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Vie de La Brochure
14 juin 2023

Paul Ariès encore

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Voici un autre entretien avec Paul Ariès repris du journal Le Monde. Il fait suite à celui du Temps. Je précise que je suis d'accord avec 

Paul Ariès : « Viandards et végans sont les enfants de la même époque »

Le politologue Paul Ariès, auteur notamment d’« Une histoire politique de l’alimentation. Du paléolithique à nos jours » (Max Milo, 2016), montre les enjeux idéologiques et politiques actuels liés à l’alimentation.

Propos recueillis par Marie Aline

Publié le 29 janvier 2022 à 15h00, modifié le 31 janvier 2022 à 09h43

Paul Ariès, politologue, auteur d’Une histoire politique de l’alimentation. Du paléolithique à nos jours (Max Milo, 2016) et de romans tels que Le Meilleur des mondes végans (A plus d’un titre, 2021) et le récent J’veux plus manger de viande (Editions Golias), analyse la relation entre politique et gastronomie.

 Eric Zemmour écrit dans son dernier livre, « La France n’a pas dit son dernier mot » (Rubempré, 2021), que « le mot “gastronomie” est une invention française », tout en observant que « la France est aussi le pays des McDonald’s triomphants ». Comment la gastronomie française peut-elle devenir un argument politique pour l’extrême droite ?

 Paul Ariès  L’alimentation a été de tout temps un enjeu idéologique et politique, surtout en France. Il est donc juste de parler de cultures et, pourquoi pas, d’identités culinaires, mais en prenant bien garde de ne jamais sombrer dans la xénophobie, sous peine de se tromper de combat, voire de renforcer ce qu’on dénonce. L’extrême droite peut aujourd’hui s’emparer de ces questions car les gauches françaises ont oublié la nécessité d’avoir des politiques alimentaires aux côtés des politiques agricoles – même si Jean-Luc Mélenchon a fait quelques pas timides dans ce sens en prônant la gratuité des cantines. Les gauches abandonnent ce terrain pourtant vital à l’extrême droite, qui l’occupe à sa façon.

C’est bien parce que nous avons perdu la bataille de l’imaginaire – ce qui est pire que de perdre seulement celle des idées – que j’ai choisi de publier, coup sur coup, deux romans dystopiques sur l’alimentation et le véganisme. Nous ne devons pas abandonner ces questions de table aux tenants du productivisme agricole et de l’aseptisation alimentaire, pas plus qu’aux identitaires, viandards ou végans, car ni les uns ni les autres ne posent les questions en termes de culture émancipatrice. La table ne concerne pas que notre corps biologique mais aussi notre corps social, culturel, politique, onirique, anthropologique. Manger n’est jamais un acte simple, car c’est faire du moi avec de l’autre… Manger de la viande est encore plus complexe, car c’est incorporer de la chair, donc ce qui nous est le plus proche.

 Papacito, influenceur d’extrême droite sur YouTube, qui aime s’attaquer à de grosses côtes de bœuf, prend souvent les végans pour cible. En quoi être végan serait-il contraire au fait d’être identitaire ?

 Paul Ariès  Le véganisme est de toutes les couleurs politiques, il existe des végans d’extrême droite comme d’extrême gauche ; comme il existe des viandards de gauche et de droite. Le végétarisme a d’ailleurs été dans l’histoire une idéologie bonne à tout faire, il a accompagné le meilleur comme le pire. Le meilleur se trouve par exemple dans L’Encyclopédie de Diderot sous l’illusion qu’il suffirait de ne plus manger de viande pour en finir avec toute violence. Le pire se trouve dans toute une tradition du nazisme qui avait fait le choix du végétarisme au nom de la pureté raciale.

Papacito est autant un idiot utile du véganisme que les végans sont les idiots utiles de l’agriculture cellulaire (c’est-à-dire de la fausse viande, du faux lait, du faux miel, etc.). Ils campent sur les deux faces opposées d’une même problématique. La question serait celle de la viande en soi. Les végans diabolisent la viande, les identitaires la vénèrent. Ils s’entendent pour laisser croire que l’opposition serait entre les protéines animales et les protéines végétales, alors que la vraie alternative est entre, d’un côté, la production industrielle de protéines, qu’elles soient animales ou végétales, et, d’un autre côté, l’agroécologie. Viandards et végans sont donc les enfants de la même époque. Ils essentialisent la viande. Ils partagent souvent la même misère intellectuelle débouchant sur les mêmes impasses.

 Pensez-vous que la dimension technique de la cuisine et des savoir-faire artisanaux français aident à banaliser le discours d’extrême droite ?

 Paul Ariès  Je pense exactement l’inverse. J’ai consacré l’essentiel de ma vie intellectuelle à montrer en quoi l’appropriation alimentaire du monde est un enjeu de soft power. Ce qui n’est jamais préjudiciable, c’est de renforcer la culture, notamment scientifique et technique, y compris en matière alimentaire ; ce qui est préjudiciable, c’est d’oublier la moitié de la question alimentaire en nous intéressant seulement au contenu de l’assiette, à ce qu’on mange, alors qu’il faudrait questionner aussi nos cultures, nos rituels, nos symboles. L’alternative à la malbouffe n’est pas seulement d’avoir les meilleurs produits, mais que chacun de nous redevienne un mangeur et non plus un simple consommateur, que nous soyons maîtres de nos usages alimentaires, ce qui suppose de sacrées connaissances culturelles !

Les identitaires voient ces enjeux avec une courte vue. Ils se focalisent sur les produits. Ils aiment se montrer dans la dévoration, dans l’excès de viande, si possible rouge et saignante, dans l’abus d’alcools… Ils confondent systématiquement le trop-manger et le bien-manger, le bien-manger avec le produit de luxe. Ils ne connaissent rien de la poésie du pain perdu – comment faire ce qu’il y a de meilleur, comme un dessert, avec des restes.

Les gauches, et notamment les écolos, sont tout autant à côté de la table car ils partagent également une conception chosiste de la table, en se focalisant sur la quête du produit bio. On cherche le produit le plus pur pour se purifier, conformément à l’adage alimentaire moderne qui veut qu’il faille manger pour avoir la forme sans les formes. Nous devrions au contraire être du côté de l’invention de nouveaux rituels de table, conformes au projet de civilisation que l’on projette. La grande chance de la France pour réussir la transition écologique est l’importance de la restauration sociale (scolaire, en entreprise, hospitalière, militaire, pénitentiaire, etc.) avec plus d’un repas sur deux consommés à l’extérieur. Au lieu d’en faire un sous-secteur, on pourrait, avec un minimum de volonté politique, en faire un levier pour avancer vers une alimentation relocalisée, resaisonnalisée, moins gourmande en eau, moins carnée, une alimentation servie à table pour retrouver le goût du partage.

 Estelle « Redpill » Rodriguez, identitaire affirmée proche de Renaud Camus et star de TikTok, assume ses origines méditerranéennes et la cuisine qui va avec, tout en se faisant l’ambassadrice du terroir français. Est-ce contradictoire ?

 Je ne vois pas de paradoxe dans le fait qu’elle revendique ses origines pieds-noirs, algériennes, italiennes et espagnoles, donc du Sud, et qu’elle fasse en même temps la promotion de produits hexagonaux, car il s’agit véritablement de métapolitique, au sens où l’entendait un autre grand penseur de la nouvelle droite, Alain de Benoist. Elle sait parfaitement ce qu’elle fait : elle instrumentalise des enjeux alimentaires pour une cuisine politiquement indigeste. Le vrai paradoxe est ailleurs, je le vois davantage dans l’écart entre la faiblesse de ses propos en matière de table et son succès médiatique. La nature a horreur du vide et la gauche a oublié cette façon de faire de la politique à partir du quotidien, du vécu, de l’ordinaire, en partant de ce que vivent les gens. La force d’Estelle « Redpill » Rodriguez, c’est le silence des gauches.

 L’approvisionnement local et le manger-sain sont des valeurs prônées autant par les identitaires que par les chefs et clients de restaurants du 11e arrondissement de Paris. Les bobos seraient-ils des identitaires qui s’ignorent ?

 Les bobos peuvent être des identitaires qui s’ignorent, car la question de la relocalisation est toujours grosse d’équivoques. C’est pourquoi j’ai repris, dans mes livres, la formule de l’écrivain portugais Fernando Pessoa, qui définissait ainsi l’universel, en parlant du « local sans les murs », c’est-à-dire sans l’enfermement dans une identité, quelle qu’elle soit. Marie Aline

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