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Vie de La Brochure
19 juillet 2023

La vie de Mouloudji en 1944

Dès 1944 Mouloudji a les honneurs de la presse. Ici cet article qui fait référence à ses origines pauvres et algériennes que l'auteur célèbre. Tout une époque. JPD.

29 février 1944

Paris-Soir 29 février 1944

Né d'une mère bretonne et d'un père kabyle

Un ENFANT des FAUBOURGS remporte un prix littéraire de 100.000 francs, LE PRIX DE LA PLEIADE

 Fondé récemment — et la plus haute récompense littéraire par la richesse de sa dotation, puisque celle-ci est de 100.000 francs — le prix de la Pléiade vient d'être décerné à un jeune acteur de cinéma, Marcel Mouloudji, qui avait présenté le manuscrit d'une nouvelle : « Enrico ».

Plus que le prix lui-même, pourtant, le lauréat, dont on attend avec curiosité l'œuvre — choisie entre 450 autres impartialement puisque les manuscrits n'étaient accompagnés que d'une enveloppe portant une devise — offre une personnalité intéressante.

 Marcel Mouloudji a 21 ans. Il a débuté au cinéma à 12 ans dans « Jenny», de Marcel Carné. De nombreux films ont suivi depuis. Mais les feux du cinéma n'apportèrent même pas à cet adolescent des facilités de vie. Malgré ses dons, il n'a connu, après la pauvreté de son enfance, qu'une bohème misérable dans les cafés littéraires de Saint-Germain-des-Prés, couchant tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre. Cette bohème qu'on supporte à 20 ans et à laquelle l'homme fait ne résisterait pas.

Mais ce n'est pas encore là le plus attachant de son personnage. Ce qui mérite d'être souligné, ce sont ses origines. Marcel Mouloudji est né dans les faubourgs de Paris, à l'époque où vint s'installer dans la capitale cet important contingent de main-d'œuvre nord africaine attirée par l'après-guerre et le développement de l'industrie, d'une mère bretonne et d'un père kabyle venu en France comme maçon ; un père qu'il aime tendrement, qui a été matériellement le premier bénéficiaire du prix remporté par Marcel Mouloudji, et dont il a hérité le feu intérieur, le visage sec et brun, les cheveux crépus, un peu le goût de la révolte.

Et ceci illustre une thèse qui nous est chère personnellement depuis de longues années, mes amis nord-africains le savent car je l'ai défendue publiquement. Depuis un siècle c'est la victoire dont la France peut tirer le plus légitime orgueil que cette longue ascension d'une population arabo-berbère, qui comptait 1.500.000 âmes en 1830 et qui en dénombre aujourd'hui 7.500.000. C'est aussi une de nos plus belles promesses d'avenir. Sur le fond d'une vieille civilisation musulmane, ancrée solidement dans ces pays où survivent pourtant les souvenirs puniques et romains, un siècle de culture française a fait jaillir une élite de race blanche, venue du petit peuple autochtone, totalement assimilée, qui enrichit la France d'un sang neuf et lui apporte son génie propre. Après avoir beaucoup reçu de la France, l'Afrique du Nord rend aujourd'hui au centuple à la mère-patrie.

Ce sont des légions de médecins, de professeurs, d'avocats, d'officiers, de fonctionnaires, de cadres en un mot, que nous donnent aujourd'hui les terres françaises d'au delà de la Méditerranée, Et c'est une constante curieuse que — là-bas comme ici, serait-on tenté de dire — cette élite vient du peuple et non des vieux cadres sociaux survivant de la domination turque, de même que parmi l'élément européen d'Afrique du Nord l'élite intellectuelle ne sort pas des rangs de ceux qui ont matériellement prospéré, mais procède de ces Français aventureux qui sont allés là-bas pour y perdre leurs quatre sous et leurs illusions et aussi pour y servir la France comme modestes fonctionnaires.

La Berbérie a donné Septime Sévère à l'empire romain, saint Augustin à la chrétienté ; aujourd'hui elle nous envoie des jeunes, riches des plus beaux dons, parmi lesquels il faut citer, à côté de Chérif Mecheri, promu récemment préfet de l'Aude, des poètes et des artistes comme le professeur Jean Amrouche et sa sœur Marie-Louise, des musiciens comme Mohamed Iguerbouche, un jeune écrivain authentiquement parisien comme Marcel Mouloudji.

Une nation qui a réalisé cela ne peut pas périr ; et ce n'est pas l'œuvre des gouvernants mais l'inconscient labeur de la race toujours renaissante. Quel que soit l'avenir, rien maintenant sur l'autre rive de la Méditerranée ne pourra, pas plus qu'on ne le put au Canada, effacer la marque du génie de la France.

Ch. de JONQUIERES.

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