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Vie de La Brochure
1 novembre 2020

Boualem Sansal aujourd'hui

Une place de plus faite sur ce blog à Boualem Sansal qui défend un fois de plus ses idées. Une surprise peut-être la référence aux les Ouïgours. JPD

Marianne / 30 octobre au 5 novembre 2020

BOUALEM SANSAL : LA RÉFORME DE L'ISLAM EST UN TABOU ABSOLU

Avec la mémoire de la décennie djihadiste qui a ensanglanté son pays, le romancier algérien réagit à la décapitation de Samuel Paty. PROPOS RECUEILLIS PAR MARTINE GOZLAN

 Marianne: Que suscite en vous ce nouveau meurtre islamiste sur le sol français ?

Boualem Sansal : Voilà trente années et plus que, de semaine en semaine, nous sommes horrifiés par les crimes islamistes à travers le monde. Nous savions que les «sicaires d'Allah» ne respectent rien, voilà qu'aujourd'hui ils nous montrent qu'ils peuvent se surpasser dans l'horreur. Ils tuent dans le contexte lui-même très horrifiant d'une épidémie qui, comme au Moyen Âge, court le monde, semant sur son chemin mort et désolation. Elle les atteint aussi, mais ils n'en ont cure, «Nous aimons la mort plus que vous aimez la vie», disent-ils. La mort ignore jusqu'à l'idée de trêve, l'aurions-nous oublié ? En plus de l'horreur, je ressens de la colère, contre nous-mêmes, les cibles de l'islamisme, qui, après tant d'atrocité et d'humiliation, ne sommes pas fichus de nous entendre pour nous débarrasser une fois pour toutes de ce fléau planétaire et amener les élites religieuses musulmanes à sortir de l'ambiguïté et à se mobiliser pour couper la route à l'islamisme en expurgeant de leurs Saintes Écritures ce qui lui sert de justification et de quitus. En démantelant cette machine infernale de l'islamisation qui, avec son réseau tentaculaire de mosquées, d'écoles, d'associations et de sites internet, quadrille le pays, embrigade, convertit, radicalise, communautarise, avec parfois le soutien intéressé des autorités politiques à tous les niveaux.

 Selon un sondage d'août 2020, 69 % des Français musulmans estiment que la publication par différents journaux des caricatures de Charlie constitue une provocation. Pensez-vous que l'islam soit réformable, en dehors de quelques grandes voix qui ne semblent toujours pas coller avec le courant musulman mainstream?

Les élites restent sourdes à nos appels, elles refusent jusqu'à l'idée de réforme. Pis, elles s'offusquent de notre demande, nous accusent d'islamophobie et de faire le jeu des islamistes. Elles ont raison au fond, on ne demande pas à la maladie de guérir le malade, il revient au malade de se guérir de son apathie et de chasser la maladie. Voilà des siècles qu'on attend de l'islam qu'il se réforme et laisse ses pauvres ouailles libres de leurs mouvements pour rejoindre la grande marche de l'humanité vers le progrès, la démocratie, la laïcité, l'universalisme. Dans mon pays, le rejet entêté par ces autorités religieuses, non pas de réformes, fussent-elles minimes, que d'ailleurs personne ne leur demandait, mais de petits arrangements pour améliorer les choses (travail des femmes, retour au week-end universel, mixité dans les écoles...), ce rejet nous a entraînés dans une guerre civile dont les séquelles sont là, profondes, pour longtemps.

La réforme de l'islam est un tabou absolu. L'islam, disent-ils, appartient à Allah, lui seul peut y toucher. Tout est fait pour l'empêcher : par les autorités religieuses, qui redoutent de voir surgir des schismes similaires à ceux qui jadis avaient fait couler des fleuves de sang (entre chiites, sunnites, kharidjites, salafistes, soufis...) et par les gouvernements, qui redoutent de voir proliférer chez eux des sectes enragées.

Qui peut faire cette réforme ? Personne. Ni les autorités religieuses ni les fidèles. L'islam est transnational, jamais un consensus ne pourra se conclure entre les 49 pays musulmans, tous arc-boutés sur leur courant islamique propre, auxquels s'ajoutent les pays où existent des communautés musulmanes importantes (France, Angleterre, Allemagne, Russie, Chine...). L'islam est un, mais il se déploie dans des contextes différents, chaque groupe s'étant convaincu qu'Allah lui a donné la meilleure part. Si réforme il y a, elle ne peut être que le fait des États, chacun pour son propre compte. Une réforme qu'il imposerait sur son territoire par la loi. C'est ce que la Chine fait en ce moment avec les Ouïgours. Les pays européens ont une longue expérience en la matière. Par décret, et parfois avec des moyens musclés, ils ont fait évoluer le christianisme pour l'amener à la sécularisation puis à la laïcité. Mais voilà, ces États ont perdu la main sur leur souveraineté nationale, et leurs dirigeants n'ont plus guère de véritable légitimité, ni de vrai courage, pour dépasser les clivages sociaux et politiques qui minent leurs sociétés, et engager de telles gigantesques et périlleuses réformes. Au bout, la guerre civile, dont les prémices commencent à être apparentes, tranchera peut-être.

 En Algérie, ce fut la guerre. Mais comment faire face à la terreur islamique en France, pays démocratique?

Vous savez à quels moyens l'Algérie, comme l'Égypte, a recouru pour lui faire face. Ça s'appelle des crimes de guerre. Les États démocratiques ne peuvent évidemment pas y recourir, ou seulement à la marge, avec le risque pour les responsables de se retrouver pénalement devant les juges et moralement devant l'opinion nationale et internationale.

Les atermoiements des gouvernements successifs de la France ont laissé le piège islamiste se refermer sur eux et prendre en otage la communauté musulmane pour les forcer à toujours plus de recul. Après avoir constaté que l'islam n'est ni réformable ni compatible avec les droits de l'homme, la seule voie qui reste au gouvernement français est de trouver le moyen d'amener les musulmans à se libérer des preneurs d'otages et des tutelles que sont les Frères musulmans, les salafistes, les pays arabes, la Turquie, et à les dénoncer. Une fois sortis de leur sidération, les musulmans pourraient s'enhardir et, petit à petit, prendre des distances à l'égard de la religion et des traditions. Et refuser ce qu'elles leur imposent depuis des siècles : le voile, le ramadan, le halal, l'excision, le mariage des fillettes, les écoles coraniques, le sacrifice de l'Aïd, la zakât et autres impôts pour financer de nouvelles mosquées.

C'est un travail de longue haleine, qui suppose que le gouvernement de la France ait de la suite dans les idées, notamment en matière d'éducation, mais c'est là une autre histoire. 

Dernier roman paru : Abraham ou la cinquième Alliance, Gallimard, octobre 2020, 283 p., 21 €.

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