la pensée ? Chacun peut choisir sa réponse. L’action alimente la pensée de Louis, une pensée qui peut alors devenir un élément de son action.

Faire le bilan d’une activité professionnelle par des portraits de personnes clairement identifiés, c’est une idée qui est venu à Louis grâce au contact avec Bernard et Christiane.

Par ce livre, Louis affirme quelques vérités, y compris à l’adresse des apôtres moderne du relativisme qui pensent que toute quête de vérité est illusoire. La première des illusions est leur phrase favorite, qu’ils présentent comme une vérité : « la vérité ça n’existe pas ». Au nom du combat contre le dogme, le relativisme deviendrait un autre dogme. «La terre est ronde » est une vérité parmi des milliers, en marche vers la suivante. La première des vérités porte ici, sur le nom de telle ou telle personne qui a existé ou existe encore. Le relativisme concerne le choix opéré et guidé par l’admiration portée aux dites personnes. Les vérités concernent les leçons apprises en toutes ces occasions qui paraissent utiles à toute la société, utiles en vue de nos émancipations (oui, au pluriel).

Ce faisant, Louis refuse tout guide de voyage comme celui de l’instit prisonnier de la pédagogie (quelle tristesse la pédagogie !). Avec une fiction, il suffit d’écrire « roman », et le lecteur entre dans le texte muni d’une clef connue, solide, partagée, sociale. Avec un témoignage, il suffit d’écrire « mémoires » et aussitôt le lecteur est sur les rails d’une nostalgie aussi douce qu’amère. Louis appartient à « la France d’à côté » sur le plan professionnel, syndical, humain et quotidien. Souvent, il s’amuse à l’école.

Une fois la collègue de la classe jointe à la sienne frappa à la porte pour lui dire : « pardon, mais nous, à côté, on travaille ! ». Les rires des enfants de sa classe étaient-ils si perturbant ?

« Louis, je crains que le lecteur ne saisisse pas bien le rapport entre ces quelques lignes et le cas de Bernard et Christiane, et en plus, j’ai envie d’ajouter quelques mots qui n’éclaireront rien. Je pourrais parler du fait que Bernard avait un frère instit comme toi tu as une sœur instit, du fait que Bernard construisit sa maison comme tant d’autres instits mais le nom de Jaurès m’incite à revenir sur ce géant. En 1888 il appelait les instits à ne pas « fabriquer des machines à épeler » ce qu’aujourd’hui Gilles de Robien ministre pour l’oubli, devrait méditer. Citons encore : «Il ne faut pas croire que ce soit proportionner l’enseignement aux enfants que de le rapetisser ». En fait, citer est un piège pour la pensée de Jaurès qui forme un tout et qui dit partout qu’on n’enseigne pas ce qu’on sait mais ce qu’on est. Vois-tu Louis, je regrette d’avoir découvert si tard une telle pensée ! »

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