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Vie de La Brochure
24 mai 2017

Pyrénées, tourisme, Lefebvre, 1965

En 1965 partout en Europe mais surtout au soleil, nous entrons dans la phase du tourisme bétonné. Sur les bords de la Méditerranée je me souviens des combats perdus d’avance contre la construction de villes fantômes qui seraient vides l’hiver. Et qui ne sont pas des villes fatômes. Au même moment Henri Lefebvre évoque la question du tourisme au sujet des Pyrénées :

« L'agriculture moderne et le flot du tourisme suffiront-ils à pénétrer, à transformer cette zone ? Rien de moins sûr. Jusqu'à nouvel ordre, ils la contournent. Vers le centre du bastion pyrénéen, ils n'occupent que des îles sporadiques: Lourdes et Gavarnie pour le tourisme, le corn-belt (région du maïs), quelques stations d'hiver (Font-Romeu). Quant au thermalisme, qui remonte aux Romains, il modifie assez peu la vie des autochtones. Les « curistes » passent; après la saison, on ferme les établissements et les hôtels. Les gens rentrent chez eux; ils se retrouvent avec un peu d'argent liquide. Encore cette activité ne profite-t-elle qu'à une minorité. Les routes thermales et touristiques ne forment jusqu'à nouvel ordre qu'un réseau à mailles larges. »

 Une attention au tourisme qui ne peut que passionner le philosophe du quotidien. Avec cette double référence historique : le pèlerinage, sans doute la première forme de tourisme, et le thermalisme qui a, en effet, attiré des milliers de gens vers les Pyrénées (mais pas seulement là).

 Finalement les villes fantômes seront plus présentes dans les Pyrénées, que sur les bords de la Méditerranée. Villes ne vivant qu'au moment du ski. Puisque le tourisme dans les Pyrénées prendra la forme "sports d’hiver".

 Au sujet de Lourdes, seulement évoqué en tant que lieu touristique, la réflexion de Lefebvre aurait pu aller plus loin : pourquoi les montagnes sont-elles des lieux propices aux apparitions de la Vierge ? Pour comprendre le rapport de Lefebvre avec la spiritualité peut-être est-il est bon de lire ce qu’il dit de Saint-Bertrand-de-Comminges :

« Haute et hautaine forteresse-église, Saint-Bertrand s’aperçoit de loin. La rude montée met la forteresse à l’abri des assauts et présente aux vassaux l’église de l’évêque-baron-abbé. Il règne sur le pays par l’esprit et par la matérialité, en protégeant contre les ennemis de la terre et du ciel ceux qui ont ce bonheur incomparable de l'avoir pour seigneur et maître. De cet art un peu grossier mais efficace, il reste quelque chose de sensible et visible. On admire. Quoi ? Les traces durables, à peine marquées par le temps, du pouvoir qui s'instaura sur les débris de l'Empire romain et continua la romanité dans la chrétienté.

Autour de la cathédrale, le village conserve un charme médiéval, un peu inquiétant. A quelque fenêtre, on s'attend à voir apparaître une fille belle et mélancolique, dépérissant dans la solitude et regrettant d'avoir consacré sa virginité à la Vierge éternelle.

Comme beaucoup de cloîtres, celui de Saint-Bertrand évoque la puissance plus que la méditation. En cheminant lentement sous ces arceaux, moines et chanoines pensaient plus à leurs moyens d'agir qu'aux fondements de l'ontologie.

Mais que dire des stalles sculptées à l'intérieur de l'église ? Ceci. Les maîtres furent jusqu'à nos jours victimes de leur maîtrise. Il leur fallut la justifier devant les asservis. Les princes évêques ou abbés ont dû toujours jouer une comédie d'ascétisme, fût-ce au milieu des attributs de la richesse, du luxe, du pouvoir. L'Eglise a toujours eu besoin de quelques saintes figures. Après des siècles de dureté et de vertu, tantôt feintes, tantôt sincères, les seigneurs ecclésiastiques de Saint-Bertrand en eurent assez de mimer la pauvreté dans ce pays pauvre, la chasteté dans ce pays aux mœurs libres, et s'adressèrent donc aux plus ingénieux, aux plus paillards, aux plus libertins des artisans pour orner leur sanctuaire dur et froid. Ce fut alors l'explosion d'une sensualité longtemps contenue. Ces sculpteurs eurent le sentiment d'une victoire sur les siècles finis, sur la misère mimée ou réelle, sur l'ascétisme et le puritanisme religieux. Ils s'en donnèrent à cœur-joie. Ils remplirent la triste nef de ces boiseries douces à l'œil et au toucher. Les symboles religieux n'y sont plus que prétextes au déploiement des formes baroques. Vertus et sibylles s'offrent au regard, ce sont les filles et femmes les plus jolies ou les plus plantureuses parmi les bergères de Comminges. Quelle revanche! Et cela au moment où les protestants sévissent dans les riches bourgades des plaines (1).

Lorsque les luttes politiques menaçaient l'édifice de l'ordre établi, des résurgences de paganisme et d'hérésie s'infiltraient dans les fissures, et elles jaillissaient joyeusement...

(1) Ici encore, l'auteur se permet d'introduire des notes très personnelles. Il avait quatorze ou quinze ans quand il vint à Saint-Bertrand pour la première fois. Les visiteurs étaient rares et le tourisme presque inexistant. Le petit crocodile empaillé suspendu au mur du fond dans la cathédrale passait encore pour un monstre indigène maté par saint Bertrand. Le digne curé qui présentait son église n'hésitait pas à raconter ce miracle. De ceci, le visiteur adolescent se souvient avec certitude, quelques dizaines d'années plus tard. Il est moins assuré d'avoir aperçu dans les stalles deux ou trois groupes sculptés particulièrement truculents. Il n'ose pas l'affirmer de crainte d'un démenti. Il croit que ces audaces libertines ont disparu; ce n'est peut-être qu'un mauvais tour d'un mémoire maligne."

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