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Vie de La Brochure
25 mai 2021

Marianne, Agulhon, et Huard

marianne

En reprenant mon dossier sur Marianne, ce symbole de la République, je retrouve cet article de Raymond Huard au sujet d'un live de Maurice Augulhon qui a consacré beaucoup de sa vie à percer ce mystère, la République symbolisée par une femme dans un pays où la République a tant tardé à donner le droit de vote aux femmes. Maurice Agulhon était au colloque de Puylaurens.

J-P Damaggio. 

Marianne et ses images 18780-1914 : La République en femme

 Au sujet du livre de Maurice Agulhon « Marianne au pouvoir, l’imagerie et la symbolique républicaine de 1880 à 1914, 450 pages

 L'histoire des images de la République nous instruit sur celle des mentalités  

On a récemment annoncé qu'un timbre-poste portant une nouvelle image de Marianne serait bientôt mis en circulation. Petite nouvelle? Non. Fragment d'une longue histoire, celle des images de la République, qu'explore, depuis des années, Maurice Agulhon, professeur au Collège de France. Un nouveau livre, «Marianne au pouvoir», qui succède à «Marianne au combat», publié en 1979, vient de paraître. Il traite de l'apogée de la « Mariannolâtrie », de 1880 à 1914, période qui vit surgir la grande masse des statues et des images de la République que l'on trouve encore aujourd'hui.

La patiente enquête de M. Agulhon a porté sur l'ensemble de la France et s'est étendue à tous les aspects de cette histoire. Car l'image de la République a donné lieu à un vaste ensemble de représentations, les Mariannes des timbres et des monnaies, les bustes des mairies et les grandes célébrations de place publique (le monument de la place de la Nation à Paris), les images de République associées aux statues de grands hommes et monuments patriotiques ou figurant dans le décor des grands édifices publics (mairies parisiennes, Panthéon, Sorbonne); enfin, le domaine, plus difficile à cerner, des représentations libres de Marianne, dans les cercles et les sociétés, à l'occasion des fêtes en tout genre, ou des statues édifiées à l'initiative des communes dans les villes et les villages. L'historien essaie de percevoir par quels filières et relais (riches donateurs, députés mécènes, comités) et grâce à quels «montages financiers», comme on dit, les images qu'on peut voir encore de nos jours ont pu être diffusées.

Mais gardons-nous de voir dans cet ouvrage savant et érudit un simple catalogue. Il n'y a pas de vraie histoire, d'histoire neuve, sans érudition et cet ouvrage le prouve une fois de plus. Mais l'érudition ne trouve sa pleine justification que lorsqu'elle est, comme ici, au service de questions stimulantes. Or, l'histoire de «la République en femme» nous instruit sur celle des mentalités nationales, à ce point de jonction si important encore aujourd'hui (pensons à la célébration du Bicentenaire), où interfèrent l'élaboration de symboles et la conception de l'Etat.

 Une femme issue du peuple a supplanté un coq...

A cet égard, quoi de neuf au terme de cette passionnante enquête? Elle nous montre d'abord que si la République, à la différence des monarchies, hésite à donner à l'Etat un support visuel ou des armoiries, elle ne peut se passer de symboles. En France, l'image de Marianne a supplanté d'autres représentations possibles (le coq, le lion, Hercule, etc.). C'est l'image d'une femme issue du peuple et coiffée du bonnet phrygien qui a finalement triomphé, non seulement des symboles que nous venons d'évoquer mais d'autres images de femmes, plus sages, que préféraient au départ les républicains modérés (la République coiffée d'épis, casquée ou solaire, comme la Liberté de Bartholdi). Peut-on séparer ce fait de toute notre histoire nationale, populaire et révolutionnaire? Bien que l'Etat républicain n'ait pas entrepris de diffuser systématiquement cette image, celle-ci s'est tout de même implantée grâce à l'initiative locale, dans un nombre significatif de lieux, sous la forme d'une statue ou d'un buste de place publique, cela en trois vagues successives (1879/1881 - 1889 - début du XXe siècle). Sans doute l'implantation est-elle inégale : la région parisienne, le Midi, et en particulier le quart sud-est de la France et une partie du Centre (l'Auvergne), apparaissent nettement plus réceptifs pour des raisons encore à préciser.

 Le bonnet phrygien coiffant une figure féminine n’a fait l’unanimité qu’en apparence

LE triomphe de la Marianne au bonnet phrygien a été tel qu'il a ensuite permis une nouvelle utilisation de l'image. Celle-ci a tendu à se neutraliser. Devenue un symbole incontesté de l'Etat républicain, Marianne peut alors être traitée sur toutes sortes de registres. Les antirépublicains dessinent une commère vociférante, souillon gaspilleuse ou institutrice bas-bleu. Le mouvement ouvrier utilise tantôt la Marianne populaire contre la République bourgeoise et tantôt oppose à la matrone embourgeoisée une représentation héroïque du travail. Les républicains eux-mêmes nuancent d'un sourire leur propre représentation et l'on voit apparaître la Marianne bonne fille, symbole discrètement voluptueux d'un gouvernement débonnaire. Marianne triomphante ne fait pourtant l'unanimité qu'en apparence et, aux deux pôles de cette histoire, Napoléon III et Philippe Pétain nous rappellent que les gouvernements autoritaires ont choisi comme image du régime le portrait du chef de l'Etat associé à d'autres symboles.

A lire « Marianne au pouvoir », on mesure combien l'enquête s'est élargie par rapport à l'ouvrage qui l'avait précédée. M. Agulhon sait parler avec séduction de la démarche qu'il a suivie, de ses méandres, de ses trouvailles, et il suggère d'ingénieuses explications. Aux Parisiens comme aux provinciaux, il révèle les richesses d'un décor familier et parfois inaperçu. Voici des excursions en perspective pour les chasseurs d'images. Enfin, de ces portraits féminins si nombreux, si variés, que le thème de Marianne a suggérés, de cette femme sereine ou maternelle, parfois véhémente, voire libertaire, ou gracieuse, et même coquette, il donne une description délicate et sensible.

Raymond Huard Humanité 11 janvier 1990

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