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Vie de La Brochure
13 octobre 2020

1924 : De Cazals à Bruniquel

J’ai déjà évoqué Charles Géniaux à propos de Montauban. Je pensais avoir repris ce texte sur la route allant de Saint-Antonin à Bruniquel en passant par Montricoux. Mais il vaut mieux deux fois qu’une. C'(était bien sûr avant que la voie ferée ne soit transformée en route. JPD

 La Dépêche 7 mai 1924 De Cazals à Bruniquel

 Tant d'admirables paysages, de ruines romantiques et de beaux spécimens d'architecture religieuse ou civile des temps médiévaux, se trouvent rassemblés dans la vallée de l'Aveyron, entre Villefranche et Montricoux, qu'il faudrait de nombreux articles pour les décrire.

La route capricieuse qui, trop souvent, s'éloigne de la rivière, en nous offrant, par moment, des visions héroïques, ne nous permet pas d'admirer toutes les sinuosités des gorges de Najac et le détail des grandioses falaises de Cazals. Il est regrettable que, comme dans la vallée du Lot, la route de Villefranche à Montauban, ne soit pas parallèle à la rivière et à la voie ferrée.

Les communications entre trois petites cités médiévales parmi les plus extraordinaires du Haut-Languedoc : Saint-Antonin Penne et Bruniquel sont peu fréquentes à cause de leur complication. Pour se rendre à Penne, on emprunte la route, admirable à ses débuts, qui, taillée dans la grandiose muraille des rochers d'Anglars, décrit quelques lacets puissants avant d'atteindre le plateau de Saint-Michel-de Vax où s'érige un dolmen. (A propos de ce dolmen, signalons que de stupides vandales se sont amusés à retirer les moellons qui maintenaient en équilibre la table sur ses jambes de pierre).

Puis la route sinue à travers des combes verdoyantes sans grand intérêt. Les ponts carrossables reliant les deux rives de l'Aveyron, sont rares, et l'on prétend que les rivalités des départements ont jusqu'ici empêché le Tarn-et-Garonne et le Tarn de s'entendre pour la construction de cette route qui faciliterait singulièrement les relations des riverains, le commerce et le tourisme.

Les piétons qui suivent la voie ferrée peuvent apprécier la beauté de ces gorges suivies jadis par le troubadour Raymond Jourdan, vicomte de Saint-Antonin, lorsqu'il allait faire sa cour à Adélays de Penne. Au printemps, les iris violets fleurissent et embaument la montagne et l'eau ruisselle en cascatelles cristallines le long des parois rocheuses. Cette région où l'Albigeois et le Quercy s'affrontent, trop ardente l'été, revêt tout son charme en mai et sa splendeur à l'automne.

Si les détails exquis offerts par les bords de la rivière échappent aux automobilistes, ils ont en revanche, pendant quelques kilomètres, une prodigieuse vision à mesure qu'ils s'élèvent au sortir de Saint-Antonin. La route en corniche domine l’Aveyron qui, onduleux serpent, s'est frayé péniblement son chemin, depuis les millénaires, à travers les assises calcaires du causse qu'on dirait, par endroit, découpé à l'emporte-pièce. Ce qui nous frappe, encore-une fois, ce sont les formes architecturales de ces falaises d'un gris vibrant d'argent, allant, de la blancheur des ossements desséchés aux sombres tons du fer, réchauffés d'ocre et de sanguine ; admirable matière plastique où le génie d'un Bourdelle qui, tout enfant parcourut ces causses, rêverait d'y sculpter à même le roc, de gigantesques figures comme ses statues de la Liberté, de la Force, de la Justice destinées à l'Argentine et trop vastes pour nos villes étriquées. Cette matière plastique, depuis combien de milliers d'années a-t-elle tenté le génie des premiers sculpteurs, nés sur notre sol, comme l'attestent les statuettes trouvées dans les grottes de Bruniquel : Vénus, Callipyges taillées dans la pierre, première tentative pour animer la matière, et premier hommage rendu par l'art à la beauté de la femme.

Toute cette région des causses qui s'étend de la Vézère, à la Grésigne, fut l'un des premiers foyers de civilisation. Comme elle nous apparaît émouvante et nous donne confiance dans le progrès de d'humanité, malgré les retours périodiques de la barbarie. Aussi patient et obstiné que le torrent qui se creusa ce lit large et profond, le génie de l'homme, si proche encore de l'animalité, devait, lui aussi, venir à bout d'obstacles aussi formidables en se dégageant de sa grossièreté primitive pour s'élever jusqu'aux plus hautes spéculations de l'esprit, Quelle belle leçon de chose et de spiritualité les instituteurs donneraient à leurs élèves, si, le livre de Marcellin Boule à la main : « Les hommes fossiles », ils le leur expliquaient dans les grottes mêmes où furent sculptées ces grossières ébauches de l'art, plus précieuses que. les chefs d'œuvre des époques raffinées puisqu'elles furent les premières protestations de l'esprit contre la matière.

Beauté des formes, que la lumière sculpte à nouveau, préciosité des couleurs des roches et des broussailles nuancées par chaque saison,-évocation troublante de nos origines, surgissent aux lacets de la route. Rien ne trouble notre rêverie, car rien d'humain et d'actuel n'apparaît dans le champ de notre vision et le paysage grandiose et barbare, malgré son ordonnance, reste bien celui que contemplèrent ces ancêtres lointains.

La route, en s'éloignant de la rivière, trace une ligne presque droite jusqu'à Montricoux au sommet d'un causse hérissé de rouvres chétifs ; causse quercynois, monotone et désolé. Et nous regrettons de ne pouvoir suivre en ses caprices l'Aveyron et de ne pas apercevoir la vieille forteresse albigeoise de Penne se dressant comme une colossale Victoire mutilée au-dessus du village qui s'avance en étrave .jusque dans la rivière.

Montricoux apparaît dans la décrépitude de ses vieux logis cuivrés. Son château, rebâti au dix-huitième siècle, avec sa façade de briques cuites par le soleil et l'ombrelle de ses pins parasols, d'aspect très méridional, ne manque pas d'harmonie et de noblesse. Vue de la rive gauche, cette vieille cité ramassée au-dessus de la rivière nous frappe par son caractère et sa couleur plus espagnols que languedociens ; tout y semble consumé, et sans qu'aucune verdure n'en rafraîchisse la sécheresse. Mais nous l'aimons justement pour sa beauté ardente. L'Aveyron traversé, nous revenons vers l'Ouest afin d'atteindre Bruniquel où viennent mourir les dernières vagues de la Grésigne dont elle est séparée par la gracieuse et fraîche vallée de la Vère. C'est en venant de Penne par la forêt, et en suivant la route des carrières où, jadis, ayant de devenir « Tombeau des Lutteurs » travaillait le bel et blond Ompdrailles, sculpté par Cladel dans, sa savoureuse et truculente prose, que Bruniquel apparaît dans tout son caractère. Son château, assez mal restauré dans certaines de ses parties — regrettons surtout une fâcheuse toiture de tuiles plates d’un rouge criard et faux— garde tout de même belle allure au-dessus de son haut piédestal rocheux baigné par la rivière et qu'escaladent : chênes, frênes, ormeaux noyers et acacias. De la galerie Renaissance qui court le long de la façade, la vue embrasse le déploiement de la vallée, l'horizon clair du causse quercynois et la mer houleuse et bleuâtre de la Grésigne. Envahi par la verdure, les ruines romanes du château primitif où, dit la légende, séjourna Brunehaut, se parent de la grâce enlaçante des rosiers en fleurs. Nous songeons au terrible destin de cette princesse wisigothe qui, venue de l'Espagne lumineuse et civilisée pour s'unir au Mérovingien, barbare, devait mourir de l'horrible supplice imaginé par sa rivale Frédégonde. Et en évoquant ces sombres temps mérovingiens, comme tout à l'heure devant les grottes néolithiques nous admirions le lent, - si lent travail que l'humanité doit accomplir, comme la patiente rivière creusant son lit dans la roche -- pour vaincre la sauvagerie originelle dont les guerres, sont le redoutable héritage.

La plupart des maisons. de Bruniquel remontent au treizième siècle et quelques-unes s'ornent encore de charmantes colonnettes romanes. Quelques croisées, acquises par des antiquaires, ont été démontées et expédiés au loin. Cette petite ville se meurt, malgré les carriers et les ouvriers employés aux usines installées au bord de la Vère et qui constituent un petit noyau d’habitants, Depuis quelques années, médecin et notaire ont disparu.

C'est toujours le même angoissant problème de la dépopulation qui se pose à Bruniquel comme dans toutes ces petites cités languedociennes menacées de ruine. Nous ne connaissons pas d'autre remède pour leur redonner un peu de vie, que d'y attirer des artistes et des étrangers amateurs de pittoresques et de beaux paysages. Alors que beaucoup de bourgades de la Riviera, désertées de leurs habitants, voient jusqu'à leurs croulants logis achetés et restaurés, et sont en train de devenir, l'hiver, de véritables colonies d'Anglo-Saxons et de peintres, pourquoi, l'été, Penne, Bruniquel, Saint-Antonin, Cordes, Puycelsi, etc. ne deviendraient-elles pas des stations fréquentées ? Déjà quelques peintres et sculpteurs séjournent à Penne et à Bruniquel. Citons le classique statuaire toulousain Guénot, et le moderne Serbe, Zatkins[1], dont l'art, par son primitisme voulu, rejoint les premières tentatives de sculpture. Car, ainsi que l'affirme le critique d'art Walter, Lehman : « La culture est créatrice; la civilisation, épuisée, ne crée plus. Celle-là produit ; celle-ci, en général, reproduit. C'est pour cela que la civilisation penche et vers le. syncrétisme et vers l'archaïsme. »

Quelle mystérieuse force conduisit Zatkins aux grottes de Bruniquel où voici quinze à vingt mille ans, œuvraient des troglodytes, touchés par l'émouvante beauté sformes périssables de cette vie.

Charles GÉNIAUX.


[1] Il s’agit bien sûr du russe Zadkine qui n’ayant pas eu les moyens financiers pour acheter une maison à Bruniquel est parti à Caylus puis dans le Lot.

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