Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vie de La Brochure
11 août 2023

Daniel Herrero en 1990

IMG_0498

Pour poursuivre la feuilleton rugby voici un retour en arrière avec ce long entretien avec Herrero. Pour se mettre dans le contexte il faut se souvenir que le règne d'Albert Ferrasse (23 ans) se terminait et finalement c'est Bernard Lapasset qui prendra la suite... pour 16 ans. Il était président du comité île de france. Une façon de repenser à l'après règne de Bernard Laporte qui fut cependant beaucoup plus court (6 ans) et après un interim c'est à nouveau un dirigeant de l'ile de France qui a pris la direction du rugby français. Mais au-delà de ces questions de pouvoir il y a la question du professionalisme plus cruciale. Le rugby des villages évoqué à la fin est en piètre situation. J-P Damaggio

La Marseillaise 21 décembre 1990

Le « Che » du rugby s’engage

IL a surgi tel un coureur des bois dans l'embrasure de l'ascenseur menant au service des sports de « l'Humanité ». Ce n'est pas tant son célèbre bandeau rouge retenant sa large tignasse grisonnante ni sa barbe foisonnante, qui attirèrent notre regard une nouvelle fois, mais son accoutrement : bottes mocassins d'indien, veste à franges style Buffalo-Bill, sac en cuir de routard, bref un look d'aventurier bourlingueur. En plein Saint-Denis, ça surprend !

 

— Depuis plusieurs mois, ou a l'impression que tu restes en retrait ?

— Je ne suis pas tout à fait d'accord. J'ai laissé s'exprimer les autres, mais il y a huit jours j'ai bien dit : Ferrasse- Fouroux, au frigo ! Du balai ! Ils ont été tous les deux les agents de la détérioration du rugby français, quelles que soient leurs forces et leurs faiblesses. Maintenant, ils ne sont plus crédibles. Le « groupe Paparemborde » qui parait légitime, dit vouloir rassembler. OK, mais par nature, par intuition, je me méfie- ça ne me dit rien de m’envoyer là derrière, tout de suite ! Ce qui me paraît bizarre, c'est qu'il s'appuie sur l'équipe du Grand Chelem 1977. Etrange comme démarche... Je n'ai pas une confiance absolue. La position de Jean Fabre, le président de Toulouse, a priori m'a l'air intéressante ! Son honnêteté intellectuelle est peu suspecte parce qu'il n'y a pas dans son trajet personnel les stigmates de l'ambitieux du pouvoir. Son analyse théorique parait tenir le coup. Il veut s'attaquer aux structures. Alors j'écoute volontiers ce qu'il dit. Il faut prendre le temps. Si je trouve que ses propositions tiennent la route, je le suivrai.

 — Ce qui te gène surtout, n’est-ce pas la lutte pour le pouvoir? Il y a dix mois, dans nos colonnes, tu disais ne pas vouloir participer à la curée, tout en critiquant les dirigeants du rugby. As-tu changé de position?

— Il y a un problème de succession, c'est évident. Les gens qui gèrent le rugby n'écoutent toujours pas. Ils sont préoccupés par la conservation du pouvoir, c'est ce qui m'a amené à la révolte. Quand je disais que je pensais qu'un joueur me paraissait meilleur qu'un autre, on me rentrait dedans... Oh ! J'ai le droit de m'exprimer, non ? Ils n'acceptent pas la différence. Pourtant, moi, je n'étais pas un ennemi. En vertu de quoi ils me considéraient comme un adversaire de Fouroux ? J'en ai rien à «caguer » moi de Fouroux, il entraîne l'équipe de France, moi, Toulon. Petit à petit, ils ont été de plus en plus durs avec moi. Lentement mais sûrement, je me suis aperçu que seul le pouvoir les intéressait. Les vrais problèmes de gestion, de formation, d’éducation, de championnat, d'élite, de « blé », etc. étaient traités au coup par coup. Depuis deux ou trois ans, il y avait une tension qu'on ne percevait pas. Puis l'explosion interne a eu lieu... Depuis, j'assiste à la déliquescence.

 — Tout s’est déclenché à partir des mauvais résultats à répétition de l’équipe de France ?

 —     Oui, l'image de marque numéro 1 s'est gâtée. Notons que lors de leur tournée, les All Blacks ont perdu deux fois en province et qu'ils ont gagné de peu deux ou trois matches — même s'ils n'avaient pas tous leurs titulaires — contre des équipes fraîches, saines, enthousiastes, mortes de faim. Le rugby français (profond) tient toujours la route. L'équipe nationale, elle, porte en elle toutes les tensions. Elle n'a plus aucune fraîcheur, aucune générosité, plus de pétillant. Les lacunes ont longtemps été masquées. Rendez-vous compte qu'on s'est parfois surpris à souhaiter la défaite de l'équipe de France pour qu'on en finisse ! C'est triste... Il y a quelques mois, le public et la presse s'y étaient mis. Puis tout est allé un peu mieux, puis ça a de nouveau été mal... Le malaise s'éternisait.

 —      Que penses-tu du remodelage au sein du Comité de sélection ?

—      Le comité de sélection était vulgaire, grotesque et indécent ! C'était un comité de cireurs de pompes ! Ça ne me gène pas qu'un mec genre Fouroux dise : je dirige ! Je préfère à la limite, c'est sans équivoque. T’es le boss, t'assumes, c'est clair. Dans le trouble, ils ont essayé de trouver deux ou trois personnes : Gallion, Villepreux, Joinel. Berbizier, Trillo... Cette politique de la main tendue me paraît louche, c'est un piège, c'était suspect. Tout le monde a de l'appétit pour entraîner l’équipe de France. Trillo ? Etrange... mais a priori j'aurais plutôt confiance ».

 —      Et toi, pourquoi ne t’engages-tu pas plus directement ?

—      On ne rebâtit pas sur de la vase ou du fumier ! Il faut faire table rase. Je ne suis candidat à aucune élection. On va élire des présidents de comité qui éliront le président de la Fédé et le comité directeur, si j'ai bien compris ce que dit Ferrasse... Une réorganisation est souhaitable. Il faut de l’oxygène frais. Il y a suffisamment de compétences dans le rugby français — je ne parle pas de moi — pour que l'on trouve, à tous les niveaux, des hommes neufs. S'il y avait un vrai changement et si l'on me proposait quelque chose de concret, je dirais : pourquoi pas ?... ça me plairait de bosser pour ça.

 —      Tu es pour une refonte totale du championnat?

—      Oui, il faut commencer par là. Le championnat actuel ne respecte pas une éthique tout en en respectant une autre. Je m'explique : les propositions de Fouroux sont électoralistes, démagogiques. Il fait mine de soutenir les petits clubs. Ferrasse était correct quant il disait : il ne faut pas qu'on en vienne au professionnalisme ! Le rugby a cent cinquante ans d'histoire. Il a été créé par des Anglais aristos, riches, bourgeois, et ce sont ces mêmes personnes qui ont géré ce jeu de façon à en préserver la tradition. Ce confinement a sauvegardé l'âme, la manière d’être du rugby. Le rugby, c’est un jeu existentiel. Quand il y a un projet, une morale soutenue par une philosophie, c’est une manière d'être au monde. Il ne faudrait pas confondre le jeu et le travail. Le jeu, c'est l'enfance. Le travail, c'est l'âge adulte, la rétribution, l'obligation. Le jeu est une nécessité pour rêver, c'est un truc d'enfant, de créativité... Mais le problème est complexe. Moi, je suis pour rééquilibrer le championnat, car, effectivement, il n'est pas correct pour l'éthique sportive qu'Agen plante 100 points à 0 à Trifouillis-les-Oies. Le sport se doit d'être moral. Que les petits luttent avec les petits. OK. si tu veux être moyen faut bosser, et encore plus si tu veux être super-bon! Tu t'arsouilles, tu transpires, tu réfléchis, tu prends des coups de tronche dans les reins... Il faudrait une réorganisation décente du championnat mais en évitant l'écueil de l'élitisme à tout crin. On n'a pas d'exemple d'élite non pervertie par le blé. Il faut des poules mieux réparties. On ne peut accepter 80 clubs en 1ére division ! Je propose deux divisions de 12 ou 15 clubs par exemple; 25 ou 28 clubs, c'est à étudier. Mais surtout ne pas s'inspirer du championnat de foot.

 — Le championnat ne risque-t-il pas de perdre son âme ?

— Non, je suis très amoureux de la phase finale qui dure un mois et demi et où c’est la folie ! On a deux phases dans une même compétition, c'est joyeux, frivole, pimenté. Le rugby a un inconscient collectif très fort, basé sur la convivialité et l'humilité. Le star-system n'existe quasiment pas. Les bouffons sont rares chez nous ! Il existe chez nous une vraie socialisation, la socialisation du partage du corps quoi ! Le partage de la souffrance, vous, les « communards », vous connaissez ça ! L'important, c'est le partage du rude, c'est comme ça qu'on crée une vraie solidarité. Vous êtes encore aimés parce qu’il existe une solidarité entre vous. Le partage d'un certain nombre de choses vous donne de la force ! Le rugbyman développe une vraie culture, une éducation de socialisation par le partage de la souffrance. Le football est très populaire, il sort de la classe ouvrière mais le narcissisme primaire y est plus développé. Si tu te fais couper en deux, au foot, je ne peux rien faire pour toi que de t'encourager. Pas en rugby. Car là, si tu veux m'aider, je te dis, viens souffrir avec moi ! C'est pour ça que c'est un sport dangereux. Il y a entre 2 et 5 morts par an au rugby, et entre 10 et 20 tétraplégiques. Ce qui ne signifie pas qu'il doive être violent.

 —      Puisque tu parles de football, quelle est ton opinion au sujet de ce qui arrive à ton voisin Rolland Courbis?

—      Dans le sport, des amitiés naturelles se créent. Le footballeur, c'est mon frère, comme tous les autres sportifs. On est dans une même quête du bonheur, d'infantilisme... Nous avons des relations courtoises avec le club de football à Toulon. Bien entendu, je ne me réjouis pas des malheurs de X ou de Y. Il faut que les excès soient démasqués. Le monde entier savait qu'il y avait une indécence à dénoncer. Il est normal que la justice fasse son boulot, que certains morflent... Il faut clarifier les rapports à l'argent. Contrôler. En rugby aussi        . Un débat est nécessaire mais pas qu'entre footballeurs. C'est comme le conflit du Golfe, il ne faut pas que cela se règle seulement entre les Américains et Sadam Hussein, il faut l'ONU et les pays arabes. Tout le monde sportif doit débattre. Un volleyeur de Fréjus gagne aujourd'hui 5 bâtons par mois ! C'est du faux amateurisme. Pour moi, un Jean-Luc Lagardère est aussi coupable que Claude Bez. Il a fait le truc le plus hideux puisqu'il a acheté un club auquel il a donné le nom d’une fabrique d'armes. Matra côtoyait des noms de ville : c'était la première fois dans l’histoire du sport français. Il a tout déséquilibré en filant 70 bâtons à Fernandez... »

 —      Revenons à tes prises de position. Tu t'engages ou pas?

—      Tout d’abord, je n’ai pas le droit de me présenter aux élections parce que je ne suis pas membre d’un Comité. Il faudrait un suffrage plus universel, pour qu’au moins les présidents de club puissent voter directement, ou par délégation. Il faut revoir les statuts et rétablir l'équilibre des votants par rapport au nombre des clubs. Pendant longtemps j'ai pensé que la voie légale ne mènerait à rien : mais je me rends compte qu'on peut espérer. Que tout finit par exploser. Je le répète, Fabre m’intéresse mais il faut voir si son projet n'est pas d'inspiration politique... Moi. je veux bien m'impliquer si le projet est bon. Soit dit en passant, si ça a bougé, on y est pour quelque chose.

 —      Néanmoins, le pouvoir te fait un peu peur. Tu es pourtant quelqu'un qui compte dans le monde du rugby...

—      C’est un peu vrai. Mais on dirait que je suis un opportuniste. Je n'aime pas trop suivre quelqu'un. Je préfère rester sur le terrain. Les consensus me font gerber ! Si ça ne me plaît pas, je me casse. Et puis mon club n'est pas assez puissant pour que je m'impose. Le Stade Toulousain est mieux structuré. Que Ferrasse et Fouroux dégage, après on verra ! Il est logique que la fronde vienne de Toulouse et de Toulon parce que nous étions marginalisés par la Fédé; mais si Fabre ne plaçait que des gens de Toulon et de Toulouse, ça n'irait pas non plus !... Il faut un rassemblement de forces vives sur des idées nouvelles.

—           Qu’est-ce qui te rend optimiste pour l'avenir ?

—      Moi, je suis pour l’excès. L’originalité fait peur, parfois plus que les propos. Un jour Ferrasse a dit : je hais l’originalité. Tu te rends compte, c’est dangereux un mec comme ça ! Il faut préserver la tradition du rugby tout en étant avant-gardiste. Ce n’est pas paradoxal mais humain. Je reste légaliste. Quand j’y vais (au charbon), c'est que je ne peux pas faire autrement. Je ne suis pas un révolutionnaire par principe. Moi, ce qui me fascine toujours dans le rugby, c'est les petits stades de campagne. J’aime le côté rustique, archaïque et fondamental des petits clubs. Je suis un mec d’émotion, plus que de logique. Mais je ne veux pas être le dindon de la farce. J’accepte la modernité, il faut s'actualiser, comme les Anglais. Ainsi, il ne faut pas avoir honte de toucher un peu d'argent. Nos joueurs s'entraînent souvent six à huit fois par semaine, plus leur boulot; il est normal qu'ils aient une petite gratification. Nous devrions trouver une solution proche du semi- professionnalisme, mais c'est dangereux.

Il faut se méfier du syndrome du mercenaire et préserver le caractère régionaliste. Le rugby français a trouvé son essence dans le Sud-Ouest rural, avec sa convivialité, son caractère extraverti, festoyant — ce rugby a bien forniqué avec l'épicurien amateur de petits gorgeons...II faut garder cet aspect emblématique. Le rugby des petits villages (persiste, mais il est menacé... »

Propos recueillis par Guillaume Cherel et Pierre Michaud

- Vendredi 21 décembre 1990

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Vie de La Brochure
Publicité
Archives
Newsletter
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 1 024 981
Publicité