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Vie de La Brochure
2 octobre 2021

Majorque en 1936 vu par Francis de Miomandre

couv Baléares

Voilà un écrivain français qui apporte un point de vue original. Il se place du côté de la république espagnole mais quelle république ? Il a raison sur le soutien assez général des habitants de Majorque au soulèvement de Franco mais il se trompe quand il croit que ce soulèvement vise à donner un ton modéré à la République. Il connaît bien l’île de Majorque mais comment le gouvernement officiel aurait-il pu, sans réagir, accepter que le coup d’Etat s’y installe. Oui l’île a été bombardée mais ce ne sont pas les plages qui furent visées mais les objectifs militaires et les bombardements furent peu nombreux. Ce témoignage donne une des approches de l’époque. Dans mes compilations sur les Baléares en 1936 cet écrivain évoque Formentor. J-P Damaggio

 Nouvelles littéraires 12 septembre 1936

CHOSES VUES La Révolution de Majorque

par Francis de MIOMANDRE

 Notre ami Francis de Miomandre est de retour d'Espagne, de sa chère Majorque, qu'il a dû quitter parce qu'elle devenait intenable. Nous lui laissons, bien entendu, la responsabilité des réflexions que lui ont inspirées les événements dont il fut témoin.

 

C'est un malentendu, un tout petit malentendu, une balle perdue en quelque sorte, qui a été à l'origine de la guerre civile à Majorque (1), mais la déflagration a été si rapide et si violente que je me demande si l'on aurait pu l'éviter.

- Un autre incident, n'importe lequel, aurait mis le feu aux poudres.

On ne peut imaginer situation plus nette. A l’exception d'une cinquantaine de personnes, Majorque, dès le premier jour, fut nationale. Il ne pouvait donc pas y avoir lutte à l'intérieur de l'île (une fois mis à l'écart et hors d'état d’exercer leur propagande les adversaires du mouvement). Dès la première minute, Majorque tout entière, depuis le grand propriétaire terrien descendant des douze preux de Jaime le Conquérant, jusqu'au dernier des cireurs de bottes du Borne, était d'accord avec le gouvernement de Burgos. Il lui suffisait pour cela de savoir que ledit gouvernement lui garantissait, non pas une autonomie dont elle pense ne pouvoir attendre que des avantages théoriques, parfaitement inutiles, mais le maintien de ses vieilles traditions et sa sécurité vis-à-vis de la Catalogne voisine, dont elle suspectait fort les propositions de fraternité culturelle.

Et le fait est que, quinze jours après certain appel particulièrement pressant à ladite fraternité, les premières bombes venues de Barcelone par le chemin du ciel, parurent aux Majorquins d'un effet assez ironique. «Si c'est ainsi que vous entendez être nos frères, dirent-ils, merci bien ! »

Donc, je le répète, la lutte ne pouvait pas être, comme dans la péninsule, lutte intérieure. Toute hostilité vint ici du dehors, et c'est ainsi que nous retombons dans une tradition en quelque sorte éternelle. Majorque, après des siècles, se retrouve, vis-à-vis des gens de Madrid et de Barcelone, dans l'état où elle fut jadis, et si souvent, vis-à-vis de l'envahisseur étranger.

Le Catalan, le communiste ont remplacé le Barbaresque. Et, comme il n'y a pas, en effet, deux façons d'envahir une île, c'est par le débarquement qu'opèrent les «rouges», c'est au débarquement que s'opposent avec une indignation unanime et le sentiment qu'il y va de la vie même du peuple, les Majorquins.

Jusqu'à nouvel ordre, les débarquements ont échoué. Ou je me trompe fort, ou ils échoueront toujours. La population majorquine est prête à tout pour les empêcher de s'accrocher au sol de la patrie. Ces gens que j'avais vus si doux, si paisibles, si nonchalants, prêts en apparence à subir tous les jougs pourvu qu'on les laisse se réfugier dans leur monde intérieur, se sont redressés d'un seul coup, avec une vigueur, avec une colère, avec une unanimité également grandes, et encore augmentées par le spectacle des atrocités commises. Les femmes des paysans armaient leur mari avec de vieux flingots, avec le couteau de cuisine, elles étaient prêtes à partir elles-mêmes. Je ne pense pas que, dans ces conditions, un débarquement de troupes ait chance de réussite.

A cette réaction sauvagement patriotique, l'adversaire a répondu par des moyens d'une brutalité répugnante. Pendant près de deux mois, les Majorquins, privés de tout moyen de réplique, ont dû subir les bombardements quotidiens, par avion. Si l'on pense que depuis tantôt cinq cents ans, ces bravas gens n'avaient jamais entendu tirer un coup de fusil, en dehors des parties de chasse, il faut reconnaître qu'ils ont eu du cran. Car, après quatre ou cinq jours de stupeur (mais non de panique) ils s'étaient parfaitement adaptés et je vois encore les gosses de Palma prendre leurs ébats dans la mer sans se soucier des moscardones (moucherons) qui venaient chaque matin déposer leurs œufs explosifs dans les alentours de la cathédrale et le long de la plage.

On aurait complètement tort de croire qu'il s'agit ici de politique. Les Majorquins n'aiment pas la politique, et n'en font guère. Et la preuve, c'est la parfaite bonne volonté avec laquelle, après la chute de la monarchie, cette population, qui passait pour tellement réactionnaire, s'est adaptée au nouveau système. C'est qu'elle avait compris que l'idéal républicain n'était nullement incompatible avec l'âme profonde de l'Espagne. Seulement, les choses se gâtèrent assez vite. Les puissances occultes qui entretiennent dans le monde l'état d'inquiétude et de désordre que nous savons, n'avaient pas intérêt à ce que la République espagnole fût calme et prospère. Et la République fut sabotée. Nous saurons un jour comment, et cela causera pas mal de surprises.

On ne peut rien comprendre au mouvement dit national en Espagne si l'on s'obstine à y voir comme le font certains (mais quelle est leur bonne foi ?) un simple pronunciamiento, une tentative de dictature militaire. Rien de tel. C'est un soulèvement de l'Espagne populaire en vue de restituer à la République son sens primitif, son idéal. Et cet idéal consiste dans la conciliation du sentiment traditionnel avec les progrès de la démocratie. Moi qui ai vu fonctionner en Espagne, et surtout à Majorque, le régime républicain, je puis bien assurer qu'il s'adaptait on ne peut mieux aux besoins de la population. Du jour où la démagogie le remplaça, il fallut bien songer à remettre les choses au point.

 (1) Des aviateurs gouvernementaux de la base de Mahon étant venus au Puerto de Pollensa furent invités par leurs camarades nationaux à se rendre. Ils ne comprirent pas, se crurent attaqués, firent feu, on répondit et, dès le lendemain, les hostilités se déclenchèrent.

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