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Vie de La Brochure
28 février 2023

Sénac, Castelsarrasin, l'Algérie, 1903

l'Indépendant

Le Député Sénac fut un député très républicain de Castelsarrasin. Je ne connais pas à ce jour sa proposition de loi sur l'Algérie mais la réponse qu'il reçoit de ce journal algérien "républicain anti-juif" nous renvoie à de brûlantes questions de l'histoire de France. J-P Damaggio. 

20 juin 1903 L’Indépendant de Mostagadem

M. Sénac, député de Castelsarrasin — en Tarn-et-Garonne — vient de déposer sur le bureau de la Chambre une proposition de loi « ayant pour objet la réorganisation administrative de l’Algérie et son rattachement à la métropole ».

Je ne saurais trop engager ceux qui possèdent quelque connaissance des questions algériennes et des choses musulmanes à lire cette proposition. Elle leur fera passer certainement un bon quart d'heure. Ils rencontreront là pour les saluer d’un sourire au passage, toutes les rengaines humanitaires, toutes les naïvetés banales et toutes les ignorances ingénues qui, de 1750 à 1870 tirent le fond des élucubrations journalisco- parlementaires à l’usage des gens du monde qui craignaient le mal mer. Toutes ces billevesées solennelles sont d’autant plus amusantes à retrouver qu’on les croyait enterrées depuis vingt ans et pour toujours. Mais il parait qu’elles sont encore de mise à Castelsarrasin — c’est si loin de Paris ! — et M. Senac nous les a resservies sans en manquer une seule, voire même en y rajoutant de son cru.

Ce que M. Sénac y a rajouté, c’est son mécontentement personnel. Il nous apprend, non sans quelque solennité, que les députés et sénateurs d’Algérie oui, de propos délibéré, « rigoureusement et systématiquement écarté du cortège officiel les députés et sénateurs de la métropole. Il se demande pourquoi le protocole et les autorités algériennes ont gêné plutôt que secondé les études sociales, économiques et politiques, si intéressantes qui lui incombaient dans ce pays ». Et il en conclut que les députés et les autorités d’Algérie redoutaient la clairvoyance des députés de la métropole et ne voulaient pas leur permettre de s’immiscer dans les mystérieuses arcanes des choses d’Algérie.

Mais, écarté par le protocole, M. Sénac à été invité par M. Pelletan ; il a pu aller en Algérie et il ne lui a pas fallu longtemps pour former ses idées. Il a trouvé le moyen de résoudre radicalement, d’un seul coup, — en cinq secs, comme on dit à Castelsarrasin — toutes les questions d’Algérie, et même celles de l'Islam. Son projet s’est évidemment inspiré de celui de M. de Hochefort : « Article premier : il n’y a plus rien ; Le Gouvernement général est supprimé ; Le régime des décrets est supprimé ; Le Conseil supérieur du gouvernement est supprimé ; Les délégations financières sont supprimées ; Les tribunaux de répression sont supprimés ; L’indigénat, le statut personnel, la justice musulmane, les caïds, etc., etc., sont supprimés. Il n’y a plus rien. »

Malheureusement, M. Sénac ne s’est pas rappelé l’article 2 du projet de M. Hochefort. Il a voulu remplacer ce qu’il supprimait. Il a fait, dans cet ordre d’idées, des trouvailles superbes : La langue française obligatoire ; Les lois françaises applicables à tous, Arabes compris. La naturalisation obligatoire des Arabes, tous électeurs, Etc., etc,, etc.

Le tout se résume en quelques mots : l’Algérie n'est pas une colonie ce sont trois départements français. Et voilà ! ce n’est pas plus difficile que ça. Disons, à la louange de M. Sénac, que sa bonne foi n’est point douteuse. Il a des principes, un peu anciens, peut-être, mais solides et il n’en dévie pas. Ainsi, c’est avec une sincérité vraiment intrépide qu’il convie les députés algériens à travailler avec lui à «la fusion des races» et surtout au «relèvement moral de la femme arabe» qu’il faut émanciper en lui donnant la liberté, l’égalité, l’instruction et le reste.

J’étonnerai beaucoup M. Sénac — du moins je le crains — en lui disant que la femme arabe est, infiniment plus que l’homme, réfractaire à tout relèvement ; que jamais, nulle part, les Arabes les plus civilisés n’ont pu obtenir de leur femmes qu’elles consentissent à laisser donner une instruction quelconque à leurs filles ; et qu’enfin, si nous voulions provoquer la révolte et l’insurrection, nous n’aurions qu’à forcer les femmes arabes à envoyer leurs filles à l’école.

Il est évident qu’on est, à Castelsarrasin, comme dans bien d’autres endroits, hélas ! convaincu de l’immense supériorité de notre civilisation, de nos religions, de nos mœurs et qu'on regarde comme un inestimable bienfait «l'assimilation» des indigènes algériens — et autres sauvages de tous pays — aux populations françaises.

Il est évident qu’on se figure volontiers avec M. Sénac que la « fusion des races» est tout ce qu’il y a de plus simple et de plus facile. Malheureusement, au risque de contrister M. Sénac, force m’est de lui affirmer, qu’entre les Européens et les races islamiques — ou plutôt ismaélites — un contact de plus de vingt siècles n’a pu, nulle part, produire la moindre fusion, la moindre assimilation, pas même de croisements assez nombreux pour qu’il en sortit un groupe de métis. Les races juxtaposées, mêlées, heurtées pendant des siècles et des siècles sont demeurées aussi distinctes, aussi séparées, aussi étrangères l’une à l’autre qu’au premier jour. Elles sont réfractaires l’une à l’autre et l l’une à l’autre impénétrables.

La suppression de l’indigénat et du statut personnel ! Mais si nous voulions que, d’un bout à l’autre de l’Algérie, la «guerre sainte» fût déchaînée, nous n’aurions qu’à les voter. L'assimilation, la naturalisation, les lois françaises... ce sont des bienfaits dont l’indigène, si nous les lui imposions, s’empresserait de nous remercier à coups de fusil.

Je ne saurais trop conseiller à M. Sénac d’apprendre l’arabe et d’aller ensuite passer six mois en Algérie sous la tente, dans le douar. Il comprendra certainement alors combien, aux yeux de l’indigène, du musulman, la civilisation des roumis — de ces « chiens de roumis », de ces kafirs — est inférieure aux lois divines de l’Islam. Il saura que jamais le musulman fidèle, le vrai croyant, ne commettra le sacrilège d’abandonner la loi de Mahomet pour celle des impurs.

Et il y a quelque chose comme quatre millions de ces croyants en Algérie. C’est là ce qui fait la différence entre l’Algérie et le département de Tarn-et-Garonne ; et c’est une différence sensible.

C’est pourquoi je ne crois pas nécessaire de discuter plus avant le projet de M. Sénac. Je crois pourtant qu’il le faut remercier de l’avoir déposé. C’est, en effet, à mon humble avis, une preuve irrécusable que nous avons raison en demandant le transfert de l’Algérie au ministère des colonies; car enfin, ce projet démontre combien il est à souhaiter que les affaires d’un pays soient traitées par ceux qui les connaissent.

Eug. BONHOURE. (Dépêche Coloniale.)

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