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Vie de La Brochure
26 décembre 2014

André Tabarly ou l’effort partagé

tabarly seul

Voici plus d’une semaine que l’ami André Tabarly repose dans le cimetière de Servanac.

Une fois l’émotion passée je voudrais m’interroger. Un passant devant l’Eglise de Villenouvelle pouvait se demander ce jour là qu’est-ce qu’avait pu pousse une telle foule à se rassembler ? Quels titres de gloire justifiaient la présence d’un millier de personnes ? Et quand, à ce phénomène, il n’y a qu’une réponse, la modestie, alors l’interrogation redouble !

 Rares sont ceux qui retiendront des années Mitterrand l’explosion engendrée dans la vie associative par l’effet 1981. Du Spiridon à Chants Libres, de Jazz in Marciac aux Amis du Théâtre à Montauban, on ne compte pas les mérites de cet effort citoyen sans équivalent. Bien sûr, la vie associative continue sous diverses formes mais le plus souvent dans un cadre intime. Avec le Spiridon, André et ses amis lancèrent une association proposant des manifestations sportives d’ampleur populaire, une ampleur qui n’existe plus (elle nécessitait un effort organisationnel si minutieux !). J’ai toujours appartenu en matière de sport à l’univers du foot et non à celui de la course à pied mais à travers le Spiridon c’était toute une philosophie de la vie qu’il fallait comprendre, une philosophie où l’émulation valait plus que la compétition !

 A l’E.N., André exprima longtemps une timidité à entrer dans un groupe qui, côté garçons, était totalement acquis au foot, alors que ce n’était pas sa tasse de thé. L’apparition par la suite du jogging, du marathon, de la course à pied lui a apporté comme une bouffée d’oxygène. Et il s’est dépensé sans compter pour ce sport où sa modestie pouvait s’épanouir.

 Quand par la suite, nous avons si souvent fait quelques trajets ensemble pour aller dans des écoles, j’ai souvent manifesté mon étonnement face à cet effort solitaire du coureur à pied. Je pouvais courir derrière un ballon mais seul sur une route, non ! J’ai retenu de ses réponses un certain sens de l’effort qui était cependant partagé. A saint-Antonin il a organisé des relais où toutes les compétences pouvaient s’épauler et où tous les âges pouvaient se rencontrer, des relais qui se terminaient pas une belle fête avec l’Amicale laïque.

Chez les adeptes éternels du contre-sens, le sens de l’effort apparaît réactionnaire pour deux raisons : une ancienne, qui veut que le droit à la paresse donc au loisir soit celui de la démocratie, et une moderne, qui préfère le ludique au classique.

Bien sûr, combien de fois est répétée une maxime en effet réactionnaire qui veut qu’il faut en baver pour atteindre le bonheur, et qu’il faut gagner le paradis à la sueur de son front.

Courir pour courir, l’effort pour l’effort ça n’est pas l’effort, c’est la soumission.

Courir pour être avec d’autres, pour vivre avec d’autres, voilà une autre forme de l’effort, celle de l’effort partagé, celle que la foule est venue communier autour du cercueil tragique. Il existe encore une France capable de vibrer au rappel de telles valeurs ! Même oublié, dédaigné, méprisé, elle existe, elle était là sans bruit.

 Les adeptes du contre-sens ont toujours mal compris que le monde des petits paysans aient eu envie d’accéder à la propriété, n’y voyant que l’appât du gain. Ils oublient que cette propriété est la source de leur indépendance, qu’ils peuvent alors cultiver à leur guise, mais une indépendance qu’ils savent devoir payer au prix de gros efforts, mais des efforts dans la liberté, opposés aux efforts sous la contrainte.

J’imagine qu’André (j’imagine car nous n’en avons jamais parlé), a comme moi, vécu une enfance de travail mais un travail source d’esprit de responsabilité. J’imagine car son amour pour l’occitan qui est aussi le mien, c’est une fidélité à cette langue qui devait être celle au quotidien de ses grands-parents et peut-être de ses parents.

 Cette foule rassemblée témoignait donc pour moi (en y ajoutant sans nul doute des tas d’autres valeurs) d’un monde souvent invisible, un univers qui apporte un peu de réconfort face à la sinistrose ambiante si souvent entretenue par les médias. Loin des projecteurs, il existe une France des « gens de peu », une France digne que la mort d’André a révélé ou confirmé, et qui mériterait d’être visible en de plus belles circonstances.

 Cette double constance faisait d’André un homme attaché à sa terre de Servanac, et en même temps un grand voyageur. Une étrange contradiction diront les adeptes universels du contre-sens. Pour ne pas aller perdre son temps à la caserne, il est comme moi, parti en coopération. Quand on n’est jamais allé à Paris et à peine à Toulouse être propulsé, à vingt ans, et pendant deux ans, dans un pays aussi différent que le Soudan, on n’en revient pas indemne et surtout en matière de voyage. On mesure l’écart entre l’insertion dans un pays et le superficiel du tourisme ordinaire.

Cette conjugaison, chère à André, de l’ancrage et de l’ouverture authentique aux autres c’était aussi une part de l’effort partagé auquel il était inévitablement attaché.

 Voilà : générosité, simplicité, amitié, autant de traits qu’ils furent des centaines à aimer chez André, et ils furent des centaines à vouloir en témoigner. Les conditions de la vie ont fondamentalement changé depuis les années 50 qui nous virent naître et si j’ai confiance en l’avenir, en tout ce qu’il pourra apporter de beau, je ne peux pas croire que c’est en oubliant des trajectoires comme celle d’André. C’est le seul sens de mon propos.

Jean-Paul Damaggio

 

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