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Vie de La Brochure
1 février 2023

Andrieu, Bayrou, Castan

andrieu dessins

En 1953 Félix Castan a présenté une grande conférence sur le peintre Lucien Andrieu (au moment d'une exposition de ses oeuvres à Montauban). Pierre Bayrou lui fait une réponse sans détours. Quand on a vécu à Saint-Antonin, Pierre Bayrou est une figure considérable. Il a d'ailleurs donné son nom au Collège de la ville. Conteur occitan, poète, engagé politique, écrivain, ancien professeur d'école normale, il était admirable. Par ce texte, il dévoile une autre face de sa personnalité. Je ne peux mettre en illustration les peintures évoquées aussi je m'en tiens à ce dessin d'Andrieu. JPD.

Saint-Antonin, décembre 1953.

MON CHER CASTAN,

Eh bien ! non : Andrieu, pour moi, ne doit rien au pays. Andrieu est un peintre, un grand et même un très grand peintre. Je veux dire que, par lignes, plans, couleurs, volumes, il suggère beaucoup et longtemps. Mais quoi ? Les Toits de Bruniquel par exemple : à moins de complaisance ou d’infirmité, on ne peut pas nier qu’ils pourraient être de n’importe où. Or, c’est une toile splendide. Mais le Causse, sa lumière, ses grisailles, l’âpreté de la vallée, tout cela qu’ont rendu avec tant de bonheur Henri Marre et Pouvillon, rien de tout cela n’est là-dedans, et il ne faut pas l’y chercher. Le Paysage Montalbanais a une noblesse, et les nuages dans son ciel sont d’un bleu qui n’est d’aucun pays réel, d’aucun pays de notre monde. Et pourtant ces toiles, sorties à peu près tout entières de l’intimité la plus secrète de l’artiste, quels paysages, quels souvenirs, quelles espérances peut-être, elles font lever dans l’intimité de qui les regarde!

On dit encore, à propos de La Femme assise, qu’elle est inséparable du décor et du fond. Parbleu! Mais de quel portrait, de quelle nature morte, de quelle peinture ne peut-on, à aussi bon droit, le dire ? Non : c’est l’intimité d’un foyer, voilà tout. Seulement chaque passant (et voilà l’art!) y reconnaît son foyer à lui, l’essentiel de ce foyer, que ne lui fait peut-être pas sentir aussi fortement la réalité matérielle de sa propre maison. Cette étonnante toile, c’est la traduction avec d’autres moyens, sur un autre plan, comme dans un autre univers, de ce que dit le poème que vous connaissez bien : « La vie humble, aux travaux ennuyeux et faciles... » Et non seulement cela, mais aussi, et peut-être surtout, cette extraordinaire audace et cette magnificence : la grande flaque bleue, centrale, du tablier!

Écoutez-moi : Cocteau l’écrivait naguère : «l’émotion esthétique, c’est comme l’émoi sexuel.» Mais oui ! Cela prend au ventre, aussi bien. C’est aussi brutal, aussi primitif, aussi simple que cela : irraisonné, puissant, irréfutable. On reçoit le choc, on philosophe ensuite. Et sans ce choc initial, tout le reste est littérature Non, non : ne nous faisons pas plus compliqués, plus profonds que nous ne sommes. Et si nous sommes aveugles, ne dissertons pas de couleurs.

C’est comme ces dessins : ils sont proprement magiques, voilà le vrai. C’est-à-dire que chaque visiteur, penché sur eux, sur ces noirs en suies de velours, sur ces gris si lisses, si doux, si "almes » dirait Verlaine! — chaque visiteur est troublé «comme on l’est en songe, vaguement ». Et à chacun, ces choses étranges, ces constructions hagardes, la netteté pourtant, la fermeté de ces formes, tout cela parle un obscur langage. Oui, confus, et c’est justement de ces « confuses paroles » que se lève l’enchantement. Jusqu’à ces naïvetés que tous les génies nous font voir (et Bourdelle, donc!), et dont on se demande si elles ne seraient pas le critère de la grandeur : ces inscriptions sur un entassement de blocs hétéroclites, inébranlables, accablants comme la fatalité ou la malédiction qui nous dominent et nous cernent en un équilibre précaire et menaçant : « Science, Amour, Rêve, Néant... ». Non : cela est trop clair, justement... Ces mots sont de notre idiome quotidien et non pas de notre «douce langue natale». Mieux vaut cet épi de blé, dont le chaume se tortille sur du néant, ou cette ouverture de rideau sur un infini de ténèbres, oui, mieux valent tant de si poignantes «romances sans paroles».

Et je ne parle pas de ces paysages, que dore une des teintes préférées du maître : ces roux, si tendres et si chauds, ces bouillonnements de graves rousseurs... Voilà : cette peinture est d'un bien grand artiste, parce qu’elle est d’abord, avant tout, incantatoire. Et ce n’est qu’après coup qu’elle apparaît ce qu’elle est encore, si exquise et si noble... Bref, on sort de là comme vous m’auriez vu hier : atteint au vif, d’une blessure douce Et dès le lendemain, ce déchirement commence à émettre rêveries, pensées… Lesquelles ? Chacun doit le garder pour lui : elles seraient à beaucoup importunes ou suspectes. Mais il sait bien, lui, à quel point elles peuvent se faire fécondes, utilement... Pierre BAYROU

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