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Vie de La Brochure
24 juillet 2023

La Méridionale des Mousses, Albias, Témoignage

Du temps où Albias avait une cellule du PCF, dont j’étais le secrétaire de section, avec son secrétaire il m’est arrivé d’aller distribuer des tracts à la sortie de cette usine, comme à la sortie de la Soudexvinyl, l’autre usine de la commune. Ce témoignage de Jean Saltarel est précieux à plus d’un titre. Le site internet de L’Institut National d’histoire sociale renvoie bien à sa version régionale en Midi-Pyrénées mais qui fonctionne mal. Donc voici le texte avec les références. J-P Damaggio

 Repères n°70 bulletin trimestriel de l’Institut régional CGT d’histoire sociale de Midi-Pyrnées

Carpenter : la mousse de tous les risques

Le prochain colloque de l’IHS CGT national se déroulera les 30 novembre et 1er décembre sur le thème « Syndicalisme et environnement : approches historiques et sociologiques (19ème et 20ème IP™ et2tfme siècles) ». Nous proposons de nous inscrire dans ce travail à partir d’histoires et problématiques posées dans des entreprises de Midi-Pyrénées.

Après avoir constaté que l’environnement occupe une place grandissante dans le débat public et donc parmi les salariés et les syndicats, il est noté que « si le mouvement syndical na pas été écologiste avant l’heure, il n’a pas été non plus indifférent aux questions environnementales ». Des travaux de recherche montrent que les syndicats se sont intéressés de longue date aux effets sanitaires des produits utilisés dans le travail, à l’usage des ressources naturelles et à l’amélioration des conditions de vie et de travail. Dans nos secteurs d’activités, entreprises, syndicats, à partir de quel moment les questions environnementales ont pris une place importante ? Comment les syndicats les ont abordées ? « Repères » accueille les articles dans ce sens. Les 7èmes Rencontres Régionales Travail Cinéma qui se dérouleront en octobre et novembre prochains seront aussi consacrées à cet enjeu. 

Le cas d’Albias

A Albias, localité du Tarn et Garonne située sur l’ancienne Nationale 20 entre Montauban et Caussade, un établissement connu localement sous l’appellation «l’usine des Mousses» a régulièrement défrayé la chronique pour ses rejets chimiques durant ses 35 ans d’activité.

 À partir du milieu du siècle dernier, la mousse de polyuréthane (PUR) est devenue un produit indispensable dans de nombreux domaines : ameublement (matelas, canapés, fauteuils...), industries liées au transport (siège, rembourrage, insonorisation) mais aussi dans le bâtiment (isolation, calfeutrage...) pour ne citer que les principaux.

Cette matière dérivée de la chimie pétrolière dépend exclusivement des énergies fossiles. Sa production, compte tenu des investissements qu'elle suppose, est entre les mains de quelques groupes multinationaux, principalement Américains (Carpenter), Anglais (Nobel) Néerlandais (Recticel), les rares entreprises françaises ayant été absorbées au fil de décennies.

C'est ainsi que cette petite usine familiale d'Albias, la Méridionale Des Mousses créée en 1968, a d'abord été reprise par une société alsacienne, PLASCO, puis par l'américain CARPENTER, 2ème groupe mondial, avant que celui ci décide de la fermer en 2002 pour des raisons de stratégie commerciale, bien que rentable.

Quel lien avec l'écologie ?

A plusieurs reprises, les salariés de cette entreprise - dans laquelle j'ai travaillé depuis sa création jusqu'à sa fermeture -, ont été confrontés à des risques importants non seulement pour leur santé, mais aussi pour l'environnement.

Une première alerte, sans conséquence humaine, s'est d'abord produite lorsque un élevage de canards situé sur le terrain adjacent a été décimé après avoir barboté dans le plan d'eau destiné à recueillir les eaux pluviales de l'usine mais qui avait subi un déversement accidentel à la suite du rinçage des cuves.

Puis inquiétudes pour l'avenir des emplois dans cette entreprise qui a occupé jusqu'à 80 salariés, lorsque l'utilisation

du Fréon liquide, indispensable dans le procès de fabrication pour permettre la réaction chimique a commencé à être remis en cause, du fait que dans la chaîne de fabrication des dégazages s'échappaient librement dans l'atmosphère.

Puis c'est à partir de 1 990 que des graves problèmes de santé sont apparus : les salariés de l'atelier moussage ont commencé à ressentir des allergies, qui ont débouché, pour certains d'entre eux, sur des maladies professionnelles entraînant inaptitudes et licenciements.

L'interdiction des CFC (chlorofluocarbones)

Dès 1 987, le protocole de Montréal, - traité international visant à protéger la couche d'ozone - décide l'interdiction de ces substances provoquant des dégâts à l'atmosphère, dont le Fréon utilisé dans les frigo mais aussi pour la fabrication de la mousse. Cette interdiction, lourde de menaces pour notre entreprise pouvait remettre en cause son existence même car de lourds investissements devaient être mis en œuvre pour utiliser une technologie alternative permettant de remplacer le fréon par le chlorure de méthylène.

Sous la pression des salariés et du syndicat CGT, la direction du groupe Plasco accepte de dégager les moyens nécessaires pour financer cette modification du procès indispensable pour la poursuite de la production.

A partir de 1 990, le chlorure de méthylène remplace donc le fréon comme catalyseur. Ce nouveau produit a d'abord été utilisé sans protection particulière et sans que les salariés soient prévenus du danger qu'il représente. La seule mesure mise en place, ce fut la distribution quotidienne d'un litre de lait par salarié, censé prévenir les risques liés à l'inhalation de gaz.

Et rapidement les salariés les plus exposés se plaignent d'irritation de muqueuses et d'allergies qui les touchent dans le quotidien de leur existence (démangeaisons insupportables, impossibilité de faire le plein d'essence du fait des émanations

de soufre...). Le CHS-CT demande alors à la médecine du travail de se saisir du problème, mais on découvre que devant le chantage à la fermeture de la direction, cette dernière temporise sur les mesures à prendre ; on invoque même des problèmes psychologiques liés au stress...

En 1995, trois salariés sont déclarés inaptes à la suite de la reconnaissance de la maladie professionnelle. Ils prennent acte de la rupture pour faute inexcusable de l'employeur ; ils obtiennent gain de cause devant les prud'hommes et l'entreprise est condamnée pour avoir mis en danger la santé de ses salariés.

Dans la même période, Plasco est repris par le groupe américain Carpenter, qui rachète 14 sites en France regroupant 2 000 salariés. Il met aussitôt en place les mesures de protection réglementaires : tenues isolantes, masques, gants, aspiration... et les symptômes disparaissent.

L'avenir semble alors assuré et l'actionnaire américain annonce même qu'Albias va devenir un pôle essentiel en vue de la conquête du marché espagnol. Nous obtenons la constitution d'un comité central d'entreprise et la Cgt devient majoritaire dans le groupe, permettant des avancées importantes en matière d'acquis sociaux.

Mais hélas, retournement spectaculaire en 2002 où de façon brutale et inattendue, le groupe décide la fermeture du site d'Albias en invoquant un équipement obsolète, alors qu'aucun investissement

important n'avait été réalisé depuis le rachat.

Nous découvrons alors que cette décision est liée à un « repositionnement » du groupe américain vers le marché du nord de l'Europe, plus favorable économiquement que le sud. C'est le site de Huningue en Alsace qui va bénéficier de gros investissements et qui va concentrer la production française.

Débute alors une lutte qui va durer huit mois pour s'opposer à cette casse industrielle, qui se soldera par un « plan social » au coût sans précédent, dont le montant (20 millions d'€) aurait pu permettre de renouveler entièrement l'outil de production. La preuve que cette décision ne reposait pas sur une stratégie industrielle mais bien sur des motifs de spéculations Financières.

A ce jour, 20 ans se sont écoulés et Carpenter a poursuivi cette casse puisque seuls trois sur les 1 4 établissements sont encore en activité en France ; ils ne regroupent plus que 200 salariés soit 1 0 fois moins, et finalement le site d'Fluningue a été lui aussi fermé en 201 8. En revanche, les proFts de Carpenter restent toujours aussi florissants et le groupe prend en 2020 le contrôle de Recticel, son principal concurrent en France, ce qui le place en situation de monopole sur le marché français.

Jean Saltarel

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