Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vie de La Brochure
13 août 2023

Le procès Papon de 1997 inspire Bonnafé

papon

Le procès Papon le 7 octobre 1997, s’ouvre à Bordeaux, seize années après le dépôt de plainte initial de la famille Matisson en décembre 1981. « Vous êtes des héros, car sans vous, les parties civiles, on n’aurait jamais jugé Vichy pour son rôle dans la déportation des juifs de France », dira le rabbin Yeshaya Dalsace. La famille Matisson se constitue partie civile le 8 décembre 1981, Maurice, Jacqueline, Jean-Marie et Esther Fogiel, au nom de huit déportés de leur famille. À l’issue de six mois d’audience, Maurice Papon est condamné à dix ans de réclusion criminelle et à la privation de ses droits civiques pour « complicité de crime contre l’humanité ». C’est grâce au travail acharné et à l’obstination de quelques parties civiles individuelles que le procès a pu se tenir.

Bonnafé

Ce procès a donné lieu à de nombreux débats. Ici Lucien Bonaffé donne son analyse sur un des thèmes : « on ne savait pas ». Jospin est au pouvoir, Robert Hue dirige le PCF et veut la réconciliation des communistes ce qui fait que le contestataire Bonnafé (1912-2003) a les honneurs de L’Humanité (mais on a oublié la bonne écriture de son nom puisque je lis Bonaffé !).

La gauche a toujours été du côté du savoir et la droite du côté de l’ignorance. Puis petit à petit le rapport a évolué, en ce domaine comme dans tas d’autres, et je pense qu’à présent, pour savoir, il faut aussi savoir ignorer (afin d’éviter les impasses vers lesquelles nos études sont dirigées).

Sur la photo Papon avec son avocat Maître Jean-Marc Varaut (à sa droite) J-P Damaggio

P.S. les archives du procès sont ouvertes

 

L’Humanité 22 octobre 1997

DANS le fouillis ou fatras avec quoi la «sagesse des nations» est fabriquée, il gîte des trésors d’incitations à la lucidité. Ce sont les germes populaires d’une psychanalyse de la connaissance (discipline qui n’est pas plus innocemment «ignorée» dans les regards «officiels» sur «la psychanalyse» que celle- ci ne l’a été, en fonction de son effet dérangeant). Il y a là de bons moyens de résistance à l’ensommeillement des esprits : dans cette sagesse, il est dit : « Il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre » et : « Il n’est pire ignorant que celui qui ne veut pas savoir».

Nous vivons, ici et maintenant, dans un système de conditionnement des regards sur notre histoire qui «ne veut pas savoir» à quel point ces principes de sagesse sont moyens intellectuels permettant une connaissance de la vie non pervertie. Ainsi s’infiltrent, dans les systèmes formateurs de la conscience publique, les plus énormes défis aux capacités des citoyens, quant à comprendre comment on les manipule.

Enorme exemple de fonctionnement de ce système : il est dit, avec l’assurance magistrale qui caractérise les maîtres à ne pas penser, que Pétain, ou Papon, ou tel instrument du pouvoir de la collaboration ne savaient pas ce que devenaient les victimes des exactions accomplies en application de l’idéologie xénophobe et antisémite qui avait été exaspérée dans le «gratin» des «classes supérieures» contre le Front populaire. Quand la revanche de ces tendances fascisantes se déchaîna dans la «divine surprise» du pouvoir ouvert par la défaite, dans la collaboration, ça produisit les actes de gouvernement décrétant la mise en œuvre des pratiques racistes contre «métèques» et «youpins», et le zèle dans leurs applications.

Il est ordinaire de dire que ceux qui ont «pensé», réalisé et fait marcher Beaune-la-Rolande, Pithiviers, Mérignac, Drancy, et autres lieux de «purification de la race», ne savaient pas ce à quoi c’était fait pour servir. En bonne lucidité, il ne suffit pas de reconnaître à quel point c'est vrai qu'ils s’étaient installés dans le : ne pas vouloir et pouvoir savoir. Il s’agit maintenant de s’interroger sur quel sens a l’oblitération des consciences sur ce que signifie ce vouloir ne pas savoir qui se manifesta là comme comble d'abrutissement sauvage par la passion du pouvoir et le mépris du peuple, niveau plus dramatique que caricatural de jusqu’où peut s’abaisser l’ignorantisme militant. Ne pas vouloir savoir soi-même, en position de pouvoir, en abusant du rejet des moyens de savoir, a pour motif profond la volonté d’empêcher les autres de savoir.

Oblitérer, dans la conscience populaire, la lucidité sur le sens, ici dramatique, du : « Il n’est pire ignorant que celui qui ne veut pas savoir », pose à l’extrême le problème posé par un système de traitement de la conscience publique, quant à ce qui retombe dans des résidus posant le problème avec moins de grossièreté tragique et d’écrasante responsabilité.

Car ces résidus d’ignorantisme traînent au-dessus de ces bas- fonds. Il est bon de ne pas se laisser submerger par l’énormité du fait que Pétain, Papon, etc. ne « savaient » pas le sort de leurs victimes. Il faut s’exercer à voir ce qui est moins extraordinaire.

Déjà au niveau du : « Les Français ne savaient pas » fonctionne l’oblitération ordinaire des consciences par des schémas sentencieux pas tellement « innocents ». Il n’est pas dénué de sens d’ignorer et de faire ignorer que cette ignorance, si elle fut effectivement dominante, a opéré en dépit de ce qui a été fait pour y résister et pour que les citoyens n’« ignorent » pas. C’est fin 1943 que j’ai contribué, avec l’imprimerie Amarger à Saint-Flour; après Sadoul à Lyon, à publier « le Musée Grévin » de François la Colère (Louis Aragon) : « Aux confins de Pologne existe une géhenne... Auschwitz ! Auschwitz ! ô syllabes sanglantes... Ce sont ici des Olympiques de souffrances... » Ne pas parler de cette résistance au non-savoir et des conditions de son efficacité en dit long sur ce que désire savoir et faire savoir celui qui dit ou ne dit pas.

Car il y eut bien d’autres révélateurs de la vérité, et l’« oublier » n’est pas innocent.

Cet « oubli » ordinaire de la résistance à l’ignorance militante va avec le plus ordinaire « ne pas savoir ». Il est du meilleur ton de proclamer que les Français étaient pétainistes. L’un, Amouroux, atténuateur habituel des responsabilités vichystes, a dans la peau et assène « 40 millions de pétainistes ». L’autre, historien fort peu «révisionniste» mais peu attentif aux dérapages révisionnistes ordinaires (Rousso, déjà évacuateur de la part de responsabilité du pouvoir vichyste dans l’hécatombe de 40.000 internés dans la France occupée), précise que le pétainisme était général en France, y compris «de gauche».

On trouverait historiquement moins tendancieux de relater que, s’il est vrai que l’emprise du pétainisme à gauche fut vraiment un souci pour nous, résistants au fascisme français d’avant-guerre, ce ne fut tout de même pas sans qu’il y eût, face à cette dérive, une résistance pas si exceptionnelle qu’il n’est «de bon ton», dans les idées reçues, de le savoir et faire savoir.

Il est de fait que, lorsque l’officier supérieur chef de la formation fit devant la troupe assemblée attendant sa démobilisation le fac-similé saisissant du discours du «vainqueur de Verdun» sur les «appétits de jouissance» que nous devions payer après en avoir abusé, il n’y eut dans la troupe qu’un acteur de quelque notoriété, distingué en faisant la guerre habillé en « costume de fantaisie » au lieu de notre uniforme d’infirmiers de deuxième classe, pour ne pas se solidariser avec le « pas de politique dans l’armée » tournant en dérision avec efficacité le numéro pétainiste de rigueur chez notre « supérieur ».

Il est de fait que, dans un lieu d’exception par rapport à l’antisémitisme ordinaire qui prévalait dans les facultés de médecine et les hôpitaux, la salle de garde de l’hôpital psychiatrique de Ville- Evrard, le pétainisme ne fit pas long feu. Les penchants sensibles au début n’avaient pas tenu, grâce à la sensibilité aux décisions gouvernementales qui devaient exclure d’entre nous nos camarades juifs. D’où, le 14 décembre 1940, la soirée d’opéra improvisé sous le titre « pasturage et labourage », sous la présidence d’honneur de Philippe Pétain, et la présidence effective du métèque, notre très cher maître et ami Ajuriaguerra. Avec ce souvenir émouvant et notre accord avec lui sur : « Nous la gagnerons cette guerre; puis ils reprendront le haut du pavé... ».

Nous l’avons gagnée, et ils ont beaucoup repris le haut du pavé.

Mais raison de plus pour que je vous parle de l’objecteur au « Les Français étaient pétainistes » dont la rumeur m’a raconté qu’il en était mort en prison, où enfermé parce que, dans un bistrot, quelque part dans le Tarn, ce consommateur agacé par le numéro du «vainqueur de Verdun» à la radio, intervint : « Ils nous emmerdent avec le vainqueur de Verdun. Et d’abord, le vainqueur de Verdun, c’est moi, enfin avec les autres, qui y sont restés ou qui en sont revenus.»

Mon semblable en résistance n’avait sûrement pas en tête Rimbaud. «Car JE est un autre... Si les vieux imbéciles n’avaient pas trouvé du Moi que la signification fausse, nous n’aurions pas à balayer ces millions de squelettes qui, depuis un temps infini, ont accumulé les produits de leur intelligence borgnesse, en s’en clamant les auteurs ! »

Quand je ne cesse de dire « Et moi? », en résistance aux discours conventionnels qui nous méprisent, produits du : «Il n'est pire ignorant que celui qui ne veut pas savoir », apprenez à saisir ce que veut dire : «Je est un autre » quand on en creuse indéfiniment le sens.

Par exemple, pour bien comprendre ce que je dis de « la grande ignorance sur le fourmillement des résistances, plus ou moins confuses ou raidies, plus ou moins secrètes ou impulsives, plus ou moins méthodiques ou ataxiques, plus ou moins coordonnées ou déchirées, dont aucun système d’oppression ne saurait éviter d’avoir à affronter le grouillement ».

Et pour cultiver la résistance aux tendances dominatrices, avides de paroles tranchantes, qui ne sont pas faites pour rendre doués leurs porteurs, quant à développer en eux et chez les autres les moyens intellectuels permettant de bien connaître le plein sens du sage propos : qu’ « il n’est pire ignorant que celui qui ne veut pas savoir ».

Publicité
Publicité
Commentaires
Vie de La Brochure
Publicité
Archives
Newsletter
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 1 024 021
Publicité