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Vie de La Brochure
13 novembre 2013

Uns histoire comique par Renaud Jean

D'après une lettre de Renaud Jean à sa femme. JPD

Version en occitan en cliquant ici

Mercredi 12 juin

 Aujourd'hui ma bien chère Belle, je vais tuer mon temps à transcrire une histoire drôle en patois. Je n’ai pas choisi du Marius et Olive ou toute autre histoire salée (par exemple leï traversat) mais le récit d'un simple pêcheur toulousain. Si tu pouvais recevoir cet écrit - mais qui sais où tu es en ce moment ? - tu reconnaîtrais l’esprit des comiques du début de notre mariage, l’esprit d’un music-hall jouant des vertus populaires. Peut-être, le jour de nos hypothétiques retrouvailles, est-ce le texte que je te lirais en premier ? Les écrivains en patois m’impressionnent : comment font-ils ? où ont-ils appris ? Pourquoi moi-même, depuis des lustres, je ne m’en tiens qu’à une version passable de l’orthographe de cette langue ?

Qu’importe ces détails puisque l’essentiel réside dans l’histoire dont voici la version française qui efface bien du sens par rapport à la version en patois, celle que je te lirai pour nos retrouvailles (j’en conserverai précieuse-ment le texte écrit de ma main la plus appliquée). Pour le moment imagine là avec le texte qui suit.

Salut la compagnie ! Je vous présente en ma personne, Bernard de Saint Miquel dit "Pescofi", un amoureux de la pêche à la ligne. Eh oui ! je suis pêcheur et je m'en vante. Mon cousin, Joseph de Cardène me disait chaque jour :

- Oh mon pauvre Bernard ! il n’y a qu’un endroit en France où on attrape des poissons et cet endroit c’est à Venerque le Vernet ! Venerque le Vernet à côté de Pinsaguel, c’est le rendez-vous, la réunion, la Mecque des pêcheurs toulousains ! »

Et il ajoutait :

- Mon pauvre Bernard, il te faut y aller !

Un dimanche matin de la semaine passée, armé de mes plus fines cannes, de mes hameçons les plus effilés, d’un sac de vers - oh ! mon ami, quels vers ! on aurait dit des vermicelles ! - je partis à quatre heures du matin à la gare Matabiau pour prendre le train ! De chaque côté de la gare, comme des allumeurs de réverbères, les pêcheurs arrivaient nombreux. La gare était noire et tous marchaient sur les asticots.

Je m'approche du guichet :

- Pardon monsieur, un aller et retour pour Verneque le Bernard !

J’arrive sur le quai et je monte dans un compartiment. Il y avait neuf pêcheurs et 59 cannes. Dans le compartiment un monsieur, le seul à ne pas être pêcheur, et qui portait un complet à carreaux, me demande :

- Pardon mossieu, vous ne pourriez pas dire à moi ce que c’était que tous ces gentleman avec ces longues bâtons ?

C’était un anglais ! Comme je connais la politesse, je lui réponds en français :

- Ce sont, monsieur, des pêcheurs qui vont à Verneque pêcher le goujon !

- Ah ! me répond l’Anglais, ils vont à la bêche à la ligne !

Cette fois, pour lui faire voir que je n’étais pas le premier venu, je réplique en anglais :

- Yes ! miladi !

L’étranger en bade comme une troupe de barbots.

Pendant que je lisais le journal et comme le train démarrait, Beubremol à côté de moi se régalait d’une rondelle de saucisson prise à côté du sac de vers !

Enfin, un ralentissement de machine nous apprit que nous arrivions. Verneque le Vernet. Vingt-cinq minutes d'arrêt. Buffet. Pissoir pour dames. Nous descendîmes tous du compartiment en entonnant des chants patriotiques : "Aniran toutis à Pinsaguel" ... etc.

La journée s'annonçait magnifique, mais voilà que, nom de dieu ! du côté des arbres comme du côté des rochers, il y avait partout un, deux, trois pêcheurs. Je me dis : « Il te faut aller sur l’île boisé ! » (Le ramier c'est un coin qui a une réputation européenne). C’est là que vont pêcher Fallières et Rootschild. Oh ! bonheur ! voilà que j'y trouve un coin à l’ombre. Vite, je me débarrasse de mon attirail et j’installe mon banc ! Car je tiens à vous dire que pour pêcher plus à l’aise, j'avais inventé un truc, un banc à quatre pieds ! Oh milledieux, je ne trouve pas le quatrième pied, ce putain d'Anglais me l’aura volé dans le compartiment ! Enfin, avec le cul d'une vieille canne je rétablis l’équilibre et je commence à pêcher ! Les rabatos me mangeaient les vers et je n'attrapais rien ! A côté de moi arriva un esclopé qui pêchait avec un petit bâton et de la ficelle. Il levait des brèmes grosses comme des batéjous. Tout d'un coup, il me crie :

- Monsieur, la puisette, la puisette !

Sa canne toute entière était dans l’eau ! Je me dépêche pour lui passer l’épuisette mais mon banc mal installé se renverse et je me fous à l’eau ! Comme je peux, je regagne le bord. J’étais tout mouillé ! Heureusement que le soleil brillait légèrement. Je m'enlève la veste, le gilet, le pantalon, la chemise et je ne me laisse sur les poils que la pipe et le scapulaire ! Les mouches me mangeaient les fesses ! Un étudiant arrive, un étudiant de Galabot, de ceux qui sont gras à éclater.

- Pardon monsieur, me dit-il, c’est vous le maître baigneur de l’établissement ?

- Eh ! neni, lui répondis-je. Je me baigne pas, je pêche.

- Vous êtes pêcheur, mais alors vous devez savoir ce qu’est une ligne ?

Je lui explique.

- Neni, répond le freluquet, une ligne monsieur c'est un bâton avec un asticot à un bout et un âne à l’autre.

Milledieux, sous l’insulte mon sang me fit qu’un tour. Me promettant de l’assommer, je me précipite sur lui mais je trébuche contre une motte de terre et je me fous par terre. Le freluquet en profite pour me voler mes habits. De loin, il me crie :

- Si vous voulez vos vêtements, sacripant, vous viendrez les chercher au restaurant où je déjeune avec des dames. ça vous apprendra à vous moquer de la jeunesse des écoles.

J'étais frais, tout nu comme un ver pelé ! Je ramasse les débris de mon attirail, les cannes cachant le derrière, le parapluie ouvert sur le devant et la fiole d’huile entre les fesses. Je pars au village. Les oies et les enfants me suivaient de près. Pour leur échapper, je m'en vais sous le porche de l’église. L’heure était mal choisie. C’était la sortie de la grand messe ! Vous voyez d'ici le tableau. Les congrégannistes en rougissaient. La suisse de l’église s’approcha de moi et me dit :

- Pardon, monsieur, si vous venez pour distribuer le pain béni, vous pouvez partir, la messe est finie. Ite, missa est.

J’en étais noir de honte ! Cette scène avait trop duré. Tout ça m’avait donné envie de chier. Pour me soulager, je m’installe sur une auge à porcs. Seulement le garde champêtre prévenu arrive pour constater le délit :

- Bougre de cochon, qu’il me dit, vous vous croyez au Sénégal, animal ! Je. vais vous mettre un procès-verbal !

Et il me mit un procès-verbal ! Il m’amena au poste de police et, après m’avoir donné les habits, me garda jusqu’à une heure du matin.

Je partis pour la gare prendre le train. Comme j’arrivais le train démarrait. Je fus obligé de rentrer à Toulouse à pied. Vingt-cinq kilomètres. Je suis rentré chez moi à six heures du matin et j'y trouve la Mariounil. Vous ne connaissez pas la Mariounil, ma légitime épouse ? Elle était dans les bras de Pierre le voisin pompier.

- Elle s'est trouvé mal, me dit-il et je la ranimais !

Le fait est que je la trouvais toute débraillée et qu’elle paraissait très agitée.

Depuis j’ai réfléchi : peut-être bien, étais-je cocu ! Comme il vaut mieux être cocu qu’aveugle...

Toute histoire méritant sa morale, voici la mienne :

Si vous aussi, vous voulez pêcher, restez au ramier du château. Là vous ne pêcherez peut-être que des chiffons mais vous n'attraperez pas comme moi, un procès-verbal, une fluxion de poitrine et une paire de cornes. Et maintenant, salut la compagnie !

 Avec une telle histoire, j’ai eu au moins quatre heures d’occupation. Et sans avoir à parler à personne. Que demander de mieux ! D’autant qu’elle a une belle morale cette histoire quand tant d’autres n’en ont aucune... Je t'embrasse très fort.

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