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Vie de La Brochure
9 septembre 2022

Gérard Tartanac et Changement d’heure !

A ranger mes archives je retrouve cette nouvelle que je place ici avant de la jeter. Ecrite suite au décès de Gérard Tartanac.  

Changement d’heure !

Avec l'âge et surtout le grand âge, le sommeil se fait rare. Depuis plusieurs années Gérard se levait à l’aube et, pour se libérer de ses insomnies, il écrivait. Le tableau de ce grand-père devant sa machine à écrire d’avant l'électricité, n’aurait rien d’original s’il n’avait été cultivateur. Cultivateur-poète aimait-il rappeler.

Il avait installé son bureau au premier étage et, comme la demeure était petite, l’escalier pour y monter n’avait pas le confort d’un trois étoiles. Ce matin-là, Gérard se leva plus décidé que jamais à finir dix nouvelles pages de son roman : “Arcs en ciel des matinées”. Il m’avait écrit : “Excuse-moi de t’infliger ma mauvaise écriture manuscrite, mais comme je tape à la vitesse de l’escargot... (Dix pages par jour pour mon nouveau livre).”

Vous le voyez, il ne songeait pas qu’à son roman mais aussi aux lettres à ses amis. Dernièrement, la télé (France 3) ayant annoncé un passage dans sa Lomagne, il avait aussitôt jugé utile de préparer un texte donnant à voir autre chose de son pays que les images soporifiques du petit écran. Cet écrit bien senti fut photocopié à cent exemplaires et distribué sur le marché de Beaumont. J’étais chez lui quand s’acheva la projection de l’émission qu’il suivit bien sûr en prenant des notes pour apprécier les points justes et se moquer des balivernes. Surtout, comme tout un chacun, il y allait de ses commentaires oraux. Gérard aimait parler de son métier d’abord, du monde aussi.

Ecrire des lettres, pour vivre au présent, ne pouvait cependant le détourner de son enfant chéri, son roman, qu’il avait déjà achevé en 1987 mais que le Ministère de l’Agriculture l’incitait à remettre sur le tapis pour une présentation au prix Olivier de Serres. Avec le courage qui fut celui de toute sa vie, c’est-à-dire le courage de celui qui dit ce qu’il pense surtout à ceux qui ne pensent pas comme lui, il reprit son ouvrage. Rien, n’aurait pu le faire dévier de ses choix. Aucun tiroir social n’a pu le conserver entier. Il a fallu qu’il se révolte, il a toujours fallu qu’il se libère. Sur sa terre paysanne il avait décidé de refuser le choix de l’irrigation, au moment où c’était devenu un passage obligé.

Tout à son autobiographie qu’il appelait donc roman, s’y donnant le prénom de Jacques, il suivait en même temps l’actualité politique qui le faisait vibrer comme au premier jour. Cette soirée du 28 mars 1993 lui restait en travers de la gorge, la gauche venait de perdre les élections législatives. Veilla-t-il un peu trop pour essayer d’apprendre si un sursaut avait eu lieu ici ou là ? Non qu’il y tienne à cette gauche sans âme - il s’était présenté l’année précédente comme candidat aux cantonales avec ce slogan : ni gauche, ni droite - mais tout de même en revenir à 1815 ! Cultivateur, il avait semé tant de générosité et d’amour qu’il pensait meilleure, la récolte. Voilà que parfois les mauvaises herbes s’endurcissent même dans ses propres champs et submergent la tendresse.

Les mécomptes une fois achevés et quoiqu’il en soit de leurs répercussions dramatiques sur la cultivature, en ce lundi 29 mars, il avait une œuvre qui l’attendait, et donc il se leva comme à l’accoutumée. Sa femme, pleine de douceur et d’attention pour cet écorché-vif, lui rappela que la France vivait sous une nouvelle heure, que l’aube était retardée, et qu’il pouvait se laisser tenter encore un peu, par la position couchée. Elle lui fit la remarque sans conviction, parce qu’elle savait bien qu’une décision était pour son mari, une décision.

Il secoua sa fatigue, s’avança vers l’escalier et monta vers son bureau. Et là, plus personne ne sait ce qui arriva. Il fit une chute mortelle. Quelle nouvelle heure avait eu sa peau ? La nouvelle heure politique ? La nouvelle heure de l’horloge ? Il aurait dit que c’était là son heure.

“Ci-gît un citoyen, un ami vrai, sincère ; Jaloux de vivre libre, abhorrant les abus, Il eut été, toujours ferme en son caractère. Socrate dans Athènes, et dans Rome Brutus. La mort, en le frappant, abrégea sa carrière. Mais n’obscurcit point ses vertus.”

J’étais entrain de lire ces lignes quand le téléphone sonna pour m’annoncer le drame. C’est miracle qu’à traverser les siècles, elles aient pu trouver réalité à leur pointure. Ah ! Gérard, combien reste-t-il de cultivateurs ? N’en déplaise aux puissants, nous te cultiverons.

Jean-Paul Damaggio

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