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Vie de La Brochure
13 juin 2023

Robert Laffont contre l'élargissement de l'Europe de 1972

robert Lafont

Avec le message précédent sur le vin de Cahors les observateurs ont pu noter que j'étais dans l'actualité de 1972. Le référendum, cher à Pompidou, sur l'élargissement de l’Europe, du 23 avril 1972, posait cette question : «Approuvez-vous, dans les perspectives nouvelles qui s'ouvrent à l'Europe, le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République, et autorisant la ratification du traité relatif à l'adhésion de la Grande-Bretagne, du Danemark, de l'Irlande et de la Norvège aux Communautés européennes ? ». Le Oui l’emporta à 68%.

C'est au sommet de La Haye en décembre 1969 qu'est accepté le principe de l'entrée de la Grande-Bretagne dans le marché Commun. Après un vote décisif du Parlement britannique le 28 octobre 1971, et celui du référendum en France, l'Europe des Six (France, Allemagne, Pays-Bas, Luxembourg, Belgique, Italie) devient l'Europe des Neuf (entrée de la Grande-Bretagne, du Danemark et de l'Irlande). Depuis on a cessé d’interroger les Français sur l'élargissement. Ici le point de vue de Robert Lafont (1923-2009) JPD

 L’Europe des colons, par Robert Lafont

Nous ne sommes appelés, à nous prononcer, le 23 avril,

que sur la sauce à laquelle nous voulons être mangé

 Nous savons maintenant sous quelle forme habile la question de l’entrée de nouveaux partenaires dans le Marché commun est posée aux Français. Cette habileté exclut la vraie question, qui engage leur avenir, car ne pouvait être matière à consultation la nature de ce pouvoir socio-économique qui fait l’Europe et l’agrandit. Le choix ne peut nous être offert entre une Europe des travailleurs et une Europe des trusts mais entre tel cartel ou tel autre de gouvernements capitalistes. Les peuples ne doivent se prononcer que sur la sauce à laquelle ils seront mangés.

Mangés, oui. Un exemple, majeur. En dessous de la Loire, on sait aujourd’hui que la désindustrialisation a atteint un point de non-retour : du moins selon les données du jeu capitaliste actuel. Concurremment, l’agriculture se trouve condamnée comme non compétitive aux termes de Mansholt et Vedel : exploitations trop petites, exploitants vieillis et endettés. Les fils de paysans et d’ouvriers doivent, toujours plus nombreux, s’expatrier pour trouver un emploi. Le pays s’enfonce ainsi dans la soumission. Les campagnes les plus reculées sont à la vente, comme zone élue d’habitations secondaires, quelquefois par villages entiers (en Languedoc, en Rouergue, en Aquitaine). Parmi les acheteurs, aux Parisiens, aux Lyonnais, la clientèle européenne fait suite : Belges, Allemands et aussi Britanniques.

L’occupation militaire

Devant cette « occupation des profondeurs », deux façades se construisent : l’une, industrielle, articulée sur Fos, utilise la région en limitant l’intervention de l’initiative régionale : les industriels locaux suspendent leurs espoirs à d’hypothétiques sous-traitances ; les cadres viennent de Lorraine et le prolétariat est importé du bassin méditerranéen. L’autre façade est touristique, couvrant bientôt les Landes après avoir couvert Provence et Languedoc : là encore, la classe capitaliste locale, ce qu’il en reste, doit se faufiler dans le réseau des promoteurs venus de loin, de l’Europe riche, cependant que le travailleur régional se voit interdire, par les tarifs pratiqués, la zone industrielle pour ses loisirs. L’Occitanie tout entière ainsi que le Pays Bas

que, la Corse, la Bretagne sont la proie des affairistes du tourisme.

Il devient de plus en plus vain d’accuser, comme cela se faisait vers 1962, le « colonialisme intérieur » français. Il n’était qu’un relais et subsiste comme tel. L’Europe riche se jette avec appétit sur les terres vacantes, sur les terres de ses vacances. L’institution européenne n’est qu’un après-coup de l’investissement colonisateur : les Britanniques n’ont pas attendu l’issue d’un référendum pour intervenir à Fos.

Mais l’occupation militaire complète l’occupation touristique. Des Landes au plateau d’Albion, à Canjuers, un réseau de camps, de dépôts de fusées, de champs de manœuvres se développe, coïncidant, pour une plus efficace désertisation, avec les limites des parcs naturels. Le Larzac est la clef du dispositif. Au centre politique : là, le désert n’est qu’apparence ; c’est une agriculture jeune et transformée qu’on tâche d’exproprier ; et c’est une jeunesse qui répond. L’affaire du Larzac n’est que couverte de « défense nationale française » ; elle est déjà européenne et les Britanniques y sont présents. Sur cé point encore, l’institutionnel est une sanction a posteriori.

Dans une stratégie de l’impérialisme, dont l’Europe en construction est le terrain, tout se tient. Le gouvernement britannique sollicite l’entrée dans une institution supranationale au moment où les forces économiques qu’il représente ont déjà investi l’Europe. Un gouvernement qui mène une dernière bataille coloniale en Irlande et, aussi, un gouvernement irlandais qui n’a pas empêché la colonisation économique de son pays veulent entrer dans une Europe qui reconduit les processus colonisateurs.

Refuser un tel référendum, c’est refuser une duperie, refuser aussi l’impérialisme à forme économique et l’impérialisme militaire en manœuvres sur un même territoire, se démarquer des couches collaboratrices d’une population abusée, qui glanent quelques profits dans la mise en coupe réglée d’un pays.

C’est peut-être le meilleur moyen de préparer d’autres rassemblements européens. Tout peut se tenir aussi d’un autre côté, si le combat des travailleurs (et naturellement celui des travailleurs britanniques) est rejoint par un combat décolonisateur. Combat déjà entrepris et qui traverse le rite référendaire en l’éclairant. R. L.

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