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Vie de La Brochure
2 octobre 2020

Luis Sepulveda version 2010

Toujours du Sepulveda qui était infatigable mais qui s'est fatigué; J-P Damaggio

 

Télérama n° 3132 20 janvier 2010

Il était trois fois la révolution

A Santiago du Chili, trois compères renouent avec leur passé militant.

Un récit espiègle qui fleure bon l'amitié.

 LUIS SEPULVEDA : L'OMBRE DE CE QUE NOUS AVONS ÉTÉ

« Rendez-vous d'amour dans un pays en guerre. » Une phrase que l'on ne se lasse pas de lire tant elle dit l'impossible, tant elle donne, malgré tout, à rêver, espérer. Une phrase qui va à merveille à l'écrivain Luis Sepùlveda - elle fait d'ailleurs le titre d'un de ses recueils de nouvelles, paru en 1997 - et qui pourrait être la quintessence de son œuvre, quinze livres à ce jour, dont le tout nouveau roman à l'intitulé non moins poétique, L'Ombre de ce que nous avons été. Nul doute que l'écrivain chilien, qui connut les geôles de Pinochet, l'exil, l'errance d'un pays à l'autre, aimerait encore imaginer des histoires d'amour, ne serait-ce que pour faire plaisir à son « vieux », celui « qui lisait des romans d'amour » (son premier roman, publié en 1992) et ravir encore ses lecteurs. Mais le temps qui passe, même chargé de voyages, de rencontres, et d'écriture, ne peut cicatriser les fêlures. Sepùlveda, conteur sans frontières, révolté au grand cœur, chasse haine et nostalgie et nous revient avec une histoire vitaminée, à la narration cocasse, entre polar déjanté et fable politique, et suggère une interrogation sans fin : qu'avons-nous fait de nos utopies ? Qu'avons-nous fait de nous-mêmes ? Refusant de s'apitoyer sur son sort, ses blessures, celles de tant d'hommes et de femmes, Luis Sepùlveda, pour qui la littérature est existence et résistance, convoque le passé, l'humour et l'amitié. Il offre au désenchantement révolutionnaire, aux illusions perdues toujours à fleur de peau une intrigue ludique qui, mine de rien, sans manichéisme, oblige à se souvenir, oblige à méditer. Soit les retrouvailles à Santiago, plus de trente-cinq ans après le coup d'Etat de Pinochet du 11 septembre 1973, de trois types plutôt sympathiques, ex-militants de gauche, cassés par la défaite et l'exil. Sepùlveda et ses personnages ont vieilli, ils frôlent la soixantaine, mais n'ont pas renoncé. Ils attendent le cerveau politique, dit « le Spécialiste ». Avant de jeter l'éponge - admettre l'Histoire, ce qu'elle a changé dans leur destin, corps et âme - , la joyeuse bande de revenants va concocter une dernière action (improbable...). Retrouver la dignité, la fortune... la fougue de leur jeunesse, peut-être. L'écrivain, coquin incorrigible, imagine pour eux - pour lui - des situations loufoques, entrecoupées de dialogues absurdes et truculents, d'où émergent des vérités oubliées, des monceaux de poésie. Dans une même foulée, diablement rythmée, cohabitent du pur jus révolutionnaire et de l'émotion, une espèce de tendresse subversive. Il ose ressusciter des répliques refoulées (« Comme l'a dit le camarade Lénine, les hommes ne peuvent pas corriger les choses du passé mais ils peuvent anticiper celles de l'avenir ») et raille la mélancolie. Luis Sepùlveda ne renie rien. Aujourd'hui encore, l'auteur du facétieux Journal d'un tueur sentimental (1998) nous donne rendez-vous avec l'amour, dans un roman en guerre contre l'oubli. MARTINE LAVAL

Traduit de l'espagnol (Chili) par Bertille Hausberg, éd. Métailié, 160 p., 17 C.

 L'ÉCRIVAIN LUIS SEPULVEDA, FASCINÉ PAR "L'HISTOIRE DES PERDANTS".

D'une belle voix grave, souvent rieuse malgré les drames qu'il rappelle, Luis Sepùlveda se livre au micro d'Ali Baddou pendant une heure et demie. Dans Radio libre, l'écrivain chilien (1) qualifie ses livres de «plutôt spontanés» : «Je n'écris pas avec la prétention de faire partie du panthéon de 'la littérature. Je crois que mon œuvre est celle d'un narrateur, de quelqu'un qui aime raconter les histoires. » Il la fonde sur la notion de révolte contre l'ordre en place. «Les Chiliens se demandent 'souvent d'où vient leur force. Notre pays est très étrange, bâti par rapport à la notion de résistance. D'abord celle des Indiens contre les étrangers, puis celle de la classe ouvrière. Cette ombre projetée est bienfaisante, elle nous abrite, nous protège, permet de contribuer à aller de l'avant. »

L'homme juge primordial de délivrer un point de vue commun plutôt que d'écrire à la première personne, et se voit comme un « conservateur de mémoire » fasciné par « l'histoire des perdants ». Il plonge dans la sienne pour raconter son émotion, en 1973, quand il a entendu la dernière déclaration au peuple de Salvador Allende (rediffusée par le producteur de l'émission). Luis Sepùlveda loue alors un dirigeant «responsable et lucide qui, par sa mort, a évité une guerre civile». Il évoque son emprisonnement pendant trois ans, sous la dictature de Pinochet (« J'ai découvert dans notre armée une bestialité que je n'avais pas imaginée »), puis son exil en Europe.

Riche et passionnant, cet entretien est rythmé par la musique du groupe chilien Quilapayun. A 20 heures, dans Fiction, il est suivi d'une lecture de textes de l'auteur, en français par l'acteur Bernard Giraudeau, et en espagnol par Luis Sepùlveda lui-même. LAURENCE LE SAUX

(1) Il vient de publier L'Ombre de ce que nous avons été aux éditions Métailié. Lire la critique page 56.

 

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