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Vie de La Brochure
17 avril 2023

Pasolini en 1969 repris sur l'Humanité en 2002

Pasolini 1969

L’Humanité 6 novembre 2002

« Cette œuvre gêne tout le monde, en raison de la naïveté propre à Pasolini», écrivait Roland Barthes de l’Évangile selon Matthieu, film de 1964. Quatre ans plus tard, le poète et cinéaste italien allait être en butte à la censure lors de la sortie de Théorème. Projeté le 4 septembre 1968 au Festival de Venise, le film sort à Rome le 7 septembre; les copies sont mises sous séquestre le 13 sur décision du procureur de la République de Rome, le jour où L’Osservatore Romano, l’organe de presse officiel du Vatican juge le film «négatif et dangereux». Le procès est renvoyé au tribunal de Venise, lieu de la première projection publique.

En première instance, Pasolini est acquitté, le 23 novembre 1968, mais le procureur général fait appel le 4 janvier 1969, et retarde ainsi la procédure d’environ un an: l’appel ne sera rejeté que le 9 octobre 1969, et après un recours en cassation, le procès en sorcellerie du film ne trouvera son épilogue judiciaire que le 21 novembre 1969. Le texte de Pasolini dont nous publions de larges extraits est une chronique écrite pour le journal Tempo, du 11 janvier 1969 (*), et parue sous le titre «Ma provocatrice indépendance». ]

« Lorsque les pages suivantes sortiront (...), peut-être aurai-je changé d’humeur, et la même situation se présentera-t-elle sous un autre signe. Je parle de ma situation, et le signe sous lequel elle se présente actuellement à moi est le signe de la terreur. J’écris ces lignes à un des moments de ma vie où il serait peut-être nécessaire de me taire. Entre autres parce qu’un artisan sait bien que son objet ne peut être construit les mains tremblantes. Et de fait, mes mains tremblent (...). La préfecture de police n'a pas encore donné la permission de retirer les copies de Théorème mises sous séquestre. Mon producteur, Franco Rossellini, est désespéré. Cela constitue, pour lui, un dommage incalculable (...). Pourquoi ne donne-t-on pas la permission de lever le séquestre du film et de le remettre en circulation? N’a-t-il pas été acquitté? N’avons-nous pas sauté de joie quand nous avons appris la sentence du tribunal de Venise? Voilà quatre mois que le film est en quarantaine: toute une saison. Dans le même temps, un autre film a été dénoncé, séquestré, jugé, acquitté, libéré et remis en circulation. En une quinzaine de jours. Théorème, lui. en est toujours au même point. La comparaison montre sans ambiguïté qu’il s’agit, à mon égard, d’une claire volonté de persécution (et voilà lâché le mot terrible). Mais si cette volonté existe, qu’est-ce qui m'attend encore? Et si elle existe, où se trouve-t-elle? Dans quel secteur du pouvoir? Qui ai-je offensé particulièrement, et avec qui suis-je en train de me mesurer? (...). Je suis complètement seul. Et, de plus, entre les mains du premier agresseur volontaire. Je suis vulnérable. Soumis à tous les chantages. Je bénéficie peut-être, c’est vrai, d’une certaine solidarité, mais seulement dans l’idéal. Elle ne peut m’être d’aucun intérêt pratique. Il est clair que, dans la lutte contre le pouvoir, il convient d’opposer une certaine forme de pouvoir - faute de mieux, celui du prestige. En ce moment, grâce à Dieu, je reçois une aide sur ce point (peu glorieux), qui provient du succès de mes œuvres à l'étranger: Œdipe roi, en France. Théorème, en Allemagne, Une vie violente et même Théorème-livre en Angleterre, etc. (...). Une fois ces calculs réalisés, s’ils se confirment, je pourrai conserver mon indépendance: ma provocatrice indépendance. C’est elle en fait qui fait naître contre moi une telle hostilité. Mon indépendance, qui est ma force, implique la solitude, qui est ma faiblesse. Je déteste - comme je l'ai si souvent dit - l’indépendance politique. Ma propre indépendance est donc, pour ainsi dire, humaine. Un vice. Je ne pourrais pas m'en passer. J'en suis l’esclave. Je ne saurais même pas m'en glorifier, en tirer un petit mérite. J’aime, au contraire la solitude. Mais elle est dangereuse! (...). J'aurais pu à l'aube d'une année, me dessiner un programme de lutte idéologique, objectivement courageux (...). Mais, par la suite, en quoi consiste le courage d’une lutte idéologique? Renoncer à quelques bénéfices? Être contraint de payer des avocats? Risquer quelques mois de prison? Quelques accusations infamantes? Quelques persécutions ou chantages racistes? Oui, et j'en suis là. Je le répète: il n’y a pas pour autant de quoi en tirer gloire. Ce sont seulement les droits d'une existence qui sont envoyés au diable. Mais c’est de ces choses-là que sont faites les vraies tragédies. »

PIER PAOLO PASOLINII

(*) In Tempo, 11 janvier 1969.

Texte publié avec l'aimable autorisation du journal Tempo. Traduction: Hervé Joubert- Laurencin. (Hervé Joubert- Laurencin est l'auteur de Pasolini, portrait du poète en cinéaste. Cahiers du cinéma, 1995. Le texte ci-dessus devrait paraître prochainement dans un recueil de textes inédits de Pasolini, sous le titre Contre la télévision).

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