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Vie de La Brochure
24 octobre 2022

Christophe Guilluy : Les dépossédés

les dépossédés

Je lis avec attention Christophe Guilluy depuis longtemps et là je suis totalement d’accord. Totalement. Je n’ai pas lu son livre mais ces quelques mots ci-dessous sont convaincants. Le discours victimaire fait que les clases populaires sont supposées n’avoir rien, voulant accéder à tout. Elles n’ont jamais eu rien même en 1789 ! En conséquence oui, depuis les années 80 elles sont dépossédées et surtout quand l’ascenseur social leur avait fait miroiter l’accès à tout ! Oui, l’ennemi n’est pas le 1% le plus riche mais bien les 20-30% qui portent le système.Quant au tournant de 1980 je l’ai souvent répété sur ce blog : ce n’est pas seulement la mondialisation (que j’appelle plutôt la révolution conservatrice) mais aussi la chute de l’URSS et la victoire de l’islam politique en Iran. Cette conjonction d’événements crée une rupture que l’extrême-droite a su capter mais pas la gauche. J'ajoute qu'en France les pauvcres sont les exclus et le séparatisme peut les toucher or là aussi il faut inverser l'analyse. Avec les années 80, aux Amériques, les lieux exclusifs, sont les lieux où les classes riches se séparent du reste de la société dans des zones très protégées. J-P Damaggio

20 au 26 octobre 2022 / Marianne / 57

 Dans son dernier essai, Christophe Guilluy le géographe, désormais chroniqueur à “Marianne”, entend décrire la situation des classes populaires qui subissent une relégation géographique, sociale, politique et culturelle.

PROPOS RECUEILLIS PAR KÉVIN BOUCAUD-VICTOIRE

 Marianne: Votre livre s’intitule les Dépossédés et parle des classes populaires. De quoi ont-elles été dépossédées ? De leurs territoires par la gentrification ?

 Christophe Guilluy: Pendant très longtemps, j’ai cherché un mot pour décrire ces gens qui, depuis quarante ans, subissent un modèle qui leur a été imposé : la mondialisation néolibérale. Les représentations sociologiques utilisées ne disent que partiellement les choses. Le terme de « dépossédés » permet de décrire ce que nous appelions hier la « classe moyenne occidentale », c’est-à-dire un ensemble majoritaire, dans lequel tout le monde ou presque) se reconnaissait: l’ouvrier comme l’employé ou le paysan. Tout le monde était intégré économiquement, donc politiquement, donc culturellement. J’essaie d’imbriquer toutes ces dimensions. La grande erreur de notre époque, c’est de vouloir segmenter le social, le culturel, le pouvoir d’achat, etc. L’Occident avait réussi à intégrer une majorité, même s’il y avait des inégalités. Surtout, ces gens étaient au cœur des références politiques et culturelles de la société, du Parti communiste aux gaullistes. Il y a un basculement lors des années 1980, avec l’avènement de la division internationale du travail. À partir de ce moment, le modèle a commencé à se fissurer par la désindustrialisation, le massacre de la classe ouvrière, puis des paysans, puis des employés, etc. Cette majorité s’est retrouvée dépossédée politiquement, ce qui constitue le ressort de l’abstention. Il y a eu une dépossession sociale avec la délocalisation des emplois. Il y a enfin une dépossession des lieux en raison du processus de gentrification, sujet par lequel je commence mon livre. Les classes populaires sont dépossédées de leur travail et évincées de leurs territoires. Elles ne vivent plus là où se crée la richesse. Il s’agit du plus grand « plan social » de l’Histoire.

 Pour vous, les classes supérieures ne se résument pas aux 1 % les plus riches mais représentent plutôt les 20 à 30 % du haut de la pyramide, dont les actions mènent à cette dépossession. C’est ce que vous appelez leur « empreinte sociale ». Pouvez- vous revenir là-dessus?

 Christophe Guilluy: Quel est le bruit du monde aujourd’hui ? C’est l’écologie. Les médias et les catégories supérieures portent ce débat. Ils prétendent vouloir agir sur la planète et calculent leur empreinte écologique. Mais un discours n’est jamais mis en avant: l’empreinte sociale de cette bourgeoisie. Les acteurs de la mise à l’écart de la majorité ordinaire ne sont pas seulement les quelques milliardaires qu’on connaît. Ce qui n’est jamais mis en avant, c’est le rôle néfaste joué par les gens des catégories supérieures, pas seulement les I riches. Ce sont elles qui achètent J des maisons secondaires, ce qui f permet la gentrification. Vous rappelez qu’à 3673C par mois, une personne seule appartient aux 10% les plus aisés. Mais, à ce niveau de revenu, il est difficile, voire impossible, d’acheter une maison ou un appartement à Paris, ce qui explique sûrement que tant de cadres se réfugient à Bordeaux, Nantes, Lille ou Tours. Peut-on vraiment parler de bourgeoisie?

Ce ne sont pas des riches, mais ce sont ces catégories-là que l’on retrouve chez Macron. Bien sûr, il y a les 1 %. Mais qu’est-ce qui rend possible ces 1 % ? C’est bien le soutien des cadres au modèle néolibéral. Il faut sortir de cette irresponsabilité collective. Nous sommes tous responsables et pas seulement Bill Gates ou le CAC 40. Il y a aussi les discours des catégories supérieures. Pour moi, la question de la bourgeoisie n’est pas liée à un niveau de revenu, mais à l’insertion dans un discours dominant. Ces gens adoptent d’ailleurs très bien la rhétorique libérale wokiste de Netflix.

 Dans votre livre, vous vous en prenez particulièrement aux transclasses, les individus qui ont pu s’extraire des classes populaires pour atteindre les classes supérieures. Pourquoi?

Christophe Guilluy:Je n’ai rien contre les transclasses, mais je réfléchis à leur instrumentalisation par la bourgeoisie. La bourgeoisie a une carte très importante dans sa main : c’est elle qui pilote le récit et peut instrumentaliser des personnages comme les transclasses, les immigrés, les banlieusards, les minorités. D’ailleurs, la droite et l’extrême droite se trompent complètement quand elles affirment que a gauche donne tout aux immigrés : elle les instrumentalise mais n’a rien à faire d’eux. La gauche les utilise. Je n’obtiens d’ailleurs jamais de réponse à cette question dérangeante: « Tu t’enorgueillis que Fatoumata garde tes enfants, mais qui garde les siens ? »

 Et pour revenir au transclasse?

Christophe Guilluy:Ce n’est qu’un individu pris dans un tourbillon ascensionnel qui l’a emmené au « salon' ». Parfois, il s’y trouve très bien et va vomir son milieu d’origine pour s’y intégrer et adopter le discours dominant. Il permet alors de valider le narratif bourgeois.

 Dans votre essai, vous évoquez le protectionnisme, la défense des services publics et la régulation de l’immigration. Quelle politique prônez-vous?

Christophe Guilluy: II faut partir du principe que la majorité existe, à rebours du triptyque néolibéral « no alternative, no society, no majority », auquel j’ai consacré mes derniers livres. Le wokisme libéral repose sur l’idée qu’il n’y a pas de majorité. Si tu comprends que la majorité des gens ne vit pas dans de grandes métropoles, donc dans des territoires qui créent de l’emploi, tu te poses les bonnes questions : celle de la réindustrialisation, puis des circuits courts, puis des biorégions. Cela pose également la question de la mobilité, qui est faible dans ces milieux-là. II faut discuter avec les élus locaux. Ils savent très bien ce qu’il faut faire. Il faut par exemple rapatrier de l’emploi public, rouvrir des services publics. Il suffit de regarder ce qui a été écrit dans les cahiers de doléances remplis durant le mouvement des « gilets jaunes » et qui ont depuis disparu. Enfin, les gens ordinaires, dans la France périphérique comme en banlieue, désirent tous les mêmes choses. Mohammed à Saint-Denis ou Philippe dans la Creuse veulent du travail, un minimum de sécurité chez eux, que les racailles soient mises hors d’état de nuire par les forces de l’ordre, que les écoles soient correctes. Avons-nous vraiment besoin de la technostructure ? Les « gilets jaunes » ont réussi à sortir de la segmentation et de la modélisation, en réunissant des hommes, des femmes, des jeunes, des vieux, des gens du secteur public, des gens du secteur privé, des gens de toute origine, etc.

 Vous évoquez souvent la décroissance dans vos derniers livres, sans jamais approfondir. Comment concilier menace de fin du monde et préoccupation de fin du mois?

Christophe Guilluy:L’avenir de nos sociétés passera par la décroissance. Je pense qu’il peut y avoir un retournement de l’Histoire positif pour les classes populaires : elles vivent là où il faut, c’est-à-dire dans cette France périphérique, qui n’est pas que la France des campagnes, mais aussi celle des petites et des moyennes villes. Un modèle vertueux tournerait autour de villes de 30000 habitants, avec une économie locale et des circuits courts. Enfin, il faudra sortir de l’hyperconsommation. Mais l’hyperconsommation, c’est le modèle des métropoles, les gens ordinaires n’ont plus les moyens pour cela. ■

* Terme utilisé par Jack London pour désigner les classes supérieures.

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C
Bonjour, SUBLIME***BRAVO***MERCI ENCORE***CORDIALEMENT***C.M.***
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