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Vie de La Brochure
13 octobre 2020

L'Internationale à Bruniquel en 1936

Sous forme humoristique voici un écho d'un événement à Bruniquel en 1936. JPD

 

La Dépêche 10 janvier 1936

LA VIE TOULOUSAINE D'UNE CHANSON instructive

 Nous autres, Aryens grands et blonds, joyeusement méchants et dolychocéphales, qui fûmes importés en Languedoc il y a bien quelques lunes, ne saurions nous désintéresser de ce qui se passe au village de Bruniquel, dans le Tarn-et- Garonne. Au village de Bruniquel, où la légende — quoique sujette à controverses — veut que la reine Brunehaut ait amené avec elle de notre graine.

Or, un vent de tempête souffle sur Bruniquel présentement. La faute en est à un pick-up et à la Société d'Instruction Populaire. Car Bruniquel possède une Société d'Instruction Populaire. Et la Société d'Instruction Populaire possède un pick-up, instrument précieux, parait-il, pour instruire le Peuple, lequel pick-up fonctionne dans la salle de la mairie.

Et il instruit le Peuple par la chorégraphie, la jeunesse du pays étant admise à danser au son de cet outil moyennant le versement à la Société d'Instruction du produit d'une quête que l'on fait parmi les danseurs. Aimables mœurs et patriarcales et même pieusement classiques, car Montaigne aussi fut instruit en musique. Et nous eussions bien approuvé, nous tous qui fûmes réduits à une silencieuse immobilité pendant les horribles études qui dévastèrent notre jeunesse; nous eussions bougrement aimé qu'on nous instruisit par le moyen de javas et rumbas, au contact de quelques jolies filles au lieu de nous consterner par baroco et baralipton.

De sorte qu'on se demande comment jouissant harmonieusement des fruits d'une telle sagesse et après avoir montré une si heureuse propension à confondre la joie et l'étude, la population de Bruniquel est aujourd'hui divisée en formations ennemies et qui s'engueulent dans les journaux locaux.

« Un groupe de républicains » nous apprend d'où vient le mal tout en protestant fermement contre l'attitude des responsables. Lesquels responsables, comme le bal instructif et populaire battait son plein, imaginèrent de faire jouer par le pick-up « L'Internationale ».

On peut dire et penser ce qu'on voudra de « L'Internationale », qui est un hymne à peu près aussi excitant, pour ce qui est de la musique, qu'un cantique de l'Armée du Salut et beaucoup moins spirituel, en ce qui concerne les paroles, que la chanson vénérable qui enregistra les exploits de feu le Père Dupanloop : le fait est que l'on conçoit mal ce que diable le meilleur danseur des ballets russes pourrait danser sur cet air là-...

Et ce qu'a bien pu danser, au son de « L'Internationale », la jeunesse de Bruniquel (Tarn-et-Garonne), il faut renoncer à l’imaginer. Un tango, peut-être, à là rigueur.

Mais enfin, il faut aussi considérer la chose en se plaçan, au point de vue de l'instruction du Peuple. Il est certain que si M. Blum, qui est un homme savant, connaît les trente-six couplets de «L'Internationale» au point d'être à même, à première réquisition, de les réciter à l'envers, on trouverait, difficilement un prolétaire sur dix mine qui fût capable d'en chanter plus de trois strophes complètes avant de remplacer le texte par un pom-pom-pom d'ailleurs très suffisant.

Observons toutefois que le texte en question, articulé par un appareil amplificateur dans un lieu public et même municipal, exposait les instructeurs du peuple à des poursuites judiciaires, conformément aux lois sur la provocation au meurtre et à la violence et sur les outrages à l'armée et à ceux qui la dirigent. Car il est dit dans un des couplets, non le moins comique, de cette instructive chanson : « ... Et s'ils veulent, ces . cannibales (parfaitement!!) — faire de nous des héros — ils verront bientôt que nos balles — sont pour nos propres généraux !»

Mais enfin, on est tolérant dans le Tarn-et-Garonne et singulièrement lorsqu'il s'agit d'instruite le Peuple. Aussi, et comme parmi l'assistance honorable qui remplissait la salle de bal se trouvaient des danseurs et danseuses qui n'étaient point marxistes — encore qu'ils eussent contribué à payer le pick-up instructif — ces derniers se bornèrent à réclamer que l'on fît jouer « La Marseillaise ». Car le peuple connaît aussi peu les couplets de « La Marseillaise » que ceux de « L'Internationale ».

Or, on a refusé « La Marseillaise » au Peuple de Bruniquel. D'où le vif mécontentement du « Groupe de Républicains » qui nous écrit pour protester. Et certes, on ne peut qu'approuver le «Groupe de Républicains». Car la Société d'Instruction Populaire est subventionnée par tout le monde, sans distinction de partis. Et tout le monde a contribué à l'achat du pick-up.

C'est tant pis pour les partisans de la dictature du prolétariat, qui ont créé un précédent fâcheux en faisant jouer « L'Internationale ». Car désormais, les royalistes de Bruniquel (Tarn-et-Garonne) sont fondés à réclamer que l'on fasse entendre au prochain bal par le truchement du pick-up, acheté à frais communs : « Vive Henri IV! Vive ce roi vaillant! »

De même que les bonapartistes auront lieu d'exiger que l'on joue «Veillons au salut de l'Empire! »

Cependant que les Enfants de Marie qui, je m'offense, dansent à Bruniquel comme ailleurs avec les Faucons Rouges, auront le droit de réclamer le « Gloria in excelsis deo ».

Tant il faut être stupide — et fut-ce sous prétexte d'instruire le peuple — pour évoquer les «damnés de la terre » et la « lutte finale » entre une béguine et une java.

JOHNNIE.

 

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