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Vie de La Brochure
8 août 2015

Maurras et les socialistes autour de 1900

Encouragé par l'ami René Merle sur l'étude du cas Maurras, j'en suis arrivé à cette question : comment, Charles Maurras, chantre du nationalisme intégral était-il "apprécié" par les socialistes ? Je suis tombé sur les deux articles ci-dessous qui me semblent pleins d'enseignements. Celui d'abord de Gustave Rouanet (1855-1927), vieux militant socialiste expérimenté qui rend compte du livre du philosophe Dominique Parodi. Involontairement sans doute, il termine en réduisant à néant sa propre chronique puisqu'il annonce qu'Auguste Comte et Taine ne sont que des souvenirs… donc à quoi bon s'interroger sur le cas Maurras qui en découle ? Or, au contraire, ce qu'il explique du livre de Parodi met l'eau à la bouche, mais sur le plan philosophique plus que politique.

Et l'autre article sur les débuts des "camelots du roy" confirme le phénomène. Ecrit par un journaliste de l'Humanité, Raymond Figerac (1868-1926), il a une plume alerte mais à ridiculiser la nouvelle "secte" imagine-t-il ses succès futurs ? Ou alors sommes-nous encore dans cette entreprise permanente de dépréciation d'un courant politique qui pourtant a fait la France ? Je laisse le lecteur analyser la question. Jean-Paul Damaggio

 

Humanité 19 avril 1909 : Traditionalisme et Démocratie, par D. Parodi (in-18,'3 fr. 50), est un livre dont je recommande la lecture pour le très noble effort de pensée philosophique et de bonté sociale que son auteur y a déployé. M. Parodi, en effet, s'est très loyalement attaché à résumer la pensée traditionaliste, de Brunetière à Charles Maurras et jusqu'à Léon Daudet, en passant par Bourget et Maurice Barès.

Et ce n'est pas une tâche médiocrement laborieuse que celle de dépouiller de son bric-à-brac disparate. et de son clinquant criard, l'idée générale, doctrinale qui aboutit, des analyses dialectiques de Brunetière, aux manifestes brutaux des « camelots du roy ». Pour Brunetière, passe encore. Il est déjà plus difficile de saisir la continuité de pensée dans Paul Bourget, il semble ensuite que le traditionalisme de Maurice Barrès ne soit qu'un paradoxe de brillant écrivain. Et après celui-là, quand on tente de démêler ce que peuvent contenir de pensée philosophique et de doctrine sociale sérieuses, dignes d'un examen approfondi, les fantaisies littéraires de Charles Maurras, les cabotinages démagogiques d'un Maurice Pujo, les violences scatologiques d'un Léon Daudet, on ne peut qu'admirer la patience de M. Parodi, lavant à grande eau ces guenilles d'idées salies, maculées et répugnantes, et qui font presque figure de pensée quand M. Parodi les a reconstituées, remises sur pied, ordonnées en une forme logique et compréhensible. C'est là, je le répète, une action louable, méritoire, dont il convient de savoir gré au penseur probe qui n'a pas redouté de pénétrer dans ce cloaque. Et si je loue comme il convient les belles analyses que M. Parodi nous donne du traditionalisme contemporain, je le loue davantage encore du courage de sa pensée des sentiments religieux que révèlent ses conclusions, quand il oppose la démocratie au traditionalisme, en se plaçant, pour défendre la première, contre les retours offensifs de la contre-révolution, sur le seul terrain inexpugnable où la Démocratie puisse repousser victorieusement les assauts de ses adversaires. Ceux-ci-- proclament sa faillite, après celle de la science, parce que le régime démocratique n'a pas mis fin aux antagonismes sociaux, parce que l'ordre de choses inauguré par la Révolution n'a pas concilié les idées contradictoires, de liberté et d'égalité. Le libéralisme révolutionnaire a abouti au paupérisme d'une part, à l'étatisme et à la règlementation de l'autre. Mais voici que devant la démocratie, du milieu désordonné, anarchique qu'elle a créé, se dresse une force nouvelle qu'aucune discipline morale ne contient, celle des appétits exaltés des plèbes innombrables, à qui la Révolution promit la cité du bonheur. Et cette force irrésistible, s'avance, conduite par des meneurs insouciants de démocratie, de République et de toute la phraséologie au nom de laquelle on soulevait jadis les masses. M. Parodi répond : - Quelque apparence que revête le mouvement égalitaire contemporain, il n'est pas, il ne saurait être antidémocratique. « La liberté n'est qu'un mot, qu'il faut traduire par tyrannie et contrainte, si elle n'est pas égale pour tous. » Ce mouvement égalitaire a pour but de faire de la liberté une réalité. Il est « le développement logique des principes fondamentaux et inséparables de toute démocratie ». Le socialisme, dit-il ailleurs, est un prolongement de la démocratie.

« Le socialisme, réformiste ou révolutionnaire, reste d'essence démocratique. Il ne tend nullement, quoiqu'on en dise, à nier les principes fondamentaux de toute démocratie, mais seulement à concevoir des formes et des expressions plus exactes, soit du suffrage universel, soit de la représentation politique, soit de la souveraineté nationale ». M. Parodi prend à son compte une phrase d'Albert Thomas, dans Pages Libres, qui définit très bien l'identité, de la démocratie et du mouvement ouvrier : "Le syndicalisme c'est de la démocratie organisée".

On ne saurait mieux dire. Et ainsi s'effondre le prétentieux et fragile édifice élevé par les théoriciens des "camelots du roy" sur quelques thèses d'Auguste Compte et de Taine, qui ne sont déjà plus qu'un souvenir. Gustave Rouanet

 Humanité 3 mars 1909 : Les Camelots du Roy contre la statue de Zola, une équipée royaliste à Suresnes

 Une nouvelle secte vient de naître qui essaie par des actes assez ridicules d'attirer sur elle l'attention. Depuis quelque temps, nous possédons en effet des iconoclastes ou des briseurs de statue. Pour ressusciter les temps héroïques, que l'on croyait révolus, des "Camelots du Roy " s'attaquent aux effigies dressées sur les places publiques. Ils ont donné récemment un exemple de leur courage et de leur sottise en mutilant la statue de Trarieux. La nuit dernière,  ils ont vainement essayé de s'en prendre à celle de Zola, inaugurée à Suresnes.

Ce fut une équipée bouffonne qui, commencée avec des allures de croisade, se termina sous un aspect de vaudeville.

Il y eut d'abord un meeting salle Wagram, avec le dessus du panier des royalistes de marque. M. Jules Lemaître qui devrait pourtant, depuis les mésaventures, du nationalisme, être revenu à la littérature, figurait sur l'estrade en compagnie do MM. André Buffet, Daudet, Charles Maurras, Henri Vaugeois. Des dames, des ecclésiastiques et de jeunes candidats au martyre composaient l'assistance. Copieusement, on conspua cette gueuse de République, tandis qu'avec frénésie, des éphèbes s'égosillaient à crier « Vive le Roy ! »

Les orateurs claironnèrent des appels à la bataille. Et même M. de Lur Saluces, en une métaphore cynégétique fort audacieuse, convia les spectateurs à poursuivre la chasse qui était ouverte et à ne «s'arrêter que sur la dépouille de la bête enfin forcée en sonnant la royale ». Tudieu ! On n'est pas plus talon rouge. Ayant, ainsi sonné du cor, les royalistes sérieux s'en furent tranquillement se coucher en attendant l'arrivée de Philippe VII. Mais les jeunes manifestants résolurent d'accomplir quelque grand exploit.

Par groupes,, ils se rendirent d'abord. dans un bar voisin de la porte Maillot, puis, ayant renforcé leur courage à l'aide de quelques liqueurs à étiquette réactionnaire, ils firent sur le zinc le serment de mourir pour leur Roy. C'était le départ pour la croisade. Mais, comme la Palestine était trop loin, nos chevaliers-camelots résolurent de s'arrêter à Suresnes. Ils s'armèrent de cordes et de leviers et prirent, non point des chevaux bardés d'acier, mais simplement le tramway électrique qui traverse le Bois de Boulogne. Avec des allures de conspirateurs, ils traversèrent le pont de Suresnes, arrivèrent jusqu'à la place Trarieux, devant la statue de Zola. Ce fut épique, solennel et amusant. Les Sarrasins (j'entends les agents), surgirent - tandis que les croisés passaient une corde autour de la tête de la statue- et arrêtèrent deux des manifestants. La mêlée fut terrible ! Montjoie et Saint-Denis ! Les camelots essayèrent de reprendre leurs camarades captifs des infidèles. Ils montèrent à l'assaut du poste de police.

Hélas ! le Dieu des armées était sans doute occupé aux Balkans. Les infidèles gardèrent la porte et les prisonniers. Mais les camelots repoussés ont annoncé qu'ils reviendraient. Nous allons voir ces chevauchées homériques. R- Figeac

 

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