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Vie de La Brochure
27 décembre 2019

Les Grands médias propriétaires de la politique

Jean-Luc Mélenchon est habité par quelques contradictions. Pour une part il se considère au-dessus du commun des mortels (un peu comme un modèle), et pour une autre part, il redevient humain en se donnant souvent des "pères" et des "fils" (et il se dit fier de ses "fils").

Parmi les pères les contradictions sont encore au rendez-vous : nous y trouvons aussi bien François Mitterrand que George Marchais qui furent des adversaires permanents.

De George Marchais il retient sa capacité à faire de l’audimat. Taper sur la table devant les journalistes, le verbe haut sur les plateaux télé.

Or je n’ai trouvé personne pour m’expliquer pourquoi alors que le dirigeant du PCF passait très bien à la télé, il a été le fossoyeur du PCF. Oui, fossoyeur est un terme un peu exagéré puisque le PCF est toujours bien vivant, mais il existe à présent dans les sphères marginales qu’il ridiculisait hier pour l’extrême-gauche. Même Pierre Juquin qui avait des raisons de l’incendier ne cache pas dans ses Mémoires une certaine admiration pour le personnage. Juste avant de  mourir L’Humanité avait annoncé la publication de Mémoires écrites par George Marchais[1] et le PCF avait alors les moyens de les éditer, mais après la mort le projet a été abandonné.

Or, entre le comportement face aux journalistes de George Marchais et celui de Jean-Luc Mélenchon il y a cependant un fossé immense que j’essaie régulièrement de rappeler mais sans succès : hier les grands médias étaient au service de la classe politique, quand à présent ils sont à leur propre service. En quoi, y aurait-il une différence d’intérêt entre les deux cas ?

La classe politique a des comptes à rendre mais pas les médias qui sont devenus propriétaires de la politique sans en subir les conséquences ! Je revisite ici cette idée que je défends depuis longtemps car elle devient de plus en plus cruciale.

 De Jaurès à Mélenchon

Jaurès a été un pilier de l’histoire de France en cela qu’à la création du Parti socialiste il a jugé indispensable de créer un quotidien à son service. Pas seulement pour qu’il répercute la vie du PS mais aussi pour qu’il contribue à la création du PS en rassemblant les diverses chapelles et en tentant de les unifier. Si bien que l’enjeu majeur du Congrès de Tours en 1920 c’était la propriété de L’Humanité qui est devenue l’organe central du nouveau PCF. Les minoritaires en continuant le PS furent obligés de créer à leur tour leur propre quotidien : Le Populaire.

Depuis les années 1980 tout ceci a bien changé. Le FN a-t-il eu besoin d’un grand média pour s’installer pleinement ? Mais ce cas n’infirme-t-il pas l’idée que les grands médias sont propriétaires de la politique ? Non ! Si le FN ne s’est pas solidement implanté en France grâce à un grand média c’est tout simplement parce que ces derniers avaient besoin de lui comme repoussoir ! Et je ne parle pas là d’un complot caché mais d’un fait avéré ! Le Pen passant à l’Heure de vérité (il y remplace George Marchais) fut le point de départ d’une carrière bien connue. Sauf que pour assurer leur pouvoir les grands médias ne disent pas n’importe quoi mais cherchent à aller à la rencontre des citoyens au nom de l’audimat. Georges Marchais, fabriqué par le PCF, a été utilisé par les grands médias quand lui pensait les utiliser ! Sauf que l’histoire démontre que pour un opposant au système bien passer à la télé c’est servir la télé !

Mais la dictature de l’audimat vient du fait que la publicité commande les grands médias donc finalement est-on plutôt passé du contrôle par le pouvoir au contrôle par les puissances économiques ? Sauf que la corporation des grands journalistes a le devoir de se présenter, pour être crédible, comme indépendante du pouvoir et aussi des puissances économiques. Cette posture lui permet d’avoir sa propre autonomie la rendant propriétaire du politique (les puissances économiques sont seulement des organismes de lobby et le lobby ne fait pas tout en politique).

Bref en tant que membre du PS Mélenchon a eu le mensuel de sa tendance, puis quand il a créé le Parti de Gauche il a créé l’hebdo de son parti et ensuite son blog, autant d’instrument pour l’aider à diffuser ses idées mais sans commune mesure avec les grands médias comme L’Humanité de Jaurès, une Humanité qui n’a pas empêché la marginalisation du PCF.

 La face cachée du Monde

J’ai pris la mesure de la mutation des grands médias à travers le livre de Pierre Péan et Philippe Cohen, La face cachée du Monde, Du contre-pouvoir aux abus de pouvoir. Une enquête exemplaire ! Je l’ai vérifié à travers l’étude minutieuse du cas d’une journaliste du Monde, Sylvia Zappi qui en 2005-2006 suivait l’univers de la gauche radicale avec pour objectif la fabrication du candidat José Bové à la présidentielle de 2007. Et elle a réussi ! Son abus de pouvoir est un cas d’école. Venu de la LCR comme Eddy Plenel, son souci n’était pas d’informer mais de tirer les ficelles du politique.

Bien d’autres cas plus considérables peuvent être signalés mais je ne les ai pas étudiés minutieusement : voir comment le sous-commandant Marcos fut une vedette médiatique jusqu’au jour où les grands médias le jetèrent à la poubelle.

 Ce phénomène, comme toutes les nouveautés majeures, vient directement des USA avec l’invention de CNN. Dans ce pays, les Grands médias sont depuis longtemps propriétaires de la politique sans assumer les charges. Ce fait n’est que la marque d’une évidence : la faiblesse des partis politiques ! Non seulement le Parti Républicain et le Parti démocrate sont faibles mais en plus ils sont fortement divisés depuis toujours. Les grands médias peuvent donc à la fois profiter de leurs faiblesses et jouer sur leurs divisions ! Ceux qui les financent ne dictent plus leurs lois, car leurs lois sont celles des grands médias !

 Les «médiacrates» et la politique aujourd’hui

En Europe l’affaiblissement des partis politiques a commencé par leur financement par l’Etat. Comme souvent en politique, le nouveau modèle européen est venu d’Italie quand sous prétexte d’éviter les financements occultes, l’Etat a décidé de financer les partis politiques. En France, c’est dès 1993 que ce financement entre en vigueur en le fondant sur les résultats aux élections législatives. La loi obligeait alors tous les donateurs à apparaître pour le financement des élections législatives mais avec le retour de la droite au pouvoir cet aspect a disparu et n’est jamais revenu. Il a été facile de vérifier que le besoin de transparence comme justification du financement par l’Etat était un leurre ! La traduction pratique de ce financement est simple : l’effort des partis pour récupérer des cotisations est devenu moins vital ! Finalement c’est la gauche qui a mis en marche un processus qui lui a porté tort vu que c’est elle qui avait de vrais partis politiques !

L’effet fut d’autant plus pervers que l’activité des hautes sphères dirigeantes des partis a été renforcée, les militants devenant encore plus marginalisés !

Prenons un exemple : dans mon département comme ailleurs le PS avait un journal départemental et on pourrait penser qu’avec le coup de pouce financier de l’Etat, ce journal en serait renforcé, or il a disparu !

Dans ce contexte Mélenchon continue de reprendre le schéma classique de médias aux ordres du pouvoir quand en même temps il ne permet pas aux membres de LFI d’avoir sur son parti le moindre pouvoir ! Crier contre les «médiacrates» à la manière de George Marchais n’est pas crédible pour le simple citoyen (Trump ou Bolsonaro ont été élus en dénonçant le pouvoir politique des grands médias) d’autant que ce simple citoyen défenseur de LFI apprend en lisant Libération que LFI se lance dans la construction d’une «fédération populaire» oubliée aussitôt formulée ! Fait tout aussi vrai quand les grands médias nous apprennent que Clémentine Autain, députée LFI, lance un big bang de la gauche aussi vite lancé qu’épuisé !

Taper contre les grands médias, en attendant d’eux qu’il fasse votre bonheur en vous invitant le plus possible, conduit à l’échec tous les opposants au système sinon les chaînes d’info en continue n’existeraient pas !

Au sein de LFI il existe un député journaliste qui a une autre stratégie que celle de Mélenchon. Il dénonce tout autant la corporation des journalistes mais en créant son propre journal à la manière XIXème siècle puisqu’il l’installe d’abord dans sa ville, et à partir de là il développe diverses stratégies qui font que s’il est député LFI, LFI est absent de son journal ! Mais c’est autre histoire.

Jean-Paul Damaggio



[1] Son nom vient de réapparaître dans L’Humanité du 12 décembre à propos de la mort de Marcel Zaidner

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