Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vie de La Brochure
3 janvier 2022

Mary-Lafon par Beaurepaire-Froment

beaurepaire-froment

Nous revoici avec Beaurepaire-Froment qu'il m'arriva d'évoquer souvent et il parle ici de Mary-Lafon dont il m'arrivera de parler encore. Il est présent dans l'imposante galerie de portraits de Moissagais qu'il m'arriva de publier mais seulement sur internet. La façon d'écrire de Beaurepaire-Froment est en dehors des clous. Il fut l'âme de la revue du traditionnisme à ne pas confondre avec le traditionalisme. JPD

P.S. Montauban a bien eu à ce moment-là la rue Mary-Lafon

Midi socialiste 1er février 1914

(( Pe’l Metxoun ))

J’ai reçu enfin l’Almanac Carsinol — très en retard — non pas quant à la parution, mais quant à d’envoi. C’est la septième année de cet almanach publié par l’Escolo Carsinolo de Montauban. Il y est question des fort belles fêtes –qui eurent lieu à La Française-en-Caorsin,les 25 et 26 juin derniers, pour commémorer le centenaire de la naissance de Mary--Lafon.

En fait de discours on n’en trouve, dans le compte rendu, qu’un seul, le mien. Je suis ensensblement flatté et touché du procédé, mais je déclare que je ne suis pas satisfait. J’avais fiance que l’Almanac Carsinol de cette année serait l’archivation complète et détaillée des fêtes du Centenaire de Mary-Lafon. Si, l’almanach étant tout entier, comme il convient, en langue d’oc, on aurait pu se borner à analyser les discours français, notamment celui, d’ailleurs considérable, de Daniel Bourchenin, l’Escolo n’aurait pas dû manquer de bailler le discours occitan de François Rigal qui, s’il était plus étendu que le mien, n’en avait pas moins son intérêt et son éloquence, ainsi que l’ode d’Ernest Péfourque à Mary-Lafoun, la pièce du maître poète Antonin Perbosc et autres factures poétiques occitanes. Le mieux eût été de s’imposer un sacrifice, d’augmenter, cette année, le nombre habituel des pages de l’almanach; mais même, en gardant ce chiffre coutumier, il fallait au moins consacrer la moitié de l’almanach à l’archivation du Centenaire de Mary-Lafon. J’estime que ceci n’eût pas diminué l’intérêt, ni la popularité de la brochure.

Ce fut un beau triomphe que cette fête commémorative de Mary-Lafon à La Française. Même dans son pays natal, Mary-Lafon était non seulement oublié, mais méconnu. Mieux encore, on le calomniait, on en faisait je ne sais quel séide de l’empire, ce qui ne cadrait guère avec le caractère indépendant qu’on lui reprochait d’autre part, mais la mauvaise foi ne se pique pas de logique. Lors même que Mary-Lafon eût été le politicien pour lequel on voulait le faire passer, ceci n’importait point en l’occurrence, il n’y avait à considérer en lui que l’écrivain et l’érudit faisant honneur à son pays. Mais ce n’était pas le cas. Mary-Lafon fut simplement nommé bibliothécaire de Montauban sous l’empire, ce n’était pas sa faute si à ce moment ce régime existait. Après la chute de l’empire, sa destitution fut surtout le résultat de jalousies et intrigues locales. Je me proposais, s’il en était besoin, de « rounsa pel mourre de tout aqel canhun de pouliticayres », comme je l’écrivais dans l’Almanac Carsinol de 1907, la preuve de leurs mesquines stupidités. J’allusionnais à une belle lettre adressée, le, 27 janvier 1872, à propos de Mary-Lafon, par Jules Janin à Saint-René Taillandier, secrétaire général de l’Instruction publique, et qui boutait les choses au point. Le bon sens et la justice ont fait tout seuls leur œuvre, sans qu’il ait été nécessaire de sortir le document. Ayant constaté l’injustice dont était victime le précurseur Mary-Lafon, je me jurai de la faire réparer. Après quinze années de lutte tenace, inlassable, cette haute joie m’a été donnée. A La Française, lors de la commémoration de l’écrivain, le quartier du Moulin-à-Vent, où se trouvait la maison natale de Mary-Lafon, était entièrement pavoisé ; dans les rues étaient plantés des centaines de chênes que reliaient des guirlandes. Pour fêter la mémoire d’un glorieux concitoyen, toutes les tristes querelles de clocher firent trêve à La Française et il y eut une enthousiaste union, comme on n’en rencontre pas -souvent dans nos petites villes ou villages trop souvent infestés de sale politique.

Je me vois encore, parlant en langue d’oc, en plein air, devant un vaste auditoire, une foule serrée emplissant la rue de la maison natale de Mary-Lafon, assistance composée surtout de paysans que j’interpelle d’une voix vibrante : Pople de La Fransezo e del Carsi.

Je vois encore l’étonnement sympathique de la foule d’ouvriers et de laboureurs, captée, dominée, qui s’émerveillait de ce monsieur de Paris «en lévite» qui parlait aussi aisément qu’eux, et plus purement, leur langue natale.

Je vois aussi les yeux pleins de larmes de l’admirable veuve de Mary-Lafon, âgée de soixante seize ans et presque aveugle, tandis que je lui rendais un hommage mérité et que la foule lui faisait ovation. Je traduis mon texte occitan :

« Je veux rendre hommage à la femme de Mary-Lafon, à la noble veuve qui a gardé pieusement mémoire de son mari, et que nous apercevons parmi nous. En dépit de son âge pesant, et malgré que, pecayré! elle y voie à peine pour se conduire, elle n’a pas craint d’accomplir le long voyage de Paris à La Française, afin de se trouver à la glorification de celui dont elle fut et demeure la loyale compagne ! »

L’œuvre de Mary-Lafon est immense. Il fut poète, romancier, traditionniste, historien, philologue, auteur dramatique, aphoriste, polémiste, et dans chacune de ces branches laissa des œuvres intéressantes. Pour juger équitablement un homme, il le faut placer dans son temps et dans son milieu. Mary-Lafon appartient à l’école, des érudits de la première moitié du XIXe -siècle. Depuis, la science a fait des progrès, mais il est aussi déloyal que facile d’avoir l’air de dédaigner les devanciers sans lesquels nous ne serions pas ce que nous sommes, les précurseurs qui ouvrirent la voie. Même dans l’œuvre d’érudition de Mary-Lafon, il reste bien des choses utiles à étudier.

Quant à son mérite littéraire, il est incontestable. Outre plus il est et demeure le seul auteur qui ait écrit l’histoire du Midi dans son ensemble : Histoire politique, religieuse et littéraire du Midi (1845 ; 4 vol. in-8°). Cet ouvrage suffirait à garder son nom auprès de la postérité, mais encore il faut ajouter, au point de vue historique, Rome ancienne et moderne (1833) et l’Histoire d’Espagne (1865) réalisant avec l’Histoire du Midi la trilogie des peuples frères méditerranéens. Ce n’est rien, Mary-Lafon a encore écrit quantité considérable de volumes divers historiques ou littéraires, dont « se pouïo bertadieromen aparia un fays à carga uno carreto », ainsi que je le disais à La Française. Davantage il ne faut oublier que de ce travailleur prodigieux il reste au moins autant d’œuvres inédites.

Mary-Lafon possède encore un autre mérite. C’est lui, le premier, qui patriotiquement voulut faire connaître, en dehors du monde savant, et vulgariser auprès du peuple méridional toutes nos gloires littéraires ou historiques occitanes. Il y employa sa vie entière, sa jeunesse aussi bien que sa vieillesse, sans compter sa fortune, et il poursuivit jusqu’à la mort son admirable tâche...

Mary-Lafon naquit, à La Française en 1810, c’est là qu’il grandit et devint jeune homme. Puis il partit pour Paris où il fit bellement sa trouée au soleil. Mais il demeura toujours un fidèle du pays natal et de sa langue : c’était un vrai fils de notre race carsinole tenace à ses caractéristiques et à ses attaches. On connaissait si bien la fidélité et le zèle de Mary-Lafon envers tout ce qui touchait le Midi, qu’à Paris on l’avait surnommé le Midi fait homme.

Si Mary-Lafon resta longtemps à Paris, il n’y passa pas toute sa vie, il revint parfois au pays natal; c’est là qu’il voulut vivre lorsqu’il se fit vieux et c’est là qu’il mourut, en 1884, à Aussonnes, proche Montauban.

Non seulement Mary-Lafon entendait notre langue populaire, la langue des aïeux, mais il la parlait couramment et encore l’écrivait, à preuve la pièce de vers La Lengo del Brès, que je lus au bon peuple de La Française qui se délecta à l’ouïr.

Toutes les idées qui se rattachent soit à l’histoire, soit à l’enseignement et à l’affranchissement de notre peuple occitan, molesté par la centralisation parisienne, à la défense et à la diffusion de ceux-ci,-Mary-Lafon les a eues.

Dans le Périgord on voulut, il n’y a pas longtemps, dresser un monument au grand troubadour Bertran de Born; mais, cinquante ans auparavant, Mary-Lafon avait écrit un roman historique sur Bertrand de Born et lancé l’idée d’ériger ce monument.

Voici ce que disait l’aïeul à l’assemblée de l’Alliance Latine, à Montpellier, le 26 mai 1878 :

« Une alliance étroite, indissoluble et fraternelle dans la vérité de ce mot, doit se former entre tous les peuples enfants de la race latine. C’est une confédération nouvelle à créer par l’idée et le cœur ; une fédération fondée sur l’autonomie l’indépendance, la liberté et le bonheur de chacun des peuples unis, non pour la guerre et la conquête, mais pour la défense, l’intérêt commun et le progrès réalisable dans l’ordre physique et moral de l’humanité..... Voilà l'œuvre grande et sacrée, celle qui exige tous les efforts de notre intelligence et qui réclame toute notre ardeur, notre activité, notre patriotisme; celle qui a pris les quarante-huit années les meilleures de ma vie et à laquelle je serai heureux et fier de consacrer les jours qui me restent.»

On voit, par tout ce que je viens d’écrire, que Mary-Lafon fut un précurseur de toutes les idées qui commencent huy à se répandre dans le Midi et qui seront le salut de notre race. Mary-Lafon est désormais entré dans la gloire du souvenir. Sa ville et son pays natal conserveront avec piété sa mémoire. A La Française, un buste très vivant placé à la mairie, dû à Félix Bouisset qui se révéla excellent statuaire, une rue portant le nom de l’écrivain, et une plaque commémorative sur l’emplacement de sa maison natale, garderont auprès des générations futures le nom de Mary-Lafon.

Voici l’inscription de la plaque :

A MARY-LAFON

(1810-1884)

A l'apostoul Mejournat

l'Escolo Carsinolo

A l’écrivain Français

l’Académie de Montauban | la Société Ingres

Voilà qui est bien, mais il reste peut-être quelque chose à faire... à moins que cela ne soit déjà fait. Par une lettre en date du 20 mai 1910, M. Charles Capéran, maire de Montauban, voulait bien m’informer qu’à la suite de ma proposition, le Conseil Municipal avait décidé de donner à la rue Saint-Georges, qu’habita Mary-Lafon, le nom de l’écrivain : « Cette proposition a été adoptée par l’unanimité-du Conseil et sera ratifiée à notre prochaine séance publique qui aura lieu vers la fin du mois. » Depuis, je me suis pas arrêté à Montauban, et j’ignore si le Conseil Municipal a donné suite à sa décision. Au cas négatif, ce n’est sans doute là qu’une négligence..... coupable il est vrai.

Le Conseil Municipal de Montauban n’aura pas la déloyauté de se déjuger publiquement, et en donnant à la rue Saint-Georges le nom de Mary-Lafon il ne fera qu’accomplir une œuvre de justice à l’égard de l’écrivain et du fervent Occitan qui honore sa province natale. Le cas échéant, que d’Escolo Carsinolo veille à la prompte réalisation de ce dernier hommage envers Mary-Lafon : c’est son devoir.

DE BEAUREPAIRE-FROMENT

Publicité
Publicité
Commentaires
Vie de La Brochure
Publicité
Archives
Newsletter
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 1 023 816
Publicité